Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Le livre d’un homme d’Etat dont la vision est unique en France
Jacques Sapir en conversation avec Jean-Pierre Chevènement, lors du colloque sur la mondialisation organisé par Arnaud Montebourg le 30 août 2011 à Paris
Remarquable, cette analyse par Jacques Sapir* du livre « 1914-2014 : l'Europe sortie de l'histoire? » de Jean-Pierre Chevènement
L’histoire, l’Europe et l’Euro
Le livre que Jean-Pierre Chevènement vient de publier chez Fayard est à remarquer, et à lire, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, il est passionnant et, n’en doutons pas, va provoquer d’importants débats. Ensuite, ce livre montre une hauteur de vue, une capacité à envisager l’histoire avec recul et sagacité dont peu d’auteurs sont capables, et encore moins des hommes politiques de premier plan. Or, Jean-Pierre Chevènement n’est pas un scientifique, un historien ou un spécialiste des relations internationales. Il est un homme politique, que l’on peut apprécier ou critiquer, mais qui est inséré dans la vie politique actuelle. C’est ce qui rend d’autant plus intéressant cet ouvrage. Enfin, les fortes conclusions de ce livre impliquent que son auteur n’a pas encore renoncé à peser sur l’histoire qu’il sait si bien analyser. Chacune de ces trois raisons est amplement suffisante pour justifier la lecture de l’ouvrage. Leur réunion en fait véritablement un livre unique.
À partir de la commémoration de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), l’auteur dresse un tableau général de la fin du « siècle européen », siècle qui commença en fait dans les années 1850 et qui s’acheva avec la mise en place du « Marché Commun » qui préfigurait l’Union Européenne. En fait, ce livre interroge cet apparent paradoxe : comme se fait-il que la constitution de l’Union européenne, qui se voulait l’achèvement d’un mouvement commencé avec la CECA dans les années 1950 aboutisse à la disparition politique de l’Europe et des nations européennes ?
L’introduction qui ouvre cet ouvrage fera date car elle fait litière des errements de la pensée que nous subissons depuis maintenant plus de trente ans. En particulier se trouve ici épinglée l’idée fausse que le besoin d’Europe est une « réaction » à la guerre de 1914-1918. En réalité, la construction mythique de l’histoire à laquelle se sont livrés les thuriféraires de l’Union européenne est soigneusement, minutieusement, et pour tout dire brillamment déconstruite par Jean-Pierre Chevènement. Il faut, pour justifier les institutions actuelles de l’Europe, construire la thèse d’une guerre survenue « par hasard » ou par « accident » et « par la faute des Nations ». Or, rien n’est plus faux, et l’auteur, s’appuyant sur de nombreux textes universitaires et les travaux de la recherche historiographique de ces quarante dernières années, le montre de manière irréfutable.
L’origine de cette guerre est bien à chercher non dans le « peuple » allemand, mais dans les élites allemandes qui ont délibérément choisi la guerre pour imposer leur domination tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Et c’est Joschka Fisher, l’ancien ministre des affaires étrangères de G. Schroeder qui peut soutenir que, contrairement aux apparences, le Traité de Versailles n’était pas trop dur mais trop doux. En fait, ceci peut s’expliquer par le fait que les structures tant économiques que politiques qui avaient produit la guerre en Allemagne survivaient. La question n’était donc pas tant celle des réparations, point sur lequel Chevènement donne raison à Keynes, que de la démocratisation en profondeur des structures sociales et économiques de l’Allemagne.
Mais l’origine de la « Grande Guerre » n’est hélas pas le seul point sur lequel joue une mémoire politiquement sélective qui n’hésite pas à faire disparaître les faits qui la gênent. Ce n’est pas seulement l’origine ou les causes du conflit qui ont été tordues et dénaturées par des politiciens ou des essayistes aux ordres. C’est aussi toute l’histoire de la guerre de 1914-1918 qui devrait être réécrite pour corriger les mensonges, soit directs soit par omission. Avec, pour commencer, le rôle de la Russie. La Russie n’est perçue qu’à travers l’alliance Franco-Russe avant 1914 et à travers la Révolution d’Octobre 1917. Mais qui se souvient que l’offensive des troupes russes contre l’Allemagne en août 1914 provoqua une telle panique à Berlin qu’elle imposa le retrait de nombreuses divisions du front occidental, ce qui rendit possible la victoire de la bataille de la Marne ? Si l’offensive russe fut un échec (ce que l’on ne pouvait prévoir) ce fut aussi à cause des divisions entre les généraux du Tsar.
Volonté d’ignorer le rôle de la Russie, escamotage des responsabilités des élites allemandes au profit d’une responsabilité des « nations », tel est le bilan, et il est lourd et significatif, de l’instrumentalisation politique de la mémoire aux fins de l’européisme. Le manuel franco-allemand pour les classes de premières en fournit d’autres exemples. C’est ce qu’établit précisément Jean-Pierre Chevènement. Et l’on peut y trouver l’origine de cette hubris fédéraliste qui pousse à la construction d’une Europe non-démocratique comme on le voit depuis le référendum de 2005 sur le projet constitutionnel. Car, pour les partisans du rêve fédéral, il est clair que « la souveraineté nationale, voilà l’ennemi » (…).
Tout cela est juste. Il fallait le dire, et la manière dont c’est dit dans l’ouvrage est certainement un de morceaux de bravoure de Jean-Pierre Chevènement. Il ne s’en tient pas là. Suit alors une réflexion tout aussi intéressante sur la question de l’identité, tant politique, culturelle qu’économique de l’Allemagne. Le lecteur y découvrira un Chevènement attentif aux débats d’outre-Rhin, maîtrisant à merveille les basculements que l’on a connus depuis 1820 dans l’histoire allemande. En tous les cas, ces pages prouvent combien sont fausses et dénuées de tout fondement les accusations d’anti-germanisme qui ont été parfois portées contre l’auteur quand ce dernier s’autorisait des critiques justifiées de la politique allemande (…).
La deuxième partie de l’ouvrage est certes intéressante mais incontestablement plus commune (…) Elle pose néanmoins des problèmes essentiels, qu’il s’agisse de l’internationalisation du Yuan, ou du fait que les questions douanières ont été aujourd’hui supplantées par les questions monétaires, ou encore du rapport entre valeurs spécifiques (et nationales) et valeurs universelles.
La question de l’ordre monétaire qui prévalut dans la « première » mondialisation et celui qui prévaut aujourd’hui est une question clef, qui sera d’ailleurs reprise dans la troisième partie de l’ouvrage. En effet, comment ne pas voir que la monnaie unique, l’Euro, a les mêmes effets délétères désormais que l’étalon-or ? De même qu’au tournant des années trente, l’Euro aujourd’hui pousse les pays que l’ont adopté vers des politiques de déflation dont les conséquences tant économiques que sociales sont absolument désastreuses. Les lecteurs de ce carnet connaissent mes opinions, et savent que je me bats pour que l’on dissolve la zone Euro. Ils ne seront donc nullement étonnés de me voir hautement apprécier les passages de la troisième partie du livre où Jean-Pierre Chevènement prend fortement position pour une semblable dissolution. Bien entendu, il ne s’agit pas de laisser les pays aller au gré des vents de la spéculation monétaire. Une fois retrouvées des monnaies nationales (mais nécessairement après cette dissolution de la zone Euro) on pourrait et l’on devrait penser à la constitution des formes de concertations monétaires pouvant déboucher sur une monnaie commune, utilisée avec les pays ne faisant pas partie de l’Europe. Jean-Pierre Chevènement va jusqu’à écrire : « Mais il est des circonstances où l’exigence du salut public commande la décision ». En d’autres termes, il n’hésiterait pas, s’il devait retourner au pouvoir, à agir unilatéralement si d’aventure nos partenaires devaient par trop traîner des pieds.
C’est une véritable vision d’homme d’État qui se révèle au lecteur, d’un homme d’État averti des réalités de la politique tant intérieure qu’internationale, et qui sait ce qui peut être fait en concertation avec des partenaires européens et ce qui doit être fait par la France, quitte à devoir le faire de manière unilatérale.
Cette combinaison de vision historique, d’expérience et de volonté, est peu commune dans le monde politique. Pour tout dire, elle est unique en France où des nains dansent sur les tombes de géants. C’est cette combinaison qui laisse aujourd’hui une place à l’espoir.
Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.
Cet article est le 179ème paru sur ce blog dans la catégorie CHEVENEMENT