Des points essentiels, non dits, dans l’histoire de Salmson
Georges Minzière*, ancien salarié Salmson, syndicaliste, secrétaire du comité central d’entreprise, voulait d’abord réagir à l’article de Ouest-France (voir Laval. Salmson, des pompes tournées vers l’étranger), afin de rétablir la vérité concernant le rôle de Robert Buron, ancien ministre et député de la Mayenne, et de Francis Le Basser, sénateur maire de Laval, dans l’implantation de Salmson à Laval en 1962.
Parler de « copinages » avec Robert Buron pour expliquer la décision d’implanter l’entreprise à Laval, c’est introduire le risque d’un malentendu. Pourquoi ne pas dire clairement que les relations entretenues par Georges Salmson et Robert Buron dans un réseau de Résistance lié au général de Gaulle, en 1942, ont été déterminantes dans ce choix ?
Pourquoi ne pas rappeler les efforts financiers consentis par la ville et, notamment, le rôle décisif du maire, Francis Le Basser, afin de faciliter l’implantation de Salmson à Laval ?
Voir Salmson en Mayenne : comment l'entreprise s'est implantée à Laval - 31 déc. 2012.
Georges Minzière voulait aussi souligner le parcours exceptionnel du fondateur Emile Salmson, sa capacité d’adaptation et d’invention de nouveaux produits, contribuant ainsi à l’effort de guerre entre 1914 et 1918, au service de l’Etat.
Né le 12 septembre 1859 à Paris, il était le fils de Jean-Baptiste Salmson, d’origine suédoise, arrivé à Paris en 1822. Devenu ingénieur, en 1890, Emile installe à Paris une entreprise qui fabrique, notamment, des pompes centrifuges. En 1896, la société devient « Emile Salmson et Cie », ingénieurs constructeurs. L’entreprise emploie dix ouvriers à Paris et dispose d’un magasin d’exposition. Sa production est variée, allant des pompes aux ascenseurs, en passant par les moteurs. Voir les repères historiques sur l’évolution de l’entreprise Salmson dans l’article :
Voir Les 50 ans des Pompes Salmson à Laval : une belle histoire industrielle - 30 déc. 2012.
Georges Minzière ne sait pas ce qui a conduit la famille Salmson à vendre l’entreprise au groupe américain Nash, en 1961, pendant la construction de la nouvelle usine à Laval. Cela ne manqua pas d’inquiéter les élus qui avaient accepté l’implantation de l’entreprise en consentant d’importants efforts financiers, au nom des contribuables lavallois.
Il se souvient de la décision, en 1976, de la holding américaine ITT (téléphonie), de vendre LMT et Salmson, achetées en 1962. ITT voulait vendre LMT (Le Matériel Téléphonique) et garder les Pompes Salmson. Le président Giscard d’Estaing s’y était opposé. Thomson (avec des fonds publics) a tout racheté à ITT.
Par la suite, Salmson a pris le nom de « Société Electro-Hydraulique » au sein du groupe Thomson (téléphonie et mécanique), lequel s’est désintéressé de ce secteur de production. Un PDG, nouvellement embauché, avait licencié 80 personnes (ingénieurs et cadres), ce qui montrait à l’évidence qu’il ne voyait pas d’avenir à Laval pour Salmson. Georges Minzière, secrétaire du comité central d’entreprise (à partir de 1979), était très inquiet de l’évolution de la situation.
Ce qui a sauvé Salmson est la nationalisation du groupe Thomson. Voir Wikipédia Loi de nationalisation du 13 février 1982. Thomson-Brandt et Thomson-CSF (dont fait partie LMT et, donc la SEH, ex-Salmson) sont nationalisés en 1982 et regroupés en un seul groupe, Thomson SA, en 1983, avec organisation autour de deux pôles : l’électronique grand public et l’électronique professionnelle, essentiellement militaire.
Alain Gomez, proche de Jean-Pierre Chevènement (ils avaient créé le CERES ensemble en 1966) est le nouveau président de Thomson en 1982. Il a reçu Georges Minzière**, accompagné d’une délégation du comité d’entreprise, qui veut lui présenter la situation très particulière de la SEH. Un collaborateur du président Gomez, Paul Calandra, qui sera nommé directeur des ressources humaines de Thomson, s’est déplacé à Laval. Il fera en sorte de consolider la SEH avec des investissements. Le PDG de la SEH, qui avait licencié 80 cadres, a disparu de l’organigramme SEH, suite aux protestations des représentants des salariés. Ceux-ci reprennent confiance, car ils sont écoutés par la direction de Thomson. Celle-ci prépare la vente de la SEH, car la fabrication de pompes ne peut pas rester dans le groupe Thomson restructuré.
L’évènement se produit en 1984. L’allemand Wilo (le groupe Opländer, société familiale, Dortmund) est acheteur. Il produit le même type de circulateurs, selon le même brevet de fabrication, qu’à Laval. Les syndicats de Salmson Laval se rendent sur place en Allemagne.
La direction Thomson propose la dénationalisation, démarche complexe qui rend possible la vente de Salmson. Le comité d’entreprise, les syndicats, pouvaient s’y opposer. Ils ne l’ont pas fait.
Les Allemands disposent d’un bon système de fabrication et du financement. Ils ont un projet industriel de développement européen à l’international. Les deux entreprises (Wilo et Salmson) conservent leurs spécialités et leurs marchés. Elles restent concurrentes et autonomes, mais pratiquent la coopération au sein du groupe Wilo-Salmson entre les deux entreprises. La langue commune est l’anglais.
La rencontre entre Salmson et Wilo a montré des différences de culture d’entreprises.
- Salmson, qui avait sur le site de Laval, des ingénieurs, des concepteurs, des laboratoires d’essais, savait s’adapter au marché en pratiquant la flexibilité (moins de stocks), avec le travail par équipes. Les salaires et charges étaient 30 % moins élevés qu'en Allemagne.
- Wilo ne travaillait pas le vendredi après-midi, ne pratiquait pas le travail par équipes. Il a été contraint d’évoluer dans son fonctionnement, vers davantage de flexibilité. Le syndicat IG Metal contrôle le recrutement (40 à 50 % des salariés sont syndiqués à IG Metal). Le président est un salarié en Allemagne.
Deux directeurs ont joué un rôle décisif dans la réussite de Wilo et de Salmson, séparément puis ensemble : Messieurs Opländer (Wilo) et Crupaux (Salmson).
Dans l’édito du journal interne de Salmson (n° spécial 41, mai 1995), Paul Crupaux, directeur de l’entreprise Salmson, mais aussi directeur industriel du groupe Wilo-Salmson, que Georges Minzière qualifie de « vrai patron d’industrie », écrivait, au moment de prendre sa retraite :
« Il y a déjà 25 ans que je suis arrivé à Laval pour y lancer la fabrication des moteurs électriques de circulateurs (…). 25 années riches d’expériences, de moments forts, d’échanges et de travail axées vers cette même ambition : faire de SALMSON une usine exemplaire, solide et solidaire, une entreprise pérenne et autonome, dont le savoir-faire, la compétence et la performance fûssent incontournables pour le développement de l’entité dont elle allait finalement faire partie, le groupe OPLAENDER. (…).
Primordiale pour la crédibilité de SALMSON, cette capacité d’intégration nous a permis de traverser quelques zones de turbulences dont nous sommes sortis sans aucun licenciement. Mais cette victoire n’aurait sans doute pas été possible sans l’aboutissement de la mission que je m’étais donnée parallèlement : assouplir un mode de gestion sociale demeuré trop longtemps directif pour mettre en place un climat le plus serein possible, par la concertation, l’information et la transparence.
Et peut-être est-ce là le point le plus important de nos 25 années de collaboration : j’ai beaucoup appris de vous ; vous avez, de votre côté, intégré mon message… Tout ceci, tous ces échanges, ont apporté à SALMSON sa force et sa richesse : une véritable culture d’entreprise, une spécificité qui sera un formidable atout pour relever les challenges qui vont désormais se jouer à l’échelle de l’Europe, au sein du Groupe OPLAENDER (…).
En conclusion, Georges Minzière propose de remercier toutes celles et ceux qui ont apporté leur concours à l’implantation de Salmson en Mayenne, puis à la réussite de son parcours industriel depuis 50 ans.
Merci à Robert Buron et à Francis Le Basser. Merci à la femme de ménage d’origine mayennaise qui n’aurait pas été sans influencer Georges Salmson (ou l’un de ses frères…) de choisir la Mayenne.
Merci au président Giscard d’Estaing, qui a permis de maintenir la fabrication de pompes en France, face à ITT, qualifiée de « sauvage »…
Merci aux acteurs de la nationalisation et aux dirigeants du groupe nationalisé Thomson, qui ont sauvé Salmson !
Et merci au remarquable dirigeant industriel que fut Paul Crupaux à Saint-Melaine.
* Voir Georges Minzière, syndicaliste CFDT retraité de l'industrie, citoyen actif - 5 mai 2012
** Depuis 1979, en Mayenne, Georges Minzière était secrétaire fédéral du PS aux entreprises, sous ma responsabilité de 1er secrétaire fédéral, cela jusqu’en 1983, et, en collégialité, de 1983 à 1985.
Cet article est le 13ème paru sur ce blog dans la catégorie Les élus en Mayenne.