Les libéraux, en dérégulant, ont joué les apprentis sorciers
L’agriculture française a un nouveau patron, Xavier Beulin, le paysan le plus puissant de France (France Soir,19 février), Xavier Beulin ou l'agriculture décomplexée (Le Point,18 février).
Succédant à Jean-Michel Lemétayer - producteur de lait à Vignoc, au nord de Rennes, représentant l’agriculture traditionnelle (solidarité professionnelle entre éleveurs et céréaliers, engagement dans les coopératives et organisations professionnelles agricoles territoriales) - Xavier Beulin (Wikipédia) est d’une autre trempe.
C’est un homme d’affaires, un agrimanager - qui gère une ferme de 500 hectares avec trois associés familiaux (productions végétales et laitière) à Donnery (Loiret). Il est doté d’un bon contact personnel et d’une capacité physique et intellectuelle aux plus hautes responsabilités.
Xavier Beulin dirige de surcroît un vaste groupe financier, Sofiprotéaol, réalisant un chiffre d'affaires de 5,5 milliards et couvrant le spectre, de la production à transformation, de la filière des huiles et protéines végétales - des huiles aux biocarburants, en passant par la nutrition animale ou encore la chimie verte. Il veut redresser le rapport de forces des agriculteurs avec les industriels, par une meilleure organisation collective de la profession, et redonner à l’agriculture française la première place en Europe.
Son élection à la présidence de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) a été acquise par 36 voix du Conseil d’Administration contre 31 à Dominique Barrau, un éleveur aveyronnais à la personnalité moins flamboyante. Celui-ci m’avait reçu au siège de la FNSEA (voir Deux jours de contacts fructueux à Paris sur le thème de la future politique agricole - 22 décembre 2006).
Pour y parvenir, Xavier Beulin s’est attiré les suffrages d’éleveurs séduits par sa gouvernance (notamment dans l’ouest, Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA).
La profession agricole ne sait plus où elle en est, entre les crises alimentaires dans le monde, la bulle financière - qui a fait multiplier par deux le prix des céréales - et les éleveurs qui subissent la hausse des prix des céréales pour leurs animaux. Des évènements climatiques ont diminué l’offre mondiale de céréales, pendant que la spéculation financière accentuait le mouvement de hausse des prix.
Selon L’avenir agricole - hebdomadaire d’informations générales et agricoles qui, à partir de Laval, dessert la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Sarthe - daté du 18 février, cette année est celle des « records pour les céréales françaises ».
« Suite au retrait de la Russie du marché mondial du blé tendre, la France a connu des niveaux inégalés d’exportation en 2010-2011 ».
Le président de France Export Céréales, Jean-Pierre Langlois-Berthelot, en tire les conséquences : « Afin de consolider nos exportations de céréales vers les pays tiers, il va falloir s’adapter », c’est-à-dire produire, en répondant aux exigences qualitatives de ces clients. « Chaque année, les consommations de céréales augmentent de 2,4% au niveau mondial » (les pays émergents consomment plus de produits animaux car leurs revenus progressent).
« On observe une spécialisation des régions de production. L’Amérique du Nord trouve son avantage comparatif avec le maïs, l’Amérique du Sud est sur le soja et la grande Europe (la France et la Mer Noire) sur le blé tendre. A terme, la fourniture du marché mondial du blé tendre pourrait se jouer en Europe élargie aux pays comme l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan ».
Dans le même n° de L’avenir agricole, le président de la FNSEA, Xavier Beulin, veut « renforcer les relations entre éleveurs et céréaliers », la priorité étant de bien « valoriser les productions animales », soumises aux fluctuations importantes, et parfois soudaines, des cours des matières premières agricoles.
L’intention est bonne, le président de la FNSEA sentant le danger qui guette l’élevage français. Mais il ne remet pas en cause la politique néolibérale qui est à l’origine de ces dérèglements, pas plus que la logique du système dans lequel les agriculteurs produisent.
Sur la même dernière page du journal L’avenir agricole, Denis Cheissous, animateur de l’émission « CO² mon amour » sur France Inter, exprime son point de vue sur l’évolution de l’agriculture « Les paysans vont devoir redevenir agronomes ».
« (…) L’agriculture consomme 70% de l’eau et utilise beaucoup de pesticides. Mais les agriculteurs sont des chefs d’entreprise à qui l’on demande tout et son contraire. Et puis il y aura toujours plus de ventres à nourrir. Je ne vois pas de problème à subventionner l’agriculture. Le problème, c’est que 80% des aides vont à 20% des agriculteurs et ce n’est pas tenable. Ce qu’il faut, c’est réorienter encore ces aides.
Désormais, il faudra faire mieux avec moins d’intrants. Les paysans que l’on a transformés en chimistes vont devoir redevenir agronomes, redécouvrir le plaisir de travailler avec la nature. 20 000 exploitations disparaissent chaque année, ce n’est pas une bonne nouvelle. Les exploitations de porcs en bâtiment sont parmi les plus vulnérables. Si les éleveurs ne dégagent pas de valeur ajoutée avec ce porc-là, ils ne vont pas s’en sortir. Leur syndicat les emmène dans le mur en continuant dans cette voie. L’agriculture est entre les mains de très gros paysans, et instrumentalisée par des coopératives et des grands groupes agrochimiques. Je ne veux pas jeter la pierre aux agriculteurs, ils sont victimes d’un système qui les a complètement instrumentalisés ».
Les hausses des prix alimentaires à l’origine de troubles politiques
La flambée des prix alimentaires est en train d'atteindre la cote d'alerte et accroît l'instabilité politique, a averti samedi 19 février à Paris, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick. Il a appelé les dirigeants du G20 à "considérer l'alimentation comme une priorité numéro un en 2011". La hausse des prix des produits alimentaires va encourager une hausse de l'offre agricole, mais dans les deux prochaines années "il pourrait aussi y avoir une masse de troubles, les gouvernements pourraient tomber et les sociétés basculer dans le désordre", a affirmé M. Zoellick.
Voir Banque mondiale : les prix alimentaires proches de "la cote d'alerte" (Le Monde, 19 février)
Débats de la Fondation Res Publica sur l’agriculture (2006 et 2008)
Pour mémoire, mon intervention, à la demande de Jean-Pierre Chevènement, dans le Débat final du colloque tenu le lundi 26 juin 2006 sur le thème « L’avenir de la politique agricole commune ».
Michel Sorin
Il faut trouver de nouvelles solutions, notamment au niveau des aides. Je propose de distinguer la fonction productive agricole puisqu’il s’agit de rémunérer les ventes par les produits - il faut revenir au marché – et la fonction socio-territoriale qui doit être financée sur fonds publics européens ou autres.
Je propose par ailleurs de revenir pour l’essentiel aux principes fondateurs de la PAC, en les aménageant, notamment en fixant des prix seuils qui permettent de se protéger mieux qu’on ne le fait actuellement contre les importations, en supprimant pratiquement les aides aux exportations et en essayant de faire respecter la souveraineté alimentaire au niveau mondial (les idées deM. Pisani, à cet égard, me semblent bonnes), c'est-à-dire de permettre aux différents pays ou ensembles dans différentes zones de nourrir leur population. Cette démarche est à l’opposé du libéralisme.
Est-ce un rêve ? Faut-il sortir l’agriculture de l’OMC ? Sans doute pas totalement mais il faut trouver une démarche qui permette de valoriser l’agriculture alimentaire non seulement dans nos pays mais partout dans le monde. Si on doit modifier le système, il faut le repenser en profondeur. Il faut trouver le lien entre cette perspective et ce qu’on appelle encore la PAC qu’il faut repenser totalement pour 2013, en adaptant les principes de l’origine à la situation actuelle. Les choses ont beaucoup évolué depuis 1962, ce n’est plus l’Europe des six !
La protection ne peut plus être conçue au niveau français mais au niveau européen. J’invite ceux qui auraient des idées à y travailler. On ne peut pas en rester à ce libéralisme qui condamne l’agriculture. C’est actuellement l’OMC qui dicte les réformes de la PAC, le politique doit donc repenser une politique agricole commune.
Et mon intervention Pour des politiques agricoles de maîtrise des productions et de sécurité alimentaire prononcée en tant que responsable des questions agricoles au MRC, lors de la table ronde le 9 juin 2008 Quelle politique agricole, au défi de la crise alimentaire mondiale ?
Je crois pouvoir apporter un éclairage complémentaire. Fils de paysan, ingénieur agronome, j’ai travaillé dans une coopérative agricole, au contact des agriculteurs (…).
Nous sommes dans une situation nouvelle. La crise alimentaire provoquée par la brusque augmentation des prix des matières premières agricoles, elle-même répercutée dans les prix des produits alimentaires, bouleverse beaucoup de choses. La remontée des prix est une bonne nouvelle pour les agriculteurs qui en bénéficient - et j’ai dit tout à l’heure que tous n’en bénéficient pas - en revanche elle pose un très grave problème aux consommateurs des pays pauvres en particulier.
Je vais, dans un premier temps, tenter d’être positif. Même si l’actuelle envolée des cours ne dure pas très longtemps (selon l’avis du professeur Mazoyer), en cherchant bien on peut en effet trouver des effets positifs à cette crise alimentaire :
• D’abord, elle justifie le bien-fondé des politiques agricoles et de la régulation des marchés agricoles. Sous la pression des partisans du libre-échange, les impératifs de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’imposaient à tous ces dernières années. Cela va changer.
• Ensuite, les émeutes de la faim ont sensibilisé les citoyens à la situation des pays pauvres dont la dépendance aux produits importés s’est fortement accentuée.
• De plus, la Commission européenne (notamment son président Barroso, les commissaires au commerce, Mandelson, et à l’agriculture, Madame Fischer Boel) fait la preuve de son insensibilité aux besoins des populations. Ces responsables sont guidés exclusivement par leurs positions idéologiques et politiques libérales, ce qui les conduit à refuser toute inflexion de l’orientation de la Politique agricole commune (PAC). Désormais, cela se voit !
• Enfin, cette crise alimentaire, qui s’ajoute aux crises climatique, énergétique et financière, oblige les Etats et les populations à voir les réalités en face, ce qui les amène à remettre en cause le néolibéralisme. Il s’ensuivra, on peut le penser et l’espérer, des comportements citoyens nouveaux, conduisant à faire confiance, au moment des élections nationales, à des gens qui représenteront les intérêts du peuple, avant ceux des multinationales.
Actuellement, l’idéologie libérale exerce son emprise partout, en partant d’un consensus supranational sur la globalisation, relayé par des élus politiques consentants ou complices, au niveau des Etats.
Une alternative politique partira des nations et des Etats et se propagera vers l’Europe et les organisations internationales. Ainsi, la réorientation de la politique européenne, éminemment souhaitable, sera la résultante d’un changement de politique au niveau national (…).
Cet article est le 213ème publié sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.