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Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.

Débat sur l'industrie avec Louis Gallois à Saint-Berthevin (53) - 15 oct.1987

Europe libérale ou Europe solidaire et de croissance ?

 

Louis Gallois, commissaire à l’investissement, a remis ce 5 novembre son rapport au Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault. Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, tel est le titre de ce document, si attendu et beaucoup commenté, avant même sa publication.

 

C’est l’occasion de revenir sur la soirée-débat organisée par la section locale du PS de Saint-Berthevin sur le thème « L’industrie française : comment redresser la pente ? ». C’était il y a 25 ans, à Saint-Berthevin (Mayenne) - la ville dont j’ai été le maire entre 1990 et 2001 - avec la participation très appréciée de Louis Vincent, qui n’était autre que Louis Gallois. Voir Soirée-débat avec Louis Gallois le 15 octobre 1987 à Saint-Berthevin - 4 novembre 2012.

 

Voici des extraits du compte rendu du débat qui avait suivi l’exposé de Louis Gallois, le 15 octobre 1987. Vous découvrirez des idées qui ont certainement quelque chose à voir avec le « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française ».

 

« L’industrie française : comment redresser la pente ? »

 

Pierrick Collin : A force de mettre les aspects financiers en avant, ne va-t-on pas vers une perte de l’identité française ? N’y a-t-il pas danger dans la fuite en avant vers 1992 dans les conditions actuelles ?

 

Louis Gallois : 1992, c’est la « ritournelle », soit du « vent » (Chirac fait sa campagne là-dessus pour passer par-dessus 1988), soit quelque chose de sérieux et, alors, il faut y regarder à deux fois.

Si nous partons pour 92 avec des pays qui, comme actuellement, ne s’entendent que pour démanteler, jamais pour construire (difficulté de l’Europe spatiale et pour établir un tarif extérieur commun, désaccord vis-à-vis de l’attaque des USA sur les exportations de maïs en Espagne et au Portugal…), l’échéance de 1992 devient extrêmement dangereuse. Car fin 1992, il n’y aura plus de frontières entre les 12 et chaque pays, isolément, ne pourra plus se défendre. En forçant un peu le trait, nous risquons d’avoir les pieds et poings liés dans une zone de libre-échange, sans politiques communes.

 

Or, quel est notre projet, notre défi ? C’est, au contraire, de faire de 1992 l’échéance des politiques communes, celles qui viennent d’être évoquées (relance) et celle de la baisse concertée des taux d’intérêt, qui est davantage réalisable au niveau de l’Europe que par un seul pays, celle aussi de la politique industrielle (normes communes à l’Europe, préférence pour les marchés publics aux entreprises européennes, aides communautaires).

Le partage est toujours entre une Europe libérale et une politique de construction d’une Europe solidaire et de croissance.

Les socialistes, eux-mêmes, doivent faire attention quand ils disent 92, 92, 92… Nous ne voulons pas de n’importe quel 92, et en particulier de cette Europe libérale. Il n’est pas sûr que cela ne fasse pas débat à l’intérieur du PS.

 

Il faut revenir sur la baisse des taux d’intérêt, même si c’est compliqué. Les taux d’intérêt, quand ils sont élevés, paralysent l’investissement et la vie économique. Ils sont élevés parce que les USA vivent à crédit (sur notre dos). Ils empruntent 150 milliards de dollars par an au reste du monde. Pour attirer ces capitaux et  pour défendre leur monnaie, ils sont obligés de maintenir les taux d’intérêt élevés, et les autres pays en font autant. La solution appartient aux Américains eux-mêmes, qui devront faire l’effort de ne plus vivre à crédit et de baisser leur niveau de vie.

Ce n’est pas évident en pleine année électorale car Reagan tient à maintenir la croissance à un niveau élevé (3,5 à 4 % en 1987, mais à nos frais, même si on en profite un peu par nos exportations aux USA.

Les 150 milliards de dollars prélevés sur l’épargne mondiale se traduisent par des intérêts élevés. Mais en France, nous avons une petite cause secondaire aux taux d’intérêt élevés, ce sont les privatisations. La ponction de 50 à 70 M² F sur les marchés financiers crée aussi un appel d’air et, si nous avons actuellement les taux d’intérêt les plus élevés du monde (8 % en taux réel, inflation déduite), c’est à la politique de privatisations de Monsieur Balladur que nous le devons.

 

Qu’est-ce que la « financiarisation » de l’économie ?

C’est le fait qu’il est plus intéressant d’investir sur les marchés financiers que dans les entreprises (investissements productifs). La Bourse monte (40 %, 50 % en une année, plus de 100 % au Japon).Actuellement, elle baisse mais c’est qu’on a construit une pyramide artificielle avec des masses financières qui se déplacent sans base réelle. Cette « baudruche » va se dégonfler un jour. C’est de l’inflation concentrée, mais cela ne marche que par la perspective de nouvelles augmentations. Un jour, cela ne monte plus car plus personne n’apporte de l’argent. Quand ? Demain ? Pas sûr. Ce sera peut-être à nous de dégonfler la « baudruche » et l’on nous accusera de tuer la Bourse mais il faudra sans doute le faire. Ce ne sera pas simple, car les mouvements de capitaux se font maintenant sur un message d’ordinateurs à la vitesse de la lumière.

 

Claude Piou : A-t-on vraiment le choix par rapport à l’Europe ? Ne serait-il pas plus dur d’en sortir que d’y rester, même si ce n’est pas satisfaisant ?

 

Louis Gallois : Il n’est absolument pas question de quitter la CEE, ce serait totalement irresponsable. Mais, sur le plan monétaire, nous avons un véritable problème parce que nous sommes depuis 1979 (Système Monétaire Européen SME) dans une zone mark qui ne nous permet pas une croissance supérieure à 1 ou 2 %. Nous n’avons pas la maîtrise de notre monnaie puisque nous sommes liés au mark, qui est constamment poussé à la hausse.

 

Les Anglais ne veulent pas entrer dans le SME, les Italiens ont pris des marges de manœuvre. Nous sommes le seul grand pays, en dehors de l’Allemagne, à y être. Ou nous y sommes tous, ou nous n’y sommes pas. Les Anglais, en 1986, ont baissé leur monnaie de 25 % par rapport au deutschmark et de 18 % par rapport au franc français. Ils font 4 % de croissance cette année (après avoir, il est vrai, pris du retard).

Le SME est formidable pour les Allemands : il leur sert d’amortisseur. A nous, il sert de garrot. Il y a besoin de rééquilibrer. Nous devons faire le pari de l’Europe, en nous appuyant sur les forces sociales qui vont dans le même sens que nous (le PSD allemand, les travaillistes anglais…). La partie n’est pas perdue. Il faut parler fermement aux Allemands, notamment de leur sécurité, mais il faut aussi que nous ayons une porte de sortie si ça ne marche pas.

 

Philippe Minzière : Quelle sera la place des ouvriers dans le redressement de l’économie ?

 

Louis Gallois : De nombreux chefs d’entreprise disent que la gauche a réussi à faire passer entre 1981 et 1986 des choses que la droite n’aurait jamais réussi à faire passer. Ils disent également que c’est pendant cette période que l’esprit d’entreprise est venu aux Français.

Ils portent un jugement globalement positif sur cette période en disant que, passé les « frasques » de la 1ère année, quand les socialistes sont devenus sages, on a réussi à faire beaucoup de choses…  Est-ce cela qu’il faut recommencer ? Non. Il faut tirer les enseignements de ce qui s’est passé.

 

Sommes-nous capables de créer une nouvelle dynamique sociale dans ce pays ? Après la guerre 1939-45, il y a eu un compromis entre les forces sociales en France. Les classes possédantes étaient affaiblies car déconsidérées après Vichy et prêtes à la discussion. Il a été dit aux travailleurs : « pouvoir d’achat-sécurité sociale-emploi ». Et les travailleurs ont dit « alors, on bossera ». C’est Thorez qui a dit « Il faut travailler dans les usines ».

 

Ce compromis social de 1945, sur lequel s’est fait la reconstruction du pays pendant 30 ans, s’est épuisé avec la crise. Sommes-nous capables, nous socialistes, de réfléchir à un nouveau compromis social qui n’exclut pas les affrontements mais qui offre de nouvelles perspectives pour le redressement de l’appareil productif, l’emploi, la compétitivité, la croissance.

 

Sommes-nous capables de dire : « oui, on peut sortir du chômage » ? Dans ce cas, tout le monde s’y met et un compromis peut être passé entre des travailleurs qui renoncent à certains « acquis » (aménagement du temps de travail, mobilité…) et des patrons qui apportent des contreparties en termes d’emplois, de qualifications, de démocratie sociale et économique.

C’est une affaire de longue haleine, peut-être 5 ans, mais l’autre perspective, c’est 4 millions de chômeurs en 1995 (20 % de la population active) annoncés par l’INSEE, ce qui signifie un pays désarticulé, une jeunesse désespérée, des solidarités sociales qui éclatent, le retour en force des corporatismes, un pays paralysé.

Le chômage, c’est la lèpre. Les socialistes ne peuvent rester silencieux. Ils doivent proposer une perspective au pays, laquelle n’est envisageable que s’il y a mobilisation de toutes les forces du pays, le monde du travail au premier rang car les travailleurs, contrairement aux capitaux, sont attachés au sol de France.

C’est donc une tache tout à fait essentielle pour nous de réfléchir à cette nouvelle dynamique sociale, qui est le corollaire indispensable de la croissance et des politiques de compétitivité.

Cet article est le 25ème paru sur ce blog dans la catégorie Personnalités et célébrations

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