Les médecins hospitaliers sont parfois sanctionnés
La revue n° 235 (janvier à mars 2013) « Les médecins des hôpitaux publics » a publié en « Point de vue » les réflexions de Patrick Nivet (voir Les médecins des hôpitaux publics" Janvier/Mars 2013) qui font suite à son expérience de membre, suppléant puis titulaire, de la commission de discipline des praticiens hospitaliers, section médecine et spécialités médicales, depuis 1999.
Non, les Praticiens hospitaliers ne sont pas à l'abri de sanctions disciplinaires.
De 1999 à 2013, 14 ans de commissions de discipline...
La commission de discipline existe depuis la création du statut de praticien hospitalier en 1984 ; elle a traversé jusqu'a ce jour toutes ces années sans grandes modifications. Sa composition et les sanctions sont les mêmes. Seule l'autorité de décision a changé puisque, depuis 2007 avec la création du centre de gestion des carrières des praticiens, le ministre n'est plus l'autorité de décision ; c'est le (la) directeur (trice) du centre de gestion.
Les procédures ont un peu évolué avec la loi HPST : le Conseil d'administration a été supprimé, le conseil de surveillance ne l'a pas remplacé dans ce rôle ; seul celui de la CME est dorénavant pris en compte avec celui de L'ARS.
Le conseil de discipline est sollicité par le centre de gestion. Lorsque la sanction qu'il envisage ne relève que du blâme ou de l'avertissement, il n'est pas obligé de le faire, Il peut prononcer ces sanctions directement.
Autrement dit le conseil de discipline n'est réuni que parce que l'administration souhaite ou envisage une des sanctions les plus lourdes : révocation de la carrière de PH, mutation d'office , rétrogradation d'échelon ou suspension pour une durée ne pouvant excéder six mois avec suppression totale ou partielle des émoluments.
Siégeant depuis plus de dix ans dans la commission de discipline des spécialités médicales, d'abord comme suppléant puis comme titulaire, j'ai revu les dossiers rencontrés, repris contact avec les praticiens concernés pour essayer a l'heure du pacte de confiance promis par la nouvelle Ministre de la santé de tirer un bilan et éventuellement faire des propositions.
Quelques considérations s'imposent
1) Etre traduit devant la commission de discipline est pour chaque praticien concerné une formidable épreuve, en elle même une sanction très lourde pour des praticiens qui, en général, on fait des erreurs mais qui, le plus souvent, aussi sont de bons praticiens très impliqués dans leur vie professionnelle. Il ne s'agit pas de la commission d'insuffisance professionnelle.
Dans la liste des mis en cause que j'ai revisitée, un d'entre eux ne l'a pas supporté au point de mettre fin à ses jours par pendaison avant même la commission, laissant toute une famille dans la désespérance (il avait 40 ans...).
Le parcours est long, s'étire sur des mois, le plus souvent un ou deux ans. La plupart sont suspendus par le directeur de leur établissement, le plus souvent très brutalement avec interdiction de pouvoir aller dans leur bureau, ce qui ne manque pas de les gêner dans l'élaboration de leur défense. Cette dernière est le plus souvent à leur charge; quand les praticiens concernés peuvent faire jouer une assurance (Cham, Sou Médical...), ils se plaignent souvent de la médiocre prestation des avocats qui leur sont fournis, essentiellement d'ailleurs par manque de connaissance du milieu et des habitudes médicales. Pour les autres, les frais sont vite très élevés.
2) Les praticiens hospitaliers peuvent être inculpés devant trois juridictions et être condamnés à une triple peine. Bien sûr, celle que peut leur infliger le centre de gestion après avis de la commission de discipline, mais aussi le conseil de l'ordre et les tribunaux civils, si l'un ou l'autre ou les deux ont été saisis. Cette triple mise en cause possible va à l'encontre de l'idée qui a parfois eu cours d'une certaine protection de la profession médicale, hospitalière en particulier.
Le calendrier de mise en oeuvre de ces juridictions n'est pas anodin et peut avoir un effet sur les avis émis tout autant pour les aggraver que les rendre plus cléments par ce que l'on pourrait appeler un effet boule de neige dont il faut se méfier.
3) La plupart des praticiens qui ont été jugés ne se plaignent pas des conditions d'écoute par la commission qui comprend six représentants de l'administration, six membres élus de syndicats Praticiens hospitaliers et un conseiller d'Etat comme président.
La lecture du rapport de l'IGAS est un moment évidemment difficile mais l'inculpé comme son avocat peuvent s'expliquer tout autant qu'ils le souhaitent et répondre aux questions posées par les membres de la commission. Les témoins sont possibles ; il faut d'ailleurs conseiller à la défense d'en amener ne serait ce que pour équilibrer ceux de l'accusation qui, de plus en plus, ne s'en prive pas.
4) La commission émet un avis, parfois à une large majorité, dans d'autres cas les votes sont plus difficilement acquis. C'est le Président qui rapporte le résultat des débats et des votes à l'autorité de tutelle.
En fait sur les dix huit cas répertoriés dans mon expérience, 9 fois l'avis de la commission a été suivi, dans sept cas il ne l'a pas été. Une seule fois le ministre ou le centre de gestion ont eu un avis plus modéré que la commission. Par contre, sept fois la peine a été aggravée, notamment deux mutations d'office se sont transformées en révocation. Renseignements pris, dans les deux cas les praticiens ne se sont pas relevés ni professionnellement ni humainement. Leur histoire personnelle prenant un tour absolument tragique.
Au contraire, lorsque la décision finale a suivi celle du conseil de discipline, la plupart des suites ont été, sinon acceptées avec enthousiasme, en tout cas vécues sans drame avec le plus souvent une poursuite de la carrière hospitalière dans de bonnes conditions. Une exception quand même pour une décision arrachée a une voix, mutation d'office d'un praticien qui ne l'a pas acceptée et a préféré s'installer dans le privé.....
Dans plusieurs dossiers, la commission a pu, après un débat approfondi, transformer des propositions de sanction graves en blâme, avertissement ou même en disculpation totale. Deux cas de ce type ont demandé un suivi efficace pour permettre le retour dans l'hôpital du praticien concerné.
Il faut a ce sujet faire très attention à la mutation d'office; sanction commode pour éloigner le praticien de son établissement, quelque soit l'importance des faits reprochés.... Les autres sanctions moins sévères et mieux adaptées impliquant le retour du PH dans son hôpital d'origine. La sanction se confond avec la solution...
5) Quant à la nature des problèmes posés, il faut remarquer une certaine diversité (Suspicion de pédophilie... suivi de patients post accident thérapeutique, euthanasie, non déclaration de maltraitance) mais beaucoup de dossiers retracent des difficultés entre le praticien et des membres de l'équipe médicale et plus souvent encore entre le Praticien et le personnel infirmier. Très souvent le directeur prenant fait et cause contre le praticien contesté, la CME jouant rarement un rôle d'apaisement. Des praticiens n'arrivent pas a éviter le développement de véritables cabales contre eux, ils ne voient pas venir l'orage qui les prend au dépourvu et ne peuvent le conjurer à temps.
Conclusions ?
Certes, il serait intéressant de connaître le nombre et les garanties des praticiens directement jugés par le CNG à la hauteur de l'avertissement ou du blâme. Néanmoins, au bout du compte, cette procédure paraît dans l'ensemble assez adaptée, ce qui explique sa pérennité.
Pour autant, la suspension est souvent trop vite prononcée par le directeur de l'établissement dans des conditions qui ne respectent pas la dignité du praticien d'autant que l'instruction du dossier est forcément longue. Très vite, dans beaucoup d'affaires, la presse locale et (ou) nationale s'empare du dossier ; le Praticien perd tout droit à la présomption d'innocence avant que d'être condamné.
Quand la sanction, ou l'absence de sanction, permet le retour du praticien dans son hôpital, il doit être accompagné par l'administration (au lieu du contraire parfois constaté ???)
Il faut se méfier de l'effet cumulatif mécanique des peines prononcées par des juridictions différentes dont le temps judiciaire et les moyens d'instruction sont différents.
Dans le cadre des mutations d'office, les hôpitaux sollicités doivent faire preuve de compréhension plutôt que de réserves. En général, les praticiens qui acceptent la sanction sont très désireux de mener une carrière dorénavant sans histoire (chat échaudé craint l'eau froide). L'expérience du reclassement de plusieurs d'entre eux (quatre dans mon expérience) est à ce sujet très convaincante.
Dans tous les cas, le rôle des syndicalistes que nous sommes, c'est bien sûr de ne pas défendre les yeux fermés nos collègues mais néanmoins de garder vis-à-vis d'eux une capacité d'écoute, voire de conseils, en tout cas de confraternité, qui leur a parfois manqué.
Cet article est le 61ème paru sur ce blog dans la catégorie Santé et sécu sociale.