Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Kroll et Trouvé à l’assaut de l’orthodoxie économique
La crise financière de 2008 n’a pas été suivie d’une remise en cause de la politique néolibérale. Mais on peut constater un vent nouveau se lever en économie. Ainsi, la nouvelle Association française d’économie politique (AFEP) - voir Association (présentation, organisation, congrès) - a réuni son premier congrès à Lille les 9 et 10 décembre 2010, sur le thème « Crise de l’économie, crise de la science économique ? »
Jean-Christophe Kroll et Aurélie Trouvé, professeurs d’économie à Agrosup Dijon et chargés de recherche à l’INRA, ont présenté une communication lors de ce congrès. En voici des extraits (introduction et conclusion) :
Rappel : Politique agricole. L'insoutenable légèreté des économistes (JC Kroll, Economie rurale, juillet-août 2007)
La politique agricole commune vidée de son contenu (Le Monde Diplomatique, janvier 2009)
Crise laitière : l'analyse de M Cassez et A Trouvé (Monde Diplomatique) - 10 avril 2010
« L'impasse de l'orthodoxie économique : l'exemple de la "crise du lait" »
Introduction
L'orthodoxie économique est aujourd’hui interrogée quant à sa capacité à anticiper, puis à résoudre la crise financière et économique survenue en 2008. Les indications de politique économique qu’elle a justifiées sont de plus en plus unanimement considérées comme facteur d’aggravation, sinon de déclenchement de la crise (Askenazy et al, 2010). Nous proposons de transposer cette analyse au secteur agricole, en prenant appui sur le débat ouvert concernant la régulation des marchés laitiers, débat particulièrement vif depuis la "crise du lait" survenue en 2008 suite à la chute des prix.
La politique laitière européenne demeure marquée par un contexte de surproduction importante apparue dès la fin des années 70, qui a conduit en 1984 à la mise en place de quotas fixant des quantités maximales de production par Etat-membre, voire par région et par exploitation[1]. Cette forme de régulation des marchés laitiers, qui a perduré pendant deux décennies, est aujourd’hui en voie de démantèlement : la sortie progressive des quotas laitiers a été actée en 2008 dans le cadre d'une nouvelle réforme de la Politique agricole commune (PAC) et doit être achevée en 2014 ou 2015. Ceci même si "l’atterrissage en douceur" du secteur laitier prévu par la Commission de l’UE a été fortement perturbé par le contexte d'intense volatilité des prix sur la période 2007-2009. La Commission a en effet réagi en adoptant des mesures d’intervention et d’aide à court terme, sans pour autant que les États-membres décident de revenir sur la décision de suppression des quotas en 2015.
Cette sortie des quotas ne peut être comprise qu'en lien avec les autres décisions concernant le secteur laitier, qui toutes aboutissent à une libéralisation accrue des marchés, avec une baisse des prix d’intervention (et donc un démantèlement de la politique de stockage) pour un alignement des prix intérieurs sur les prix mondiaux, et une compensation par des aides directes à l'hectare déliées de la production. Le projet d’accord élaboré dans le cadre du cycle de Doha de l'Organisation mondiale de commerce (OMC) prévoit également, s’il est appliqué, une réduction significative des droits de douane sur les produits laitiers.
Les instances européennes se sont appuyées, pour justifier leur projet de dérégulation, sur différents résultats des modèles standard des économistes orthodoxes, en position hégémonique chez les économistes ruraux. Mais d'autres analyses en économie appliquée intègrent, outre les spécificités des filières laitières et les imperfections de marché qui en résultent, les enjeux sociaux et écologiques susceptibles de remettre en cause la sortie des quotas. Nous proposons tout d'abord de croiser l'ensemble de ces résultats puis de les confronter aux observations empiriques provenant d'une comparaison internationale des modes de régulation des secteurs laitiers entre plusieurs pays, notamment les Etats-Unis, la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas. Ces observations se sont appuyées sur des documents institutionnels et sur une quinzaine d'entretiens, dans chaque pays, avec des acteurs institutionnels considérés comme représentatifs et jouant un rôle important dans la filière laitière[2] (Deruaz et al, 2010a, 2010b). (…)
Conclusion
C'est en s'appuyant sur des modèles mobilisant une formalisation standard du marché que la Commission européenne, faisant fi des leçons à tirer de la "crise du lait", a décidé la poursuite d'une dérégulation des marchés laitiers et la suppression des quotas. L’élargissement du cadre d’analyse et la mobilisation d'approches économiques moins conventionnelles, conjugués aux enseignements des observations empiriques, permettent de montrer les limites de ces raisonnements. L’analyse comparée des modes de régulation des marchés laitiers dans quelques pays qui pèsent dans la production laitière, ou exemplaires par les caractéristiques de leur régulation, permet ainsi de souligner les écarts parfois énormes qui peuvent exister entre les discours normatifs et la réalité observable. En outre, les conséquences de la dérégulation des marchés, qu'il est à présent difficile de nier, ont amené les mêmes partisans de l'orthodoxie économique à proposer de nouveaux outils, qui ne peuvent en aucun cas se substituer aux dispositifs des régulations publiques des marchés et aux arbitrages politiques qu’ils impliquent.
Le coût politique d’une nouvelle “guerre des régions" et les dangers de l'éclatement de la solidarité européenne découlant de la dérégulation des marchés ont été soulignés dans notre étude. Le démantèlement des outils communs de régulation de la PAC peut remettre en cause l'unité politique et la solidarité entre Etats-membres et régions, notamment par la renationalisation et la régionalisation des interventions publiques. La question de la sortie des quotas va bien au-delà du seul problème laitier. Elle s’inscrit dans le contexte beaucoup plus vaste d’une dérégulation des échanges qui, en donnant le primat à la compétitivité économique sur les autres objectifs, politiques, sociaux et environnementaux, contribue à l'affaiblissement de la construction européenne. Par ailleurs, cette perspective de "guerre des régions" dans l'Union européenne peut très bien être transposée au niveau mondial. L'Union européenne avait en effet stabilisé ses productions exportées grâce aux quotas, tandis que les Etats-Unis s'étaient surtout tournés vers leur marché intérieur (Keane, O Connor, 2009). Mais la sortie des quotas de l'Union, de même que la récente stratégie exportatrice des Etats-Unis, risque d'augmenter la volatilité des prix mondiaux et d'exacerber la concurrence internationale. Ceci d'autant plus que l'Union européenne prévoit pour l'instant de continuer les aides aux exportations.
David Ricardo, qui s’est intéressé de près aux questions de commerce agricole et d’approvisionnement alimentaire, s’interroge, dans son essai sur l’influence des bas prix du blé sur les profits, sur les enjeux de sécurité alimentaire : « Seuls des arguments presque irréfutables sur les dangers de dépendre des pays étrangers pour une partie de notre nourriture […] devraient être avancés pour nous amener à restreindre les importations » (cité par Pouch, 2010). De fait, ainsi que le souligne Sen (2010), toute politique poursuit nécessairement des objectifs multidimensionnels, incluant des objectifs de justice et d'environnement, si bien qu’il est illusoire de prétendre classer les politiques sur un axe unidimensionnel de "bien-être" général. Ce constat rejoint les objectifs de durabilité assignés à l’agriculture européenne au sommet européen de Göteborg (2004), qui prennent en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Seul un arbitrage politique peut permettre in fine de choisir une option plutôt qu’une autre et, dans cette évaluation multidimensionnelle, rien ne permet de prétendre a priori que le modèle « territorial et social » français est moins efficace que le modèle « productiviste débridé » danois, ce qui peut conduire à tempérer les volontés de supprimer toute maîtrise de la production et toute régulation des marchés.
Cet article est le 207ème publié sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.
[1] Si les producteurs dépassent cette référence, ils doivent payer une pénalité très dissuasive par litre de lait supplémentaire.
[2] Cette étude, placée sous la responsabilité de J.C. Kroll et A. Trouvé, a largement profité à ses différentes étapes de la participation des ingénieurs élèves de la voie d’approfondissement de seconde année de l’ENGREF intitulée “économie et politique agricole”, et parmi eux de M. Deruaz, qui a mené un stage d'un an de fin d'études sur le projet.