La volonté du président Petit suscite l'incompréhension des scientifiques
Le 12 décembre 2024, Le CNRS a été plongé dans la stupeur lorsque le PDG Antoine Petit a annoncé la création d'un nouveau label accordé à un quart des unités de recherche, celles qui peuvent prétendre au niveau mondial.
Voir cet article (Fanny Marlier) du journal indépendant - géré par ses salariés - Alternatives Economiques publié le 7 février 2025 sous le titre Le projet de laboratoires « d’excellence » plonge le CNRS dans la stupeur.
La volonté soudaine du PDG du CNRS Antoine Petit de concentrer les moyens sur quelques laboratoires clés, dits « Key Labs », suscite l’incompréhension et une vive opposition de la communauté scientifique.
En contexte de disette budgétaire, faut-il arrêter de disperser les moyens de la recherche pour les concentrer sur quelques équipes et laboratoires susceptibles de peser dans la compétition internationale ? C’est la question que pose le projet de « Key Labs », avec lequel le PDG du CNRS Antoine Petit a pris tout le monde de court.
Ce fut en effet la stupeur quand, le 12 décembre 2024, ce dernier annonça à la convention des directrices et directeurs d’unités, représentant plus de 800 laboratoires, la création de ce nouveau label. Accordé à environ un quart des unités de recherches, et 46 % des personnels CNRS, il vise à « faire porter un effort particulier sur un nombre plus restreint d’unités, celles qui peuvent légitimement prétendre à être qualifiées "de rang mondial" », indiquait Antoine Petit.
Résultat : une part des ressources humaines plus importante sera affectée à ces laboratoires estampillés « Key Labs ». Le même jour, il annonçait également, et sans plus de concertation, la saisie de 10 % des « ressources propres banalisées » des laboratoires…
Quelque temps plus tard, un document précisait que l’objectif était « d’aider les très bons à devenir encore meilleurs ». Comme pour anticiper la fronde, le PDG Antoine Petit soulignait que « cette priorité ne signifie pas exclusivité », et qu’ainsi le CNRS n’abandonnerait pas les 75 % des laboratoires non labellisés Key Labs.
La précaution a fait long feu, d’autant que le projet n’a été présenté au conseil scientifique du CNRS que le 27 janvier dernier, cet attentisme mettant à mal la collégialité au cœur du fonctionnement de la recherche.
Perte de moyens humains
Sur le fond, plusieurs critiques émergent. Dans ses recommandations établies le 28 janvier, le conseil scientifique craint « une discrimination entre laboratoires » qui engendrerait des « tensions au sein des UMR [unités mixtes de recherche, cofinancées par le CNRS et d’autres organismes, NDLR] » et affecterait tous les personnels y compris ceux des universités et des écoles.
« Nous ne percevons aucun avantage dans ce dispositif tandis que le CNRS a déjà perdu au moins mille postes permanents en dix ans, insiste Olivier Coutard, le président du conseil scientifique du CNRS. Cela ne contribuera qu’à démotiver les collègues des laboratoires qui ne bénéficieront pas de ce label. »
Puisque les laboratoires se financent essentiellement aujourd’hui grâce à des appels d’offres, c’est surtout la perte de moyens humains qui inquiète les chercheurs. Avec moins de personnel et moins d’étudiants attirés, certains craignent que la mesure entraîne tout simplement la disparition de ces laboratoires moins soutenus.
« En instaurant la mise en concurrence de laboratoires de recherches, ce projet est tout simplement contraire à l’esprit du CNRS, martèle Thomas Perrin, directeur de recherche au sein de l’institution. Si vous concentrez les moyens humains sur 25 %, les 75 % vont tomber en déliquescence et vont fermer. »
La démarche n’est pas totalement surprenante de la part d’Antoine Petit qui, en 2019 déjà, avait suscité la polémique en déclarant vouloir élaborer une loi de programmation « inégalitaire », « vertueuse et darwinienne » pour la recherche. La pilule n’en est pas moins difficile à avaler, et pas seulement pour les chercheurs.
Absence de concertation
France Universités, qui rassemble les dirigeants d’un grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, avait demandé un moratoire sur le projet dès le 19 décembre. Demande réitérée dans un communiqué du 17 janvier, dans lequel les universités font part de leur « total désaccord » avec la méthode de la direction du CNRS et une annonce faite par « surprise » et « sans dialogue ».
D’autant que nombre des unités potentiellement visées sont dites « mixtes », car en cotutelle entre le CNRS et les universités. Or ni ces dernières, ni les instances syndicales, ni les autres organismes nationaux de recherche n’ont été consultés.
Cette absence de concertation a sans doute contribué à la vivacité de l’opposition au projet. D’après un sondage réalisé par l’Association des directions de laboratoires (ADL), près de 80 % des 428 répondants sont opposés à la mesure. Une motion de défiance réclamant « l’arrêt immédiat » des Key Labs et appelant à la démission d’Antoine Petit a recueilli plus de 10 000 signatures. Et une manifestation a été organisée devant le CNRS le 27 janvier, jour de la présentation du projet au conseil scientifique de l’organisme.
La mobilisation a porté quelques fruits. « Les conditions du dialogue n’étant pas parfaitement réunies », le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste, a annoncé un moratoire sur cette mesure lors de ses vœux du 30 janvier.
Désavouant quelque peu le projet du PDG du CNRS, le ministre a tenu à rappeler combien l’organisme scientifique « n’est pas une agence de labellisation. (…) On peut être une excellente unité de recherche et ne pas être associé au CNRS. »
Il a aussi précisé que l’instance « a vocation à avoir une stratégie scientifique qui ne peut être la somme de stratégies de sites et qui doit infuser sur son allocation de ressources ». Le lendemain, Antoine Petit annonçait dans un e-mail qu’une période de concertation s’ouvrait « jusqu’à l’été » (...).
Cet article est le 3453 ème sur le blog MRC 53 - le 165ème, catégorie France et Europe
Article paru le 10 février 2025 sur http://mrc53.over-blog.com/