Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
La France n’est pas finie, le combat est devant nous
Hier, 28 janvier, à partir de 17h, Jean-Pierre Chevènement était l’invité de la librairie Doucet, située tout près de la place de la République au Mans.
L’auteur du livre* « La France est-elle finie ? » (=> Commander "La France est-elle finie?" sur le blog de Jean-Pierre Chevènement) a répondu aux questions de Madame Anne-Marie d’Argentré, puis du public présent (une centaine de personnes), avant de dédicacer le livre. Le tout en un peu moins de deux heures, le second rendez-vous manceau étant programmé à 19h dans les locaux de la télévision locale LM TV Sarthe (émission Tous azimuts - enregistrement visible bientôt sur le site).
Cette rencontre avec l’auteur est animée par la représentante de la librairie. Sans être spécialiste de politique, elle déclare avoir été touchée par la qualité littéraire du livre.
Jean-Pierre Chevènement a rappelé que ses deux parents étaient instituteurs et que, dès l’âge de 4 ans, il avait appris à lire les livres à la maison.
Seconde remarque : l’humour de l’auteur. Elle cite la partie placée sous le titre « La vie des saints », qui concerne Jacques Delors et son disciple, Pascal Lamy. « J’aime ces deux-là : leur dogmatisme libéral sans peur et sans reproche, tout enrobé qu’il puisse être de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir, comme l’archétype d’une totale inconscience (car je ne puis retenir l’hypothèse d’une hypocrisie parfaite qui pourrait s’exercer ainsi à découvert, de manière « libre et non faussée »).
Madame d’Argentré souligne d’entrée la place de l’Europe et de l’Allemagne dans ce livre qui parle d’avenir en parlant du passé.
Jean-Pierre Chevènement rappelle qu’il a suivi les évènements politiques de près pendant 40 ans, depuis le congrès PS d’Epinay en 1971. Ayant lu dans son intégralité le traité de Maastricht, au printemps 1992, il en a été révulsé, s’est battu contre sa ratification (référendum 20 septembre 1992) et a quitté le PS en 1993. Pour comprendre pourquoi la France en est arrivée là, il faut remonter loin dans l’histoire, d’abord la première guerre mondiale (1,4 million de morts pour la France entre 1914 et 1918) et l’effondrement de la France en cinq semaines en 1940.
Le choix européen a été une fuite en avant dans l’ambiguïté, l’Acte Unique étant en fait la transposition du néolibéralisme en Europe. A partir du diagnostic (constat de la supériorité de l’Allemagne en Europe, notamment), il s’agit de dessiner le projet pour la France du 21ème siècle.
Madame d’Argentré choisit six citations et autant de mots clés, demandant à chaque fois à Jean-Pierre Chevènement de commenter.
1- Les engagements initiaux (CERES, PS avec Mitterrand) : socialisme moderne, république sociale en préservant les acquis de la Vème République.
JPC : le socialisme et la République ne sont pas contradictoires (synthèse de Jaurès). Mon socialisme est républicain, basé sur l’égalité réelle des chances. Nous créons le CERES après la fin de la guerre d’Algérie. Guy Mollet nous a fait combattre dans le Djebel algérien, ce qui est absurde. Nous approuvons l’indépendance de l’Algérie et la volonté du général de Gaulle de restaurer l’Etat. Dans les domaines de l’Etat, de la politique étrangère, de la dissuasion nucléaire, de l’indépendance nationale, nous sommes d’accord avec de Gaulle. Par la suite, nous avons soutenu la consolidation des institutions de la Vème République. Je continue au Sénat, en tant que vice-président de la Commission des affaires étrangères et de la défense, à être le spécialiste des questions nucléaires.
Gaulliste devenu socialiste ? Socialiste gaullien ? De Gaulle était féru d’histoire (son père était professeur d’histoire).
Madame d’Argentré souligne que les références (Jaurès, de Gaulle) de ce livre très dense incitent à le recommander aux élèves de sciences politiques.
2- Le pari pascalien de Mitterrand
JPC : il rappelle ce qu’est le pari de Pascal pour Dieu, puis il explique celui de Mitterrand. Constatant la misère des nations (guerre des tranchées, nationalismes), il parie sur la perspective d’une Europe réconciliée au-delà des nations. En chemin, il confond nation et nationalisme (la maladie de la nation).
En réalité, il met en place la dérégulation, le néolibéralisme au niveau de l’Europe.
Je ne conteste pas le projet de réunir les peuples européens. Ce que je conteste radicalement, ce sont les modalités de la construction européenne.
3- La Chine est très présente dans le livre.
JPC : l’influence économique de l’Europe ne cesse de s’affaiblir au profit de l’Asie. Les multinationales font leur chiffre d’affaires dans les pays émergents. L’industrie française, qui faisait 30% du PIB en 1982, n’en fait plus que 13%. La Chine a un taux de croissance de 10% par an. Elle aura rattrapé le PIB des USA en 2025. L’Europe est prise en tenailles entre le dollar et le yuan, l’euro étant la variable d’ajustement.
4- le néolibéralisme. La gauche en est accusée dans le livre. En quoi est-elle responsable ?
JPC : 1983 est le tournant majeur. Puis, ce fut le Sommet de Fontainebleau en 1984 et l’Acte Unique en 1985. La machine était lancée. Impossible de l’arrêter.
Le néolibéralisme est la théorie devenue dominante à la fin des années 1970 (Thatcher, puis Reagan) qui considère que le marché sait ce qui est bon. Initiée dans l’économie, elle s’est étendue à d’autres domaines ensuite.
La gauche a été plongée dans le bain acide du néolibéralisme à son arrivée au pouvoir en 1981. Celui qui porte le mieux le projet néolibéral est Pascal Lamy, qui était au cabinet de Jacques Delors au ministère de l’économie et des finances, et l’a suivi en 1984 en tant que directeur de cabinet à la Commission européenne. Actuellement directeur de l’OMC, il symbolise le fanatisme libéral total.
Pour la droite, la situation est extraordinaire. En favorisant le néolibéralisme, la gauche a couvert ses retrouvailles avec l’argent et l’a délivrée des principes de solidarité sociale impulsés par le Conseil national de la résistance.
5 et 6- le bilan et l’avenir. Après la parenthèse néolibérale, la gauche doit se remettre à penser. L’avenir, c’est le projet pour la France en prenant appui sur la jeunesse.
JPC : le résultat, c’est la crise profonde qui n’est pas finie. Il faut remettre les neurones en marche.
En Europe, l’Allemagne dominante impose des plans d’austérité. Pourtant, elle réalise 60% de son excédent commercial au sein de la zone euro. La France est le seul pays qui peut faire un contrepoids à l’Allemagne. Celle-ci est myope, n’a pas de politique étrangère (son ministre actuel est nul). La France peut, si elle veut.
Questions de la salle
Votre position par rapport à l’euro. Vous n’êtes pas contre, sous réserve d’aménagements ?
JPC : J’étais contre le traité de Maastricht, créant l’euro, car les règles étaient celles d’un mark bis et c’était un transfert de souveraineté monétaire. Mais nous sommes dans l’avion. J’étais contre son décollage (il n’avait pas de plan de vol). Je propose de prendre le contrôle du pilotage afin d’atterrir en douceur. Normalement, la zone euro va éclater. Sauf si les règles sont changées. Sur ce point, Sarkozy n’est pas convaincant.
Le titre du livre, c’est votre choix ?
JPC : j’ai proposé comme titre « L’énigme de notre histoire ». Mon fils l’a trouvé trop prétentieux. J’ai proposé un titre en latin. On m’a dit que ce ne serait pas compris. L’éditeur, Claude Durand, a pensé que « La France est-elle finie ? » serait un titre accrocheur, correspondant au temps présent.
Pouvez-vous expliquer la cote de popularité de Dominique Strauss-Kahn ?
JPC : les sondages à 15 mois de l’élection présidentielle ne veulent rien dire. Je le connais très bien mais les gens ne le connaissent pas. Quand on sera près de l’échéance, les électeurs de droite retourneront à droite et certains électeurs de gauche s’éloigneront aussi. Sa candidature sera fragilisée. A titre personnel, c’est quelqu’un qui a plein de talents mais il a des choix libéraux de politique économique. Ce que Jospin a dit en 2002 (l’Etat ne peut pas tout) est faible par rapport à la réalité des positions libérales que DSK a développées au gouvernement. Cela signait l’acte de décès de la gauche. Récemment, il a pris le modèle de la Banque centrale Européenne pour l’organisation des décisions budgétaires des Etats européens. Une telle politique ne mérite pas qu’on en discute !
Votre démission au moment de la guerre du Golfe. Expliquez-nous.
JPC : dans le monde arabo-musulman, le choix est entre le soutien à la modernisation et l’islamisme. Les USA voulaient installer des forces armées dans cette région car ils n’avaient plus de gendarme sur place. Ils sont allés en Irak pour faire le malheur de ce pays, à partir de 1991, devenu un grand Liban. Je l’avais dit au ministre Dick Chesney, qui avait pris des notes. Mon désaccord avec le président de la République m’obligeait à démissionner.
J’ai été traumatisé par le résultat de Le Pen en 2002. Comment se fait-il que le modèle social de la gauche n’ait pu s’imposer en Europe ?
JPC : l’échec de 2002 se déduit du choix néolibéral du PS (le social libéralisme est une variante adoucie du néolibéralisme), à l’origine de son éloignement des couches populaires depuis l’ouverture de la parenthèse libérale en 1983 (jamais refermée par le PS). C’est en 2002-2003 que s’est opéré le décrochage des salaires par rapport aux profits (transfert de 10%). Les profits financiers n’ont pas été taxés. Refusant de voir la réalité, les socialistes de droite m’ont imputé la responsabilité de l’échec en 2002.
Triple question : le pouvoir du politique, les paradis fiscaux et quel candidat du PS soutiendrez-vous ?
JPC : Le G20 est une bonne initiative, encore faut-il que ses décisions soient suivies d’effets. Obama n’a pas la tache facile avec le nouveau congrès. La Chine a bénéficié il y a une dizaine d’années d’une adhésion à l’OMC sans qu’il lui soit demandé de contreparties, ce qui lui permet d’inonder le monde entier de ses produits (coûts bas). L’Allemagne libérale votera en 2013. Il peut y avoir un changement profond (si alliance SPD et Die Linke), en Italie aussi.
A Davos, les banques continuent comme avant, alors que leur responsabilité est très engagée. Il y a une responsabilité politique forte.
Je déciderai à l’automne par rapport à mon éventuelle candidature à l’élection présidentielle. J’aurais de la peine à voter Strauss-Kahn. Vis-à-vis du PS, je ne veux pas « mourir idiot » (comme on disait en 1968). Je connais la plupart des candidats PS potentiels. J’apprécie certains (Hollande, Fabius). Montebourg aussi. Il a du talent et du charme, mais manque d’expérience. Ce qui est très difficile, c’est de soutenir une politique à long terme. Le combat est devant nous. Il faut se ressaisir.
* Voir "La France est-elle finie?" de Jean-Pierre Chevènement, résumé en 10 pages - Résumé du livre de Jean-Pierre Chevènement (Fayard, janvier 2011) par Clément Lacaille, secrétaire de l’Union régionale MRC de Bourgogne.
Voir aussi : En conclusion de son livre, Chevènement lance un appel aux jeunes - 20 janvier 2011
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