Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Maintenir le toit européen au-dessus des monnaies nationales
Voici le 4ème des articles successifs dont le contenu est issu de la Fondation Res Publica. Voir
Res Publica : de l'euro monnaie unique à l'euro monnaie commune - 12 janvier 2013
Le jeu subtil entre les USA et la Chine tournera en faveur de la Chine - 11 janvier 2013
Jean-Yves Autexier (Fondation Res Publica) pour l'Europe des projets - 10 janvier 2013
La Fondation Res Publica a été créée en décembre 2005 sous la forme d’un établissement reconnu d’utilité publique. Elle s’est donné pour objectif la réflexion, l’analyse et la capacité de proposer des choix de politiques publiques, face aux grands enjeux actuels, dans le cadre national et dans le cadre du monde globalisé. C’est un centre de réflexion et de proposition sur les enjeux principaux du monde d'aujourd'hui
L'euro monnaie unique peut-il survivre ?
· Introduction de Jean-Pierre Chevènement
· La crise de l’euro et l’économie mondiale. Intervention de Dominique Garabiol, Directeur de Banque, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
· Tout est bien qui a une fin. Intervention de Wilhelm Nölling, Professeur d’économie à l’Université de Hambourg (Allemagne), ancien parlementaire et ancien membre du SPD et de la Bundesbank.
· L’Euro contre l’Europe : pourquoi le passage à une monnaie commune est aujourd’hui la seule solution raisonnable. Intervention de Jacques Sapir, Directeur d’études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
· Le système monétaire de l’euro, une opportunité pour la monnaie commune. Intervention de Claude Gnos, Chercheur associé au Centre d'Etudes Monétaires et Financières, Université de Bourgogne, International Economic Policy Institute, Université Laurentienne (Canada).
· Sauver l’euro par une monnaie commune et non unique. Intervention de Jean-Michel Quatrepoint, Journaliste économique, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
· L’union monétaire est rompue. Intervention de Jean-Luc Gréau, Economiste, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
· Conclusion de Jean-Pierre Chevènement et débat final
Conclusion de Jean-Pierre Chevènement
Avant de passer la parole à la salle, je voudrais hasarder quelques considérations politiques.
S’il est très difficile de sortir de cette situation c’est – cela vient d’être explicité – que ceux qui nous dirigent, dans tous les pays d’Europe mais particulièrement en France et en Allemagne, ont couvert dès le départ cette construction qu’est la monnaie unique. Ils ne peuvent donc pas porter un diagnostic sûr concernant la crise de la monnaie unique. Ils y voient une crise de la dette. Ils ne comprennent pas que c’est par un effet de structure que la monnaie unique ne peut pas marcher. En effet, comme le disait le Professeur Nölling, elle agglomère dans une sorte de patchwork des économies trop différentes.
On ne peut pas sortir de cette situation en un dimanche, comme on le faisait autrefois quand il s’agissait de procéder à une dévaluation ou à une réévaluation, parce qu’il faudrait pour cela mettre d’accord beaucoup de gouvernements, après avoir mis d’accord les Allemands entre eux, les Français et les Allemands … et tout cela d’une manière relativement confidentielle ! C’est quasiment impossible.
Comme l’ont fort bien dit les précédents intervenants, en particulier M. Gréau, nous allons rentrer dans une récession qui va tourner à la dépression et on peut s’attendre, comme l’a dit Jean-Michel Quatrepoint, à ce que des pays comme l’Espagne soient confrontés à l’hypothèse inouïe de leur démembrement en entités séparées. Ce n’est pas possible. Des forces se mettront en mouvement pour l’empêcher. Au-delà de l’Espagne, l’euro fragilise toutes les nations européennes, en interne et dans les relations qu’elles entretiennent entre elles. L’euro ne peut qu’aigrir les relations entre les pays qui le constituent.
Seule une crise très grave pourra imposer la solution de bon sens qu’est la sortie concertée de l’euro (que préconise un ancien ministre des finances brésilien, M. Luiz Carlos Bresser-Pereira (1)). Seule une telle crise – et le mûrissement des esprits de part et d’autre du Rhin, mais surtout en Allemagne – peut permettre cette décision qui ne doit pas apparaître comme la répudiation de l’euro en tant que symbole de l’ambition européenne mais seulement en tant que modalité inadéquate de rapprochement entre les monnaies.
Nous nous proposons de sauver l’euro pour sauver l’Europe en changeant simplement sa nature. En transformant, par un coup de baguette magique, l’euro monnaie unique en euro monnaie commune nous sauvegarderions l’euro devenu l’étalon, la monnaie pivot qui permettrait de maintenir le toit européen au-dessus des monnaies nationales. Celles-ci devraient dévaluer ou réévaluer dans des proportions à peu près équivalentes à celles qu’a dites Jean-Michel Quatrepoint.
Cette sortie est possible mais elle n’est pas envisageable aujourd’hui. Ne nous leurrons pas, l’état d’esprit de nos élites dirigeantes n’est pas du tout celui que je viens de dire. Nous devrons donc patienter encore quelques temps, aller de crise en crise, de sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance jusqu’à ce que l’évidence finisse par s’imposer.
Je dis au Professeur Nölling que je ne crois pas beaucoup à un petit noyau dur à quatre ou cinq pays qui seraient sans doute l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas. La France, quant à elle, présente un écart de compétitivité de 15 à 20 points par rapport à l’Allemagne, ce que Mme Merkel a d’ailleurs fait remarquer récemment.
Certes, il est très important que la France et l’Allemagne portent ensemble le projet européen. Mais ce projet européen ne doit pas commencer par la monnaie. Il doit être un projet industriel, un projet de politique extérieure, de politique de défense etc., peut-être un projet de transition énergétique. On peut imaginer d’articuler le projet européen de différentes manières et de remettre la monnaie à sa place. Je ne dirai pas qu’il faut faire de la monnaie la servante de la politique parce que je sais que nous n’avons pas la même conception de la monnaie de part et d’autre du Rhin. Votre ancien ambassadeur, M. Reinhard Schäffers, faisait observer à juste titre que la monnaie est, pour l’Allemagne, une valeur sacrée et, pour les Français, un moyen de politique économique. Entre nos deux peuples, ajoutait-il, il faut trouver des compromis. Nos deux peuples doivent continuer à se parler et leurs dirigeants trouver de bons compromis. C’est fondamental.
Mais les bons compromis présupposent de bonnes analyses. Pour le moment nos dirigeants ne font pas de bonnes analyses. Nous devons les amener à faire de bonnes analyses. Il faut encore « faire bouger les lignes ». Ce n’est pas facile.
Le Président de la République lui-même convient que la France a besoin aujourd’hui d’un choc de compétitivité. Depuis l’an 2000, nous avons perdu une partie de notre compétitivité et près de la moitié de nos parts de marché. Notre industrie est déclinante. Si nous rentrions dans le « noyau dur » que vous avez décrit tout à l’heure, monsieur le Professeur, nous serions exposés à la fois à la réévaluation de cet « euro-mark » (il faut l’appeler par son nom) et à la dévaluation compétitive de l’euro-lire et de l’euro-peseta, une situation difficile !
Il faut que nous pensions ensemble sereinement l’euro comme monnaie commune, comme toit européen commun abritant des monnaies nationales qui fluctueraient dans des bandes négociées selon le système que vous avez évoqué tout à l’heure, celui d’Helmut Schmidt et de Valéry Giscard d’Estaing, système qui, périodiquement, permettait la révision des parités en fonction de l’évolution des compétitivités respectives de chaque économie.
Politiquement, une grande vue européenne est absolument nécessaire si nous voulons proposer une solution qui ait quelque crédibilité. La décision de transformer l’euro de monnaie unique en monnaie commune doit être une décision européenne portée d’abord par l’Allemagne et par la France puis par tous les autres pays qui, d’ailleurs, ne demanderont pas mieux. Mais ce projet doit s’adosser à une vue européenne. Il faut qu’il soit bien entendu que nous ne voulons pas nous séparer de l’Allemagne, que nous pensons que nos destins sont liés, qu’il y a une communauté de destin aujourd’hui entre nos peuples. Pour bien connaître les dossiers (énergie, politique étrangère, défense), je mesure le chemin qu’il nous reste à parcourir.
Chaque pays doit pouvoir y trouver son compte. L’Allemagne doit et peut avoir une monnaie forte : elle produit des machines qui se vendent dans le monde entier et sa démographie l’encourage à garder une monnaie forte. La France n’a pas une économie aussi compétitive et nos exportations sont très sensibles aux élasticités-prix, ce qui nécessite une réindustrialisation et la remise au travail de nos chômeurs (10% de la population active !). C’est un projet national dans lequel les Français peuvent se reconnaître.
Nous devons penser tout cela de manière concertée. Un très gros travail reste à faire de part et d’autre. L’expression d’économistes anticonformistes (je n’ai pas dit « iconoclastes »), comme ceux que nous avons entendus s’exprimer ce soir à la tribune est très importante. Beaucoup d’économistes en France sont déjà ralliés à ce point de vue. Il faudrait qu’ils exercent un rôle beaucoup plus important dans la sphère politico-médiatique où, aujourd’hui, il n’y a place que pour une seule vérité ! Or, pour faire bouger tant d’esprits arrêtés, il faut utiliser les moyens de la persuasion. Je n’en vois pas d’autre pour le moment. La crise actuelle coûte beaucoup de souffrances et tous les moyens doivent être mobilisés pour raccourcir le temps qui nous sépare de l’administration d’une médecine efficace.
Jean-Pierre Chevènement, intervenant dans le débat final
Une telle monnaie commune aurait l’immense avantage de remédier aux déséquilibres de balances des paiements qui existent aujourd’hui au sein de l’Europe à dix-sept, déséquilibres très importants qui sont à l’origine de la crise et de la spéculation. Elle permettrait le rééquilibrage des balances des paiements et par conséquent une croissance simultanée dans les différents pays. Alors qu’aujourd’hui, l’absence d’autre choix que les plans de déflation interne entraîne tout le système vers le bas. Il y aurait donc une réponse en termes de croissance.
En termes monétaires, une telle monnaie commune pourrait être en quelque sorte le « panier » de différentes monnaies dont la plupart auraient dévalué dans des proportions plus ou moins fortes tandis que certaines d’entre elles, peut-on imaginer, réévalueraient. Cela peut se discuter, on l’a fait dans le passé. Mais il me semble que par définition cette monnaie commune aurait un cours inférieur à celui de l’euro monnaie unique actuel, sous réserve que certains pays comme l’Allemagne aient évidemment une monnaie dont le cours s’apprécierait (…).
Je voudrais ajouter un argument.
L’Allemagne ne peut pas accepter une union de transferts. Ceux qui nous parlent de « grand saut fédéral » méconnaissent totalement les disparités économiques, les disparités en termes de revenus, en termes de systèmes de protection sociale. L’économiste Bruno Amable a dit que ce serait sauter dans le vide (2) que de choisir l’harmonisation de tous les systèmes de protection sociale. Les régimes spéciaux en France sont d’une simplicité biblique par rapport à tous les régimes qui existent de par l’Europe. C’est un projet infaisable compte tenu de l’ampleur des transferts à réaliser.
Le budget européen représente 1% du PIB européen. Le taux moyen des prélèvements obligatoires en Europe est supérieur à 40 %. Donc la part européenne représente, à peine, 2,5% du total des dépenses « de solidarité » effectives en Europe.
Passer de 2,5 % aux 20 % ou 25 % nécessaires pour avoir quelque chose qui ressemble à une union de transferts est un saut absolument infaisable. C’est sauter à la perche pour atteindre la hauteur de la Tour Eiffel ! Aucun pays aujourd’hui relativement développé ne peut faire ce saut. Ce n’est pas possible. On ne peut pas demander ça à l’Allemagne, cela a été dit par Jean-Michel Quatrepoint. À la France non plus d’ailleurs ! Ce n’est pas une voie praticable. Quant à ce que d’aucuns appellent aujourd’hui abusivement « fédération », c’est un pur et simple système de coercition qui nous ferait passer dans une Europe post-démocratique (…).
Conclusion du débat
Si vous le voulez bien, nous allons en rester là ce soir.
Nous avons éclairé des gouffres. Pour sortir de cette situation, il nous faut avoir une grande vue d’avenir. On ne peut pas nous demander de rentrer dans le détail technique du projet de monnaie commune. Mais il faut au moins avoir cette idée stratégique qui seule permettrait à nos peuples de retrouver en eux la confiance dont ils ont besoin et dont le Professeur Nölling nous a parlé tout à l’heure. Les peuples doivent avoir confiance en eux, en leur avenir. Seule une décision stratégique de ce type permettrait de la leur rendre.
Prochain rendez-vous de la Fondation Res Publica : lundi 21 janvier 2013 sur le thème : Occident et mondialisation
Cet article est le 111ème paru sur ce blog dans la catégorie France et Europe