Des circulaires ministérielles ont stigmatisé les Roms
L’été politique 2010 a été chaud en France… On le doit essentiellement à la volonté du président de la République d’exploiter un fait divers en pratiquant l’amalgame et la discrimination. Voir Roms et gens du voyage : la droite au pouvoir pratique l'amalgame - 29 juillet 2010.
Le CEAS Mayenne (réseau Culture et promotion) ayant eu la bonne idée de demander à Bernard Cossée d’écrire à ce sujet, je remercie Claude Guioullier de m’autoriser à reproduire son texte, ainsi que sa photo, publiés dans La Lettre du CéAS n° 263 (p4-9), septembre 2010.
Deux articles sont parus :
- l’un reprenant le texte (p9) rédigé par Claude Guioullier. Voir Polémique Roms et Gens du voyage : Bernard Cossée répond au Céas 53 - 16 novembre 2010.
- l’autre, reproduisant 2la première partie du texte de Bernard Cossée. Voir Polémique Roms et Gens du voyage 2010 : le récit de Bernard Cossée - 17 novembre 2010.
Voici la seconde partie du texte de Bernard Cossée, dans laquelle il décrit ce que fut le traitement de l’évènement par les pouvoirs publics.
Été 2010 : Roms, amalgames et discrimination (2ème partie)
Des citoyens français pas tout à fait comme les autres
Pour en revenir aux événements, le président Sarkozy avait dénoncé « les comportements de certains parmi les Gens du voyage et les Roms », mais il semble que Brice Hortefeux et plusieurs ténors de la majorité aient compris « la plupart » sinon « tous » ! De discours en interviews, les propos sont devenus des invectives, tous les clichés démagogiques y sont passés : absence de scolarisation, fraudes aux prestations sociales, voitures de fortes cylindrées…
Certes, certaines voitures de luxe peuvent paraître suspectes aux yeux du fisc, mais dans ces cas, l’administration dispose des moyens juridiques pour débusquer les éventuels fautifs et démanteler leurs trafics ; n’était-ce pas la mission des Groupements d’intervention régionaux (GIR) ? Cela permettrait de ne pas stigmatiser toute une population dont certaines familles sont réellement très pauvres.
Le moins qu’on en puisse dire, c’est que les propos gouvernementaux n’ont pas laissé indifférents. Des internautes tsiganophobes et anonymes ont inondé les blogs de commentaires injurieux… La boîte de Pandore était ouverte !
Pour autant, sur le terrain, la période estivale n’a été ni pire ni meilleure qu’à l’ordinaire, à l’exception de quelques départements où la pression policière s’est faite plus forte, notamment dans l’Hérault.
Les autres ont connu leur lot de stationnements illicites, avec ou sans expulsion, en raison principalement de la non réalisation, par de nombreuses communes, des aires d’accueil et de grands passages prévues et rendues obligatoires par la loi Besson (Louis) de juillet 2000. Brice Hortefeux l’a d’ailleurs explicitement reconnu à l’issue de la réunion du 28 juillet à l’Elysée, en affirmant vouloir « poursuivre la politique de développement des aires d’accueil ».
Il n’en reste pas moins vrai que l’émoi reste grand parmi les Voyageurs, les vieux sont inquiets et les jeunes révoltés d’être ainsi stigmatisés alors qu’ils sont Français.
Les autorités n’ont, du reste, pas manqué de leur rappeler qu’ils ont les mêmes droits et devoirs que tous les Français. Sauf que cette affirmation, maintes fois répétée, est fausse notamment quant aux droits civiques.
Ainsi, un sans domicile fixe (SDF) ordinaire a le droit, sous certaines conditions, de se faire domicilier dans une commune où il pourra être inscrit sur les listes électorales six mois plus tard, comme un sédentaire.
Tout Voyageur âgé de plus de 16 ans est dans l’obligation de choisir une « commune de rattachement » et une seule, où il pourra voter… trois ans plus tard, de sorte notamment qu’un jeune de 16 ans ne pourra voter qu’à 19 ans !
Des Européens confrontés à des choix réglementaires français
Avant de poursuivre sur le sort fait aux Roms migrants, il n’est pas inutile de rappeler les raisons de leur venue en France et de leurs conditions de vie.
En Roumanie à l’époque communiste, les Roms avaient tous un travail, ouvriers agricoles dans les fermes collectives, ou manoeuvres dans les usines.
Lors de la libéralisation du régime, d’une part ils ont été exclus du partage des terres, et d’autre part beaucoup d’usines ont fermé. Résultat, de nombreux Roms sont privés de ressources et vivent dans des conditions précaires. Certes, tous les Roms ne sont pas paupérisés, mais tous subissent une situation d’exclusion de la part du reste de la société. Ceux qui partent vers l’ouest européen ne sont probablement pas les plus démunis, mais ils cherchent un avenir meilleur pour leur famille, qu’elle les ait accompagnés ou qu’elle soit restée au pays.
Les chiffres, bien que rarement fiables, relativisent le phénomène. Parmi les populations roumaine et bulgare, les Roms sont respectivement estimés à 2,1 millions et 750 000, soit dans les deux cas 10 % du total des habitants. En France, selon les associations caritatives, le nombre de migrants Roms semble à peu près constant, autour de 15 000 dont 40 % d’enfants, les entrées compensant les sorties, situation sans commune mesure avec l’Italie et l’Espagne qui en compteraient au moins cinq fois plus. Dans l’état actuel des choses, on ne peut donc parler ni de raz de marée, ni d’invasion !
Ce qui pose problème aux politiques c’est la visibilité en zones urbaines de ces familles vivant dans des bidonvilles ou des squats. Le paradoxe est que ce « spectacle » résulte de choix réglementaires faits par la France. Rappelons que les Roumains et les Bulgares sont citoyens européens depuis le 1er janvier 2007, date de l’entrée de leur pays dans l’Union européenne.
La libre circulation des travailleurs, inscrite dans le traité de Rome, en est l’un des principes fondamentaux. Mais les traités d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ont autorisé les anciens États membres à déroger temporairement à ce droit, envers les ressortissants de ces deux pays, pour une « période transitoire » prenant fin au 31 décembre 2013.
Certes, comme les autres citoyens européens, ils peuvent entrer en France sur simple présentation d’une pièce d’identité et y circuler librement durant trois mois, puis y demeurer à condition de justifier d’une activité professionnelle ou de ressources suffisantes. Mais durant cette période transitoire, l’accès à l’emploi des Roumains et des Bulgares est soumis aux règles relatives au droit des travailleurs étrangers non européens, ce qui oblige les intéressés à solliciter un titre de séjour et une autorisation de travail, et les employeurs à payer une taxe, procédures dont la complexité, les délais et les exigences bloquent très généralement l’accès au marché du travail ; sans parler des difficultés liées à la langue et au manque de qualification de beaucoup.
Sans salaire, les ressources accessibles sont les soutiens associatifs, le travail au noir, la mendicité, le chapardage… Privées de statut, les familles n’ont accès ni aux aides, ni aux logements sociaux. Dans ces conditions, les seuls abris possibles sont les bidonvilles et les squats. D’autre part, l’extrême précarité favorise certaines activités mafieuses, notamment les prélèvements obligatoires sur les produits de la mendicité, encore qu’à ce jour aucune filière n’ait été démantelée ! De nombreux reportages ont traité de cette situation, mais on peut s’étonner que les quelques initiatives en faveur d’une intégration par le logement et le travail n’aient pas été mises en valeur, qu’elles soient associatives ou institutionnelles comme les « villages d’insertion », même si certains aspects ont pu faire l’objet de réserves.
Le sort des migrants roms à la une
Concernant les Roms migrants, la réunion du 28 juillet à l’Élysée n’innove guère. Le démantèlement des camps avec participation policière, les expulsions par décisions de justice et les retours volontaires avec versement par l’État d’une aide de 300 euros par adulte et 100 euros par enfant, étaient déjà mis en oeuvre depuis plusieurs années. La principale nouveauté du discours de Grenoble est d’avoir fixé des objectifs chiffrés pour les démantèlements, avec probablement l’espoir qu’ainsi un nombre accru de Roms accepte le retour « volontaire ».
Force est de constater que par le passé de telles mesures n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Lorsqu’un bidonville est évacué puis détruit, un autre sort de terre sur un terrain plus ou moins proche, squatté à son tour. Rien n’empêche une famille ayant reçu l’aide au retour, de revenir quand bon lui semble ; selon les associations, cette pratique concernerait deux tiers des intéressés.
Eric Besson, ministre de l’Immigration, en est bien conscient et promet d’y remédier par un durcissement de la réglementation. Enfin, il semble bien que, malgré l’agitation estivale et les multiples pressions, les retours volontaires n’aient pas véritablement explosé en août (4).
Le principal résultat des annonces gouvernementales est que les médias se sont intéressés au sort des migrants roms en France, d’autant que le sujet pouvait s’illustrer avec des images chocs et qu’il se prêtait au débat, voire à la polémique. Les Français sont désormais mieux informés sur un sujet pour lequel les organisations humanitaires avaient du mal à se faire entendre.
Fin juillet, les associations avaient dénoncé l’amalgame entre Gens du voyage et Roms migrants ; début août, elles s’insurgeaient contre le fait qu’une population entière soit stigmatisée et réprimée souvent violemment, en raison des délits reprochés à quelques-uns, en violation des principes de justice et d’humanisme de la République qui ne connaît que la responsabilité individuelle et non pas la culpabilité collective.
À partir du 20 août, de nombreuses autorités morales, religieuses et politiques, ainsi que des organisations internationales, font connaître leur désapprobation vis-à-vis de cette politique discriminatoire. Dès lors, le « ramdam » sur le Net s’équilibre entre les pour et les contre. Le samedi 4 septembre, une manifestation de protestation intitulée « Liberté, Égalité, Fraternité » se déroule à Paris et dans 130 villes de France, une mobilisation jamais vue sur ce sujet !
Le mot « Roms », neuf fois dans la circulaire du 5 août
Fait plus exceptionnel encore, le Parlement européen, se saisissant de l’affaire, adopte le 9 septembre une résolution, certes non contraignante, par laquelle il « s’inquiète vivement […] de la rhétorique provocatrice et ouvertement discriminatoire […] au cours des opérations de renvoi des Roms dans leur pays ». Il rappelle par ailleurs, « que les restrictions à la liberté de circulation […] ne peuvent se fonder que sur un comportement individuel et non sur des considérations générales relevant de la prévention, ni sur l’origine ethnique ou nationale ».
Ce à quoi Eric Besson rétorque en ces termes : « La France n’a pris aucune mesure spécifique à l’encontre des Roms. Notre droit ne connaît les étrangers qu’à raison de leur nationalité. Les Roms ne sont pas considérés en tant que tels, mais comme des ressortissants du pays dont ils ont la nationalité ».
Mais le lendemain même, parvenaient à la presse trois circulaires adressées en toute discrétion aux préfets, textes qui démentent les propos du ministre et éclairent d’un jour nouveau les événements de l’été.
La première datée du 24 juin et signée des deux ministres Brice Hortefeux et Eric Besson, demande aux Préfets, « sans attendre l’entrée en vigueur de modifications législatives et réglementaires actuellement en préparation (5) […] de procéder à l’évacuation des campements illicites dans les conditions prévues par la loi [… et…] de prendre, chaque fois que cela paraît pertinent, des mesures d’éloignement des occupants… ». Les préfets sont priés « de veiller à l’application immédiate de ces directives ».
Ainsi, plus d’un mois avant les événements de Saint-Aignan-sur-Cher, le dispositif répressif à l’encontre des Roms était déjà mis en oeuvre, sans toutefois que le terme Roms ne figure dans la circulaire.
Celle du 5 août, qui émane du ministère de l’Intérieur, rappelle les objectifs présidentiels, à savoir : « 300 campements ou implantations illicites […] évacués d’ici 3 mois, en priorité ceux des Roms ». Le but de cette circulaire est de « dynamiser les opérations » à partir du constat d’un « nombre trop limité de reconduites à la frontière ».
Dans ce texte d’à peine plus de deux pages, le mot Roms figure neuf fois, sans référence à la nationalité ! Alors que la notion d’ethnie ne figure pas dans le droit français, un tel ciblage pourrait bien donner matière à des recours en justice. La circulaire du 9 août complète la précédente et enjoint aux préfets d’informer le ministère « de toute opération d’évacuation revêtant un caractère d’envergure, ou susceptible de donner lieu à un écho médiatique ». Le spectacle continue… pour les Roms, c’est un drame !
Pour aller plus loin...
Sites Internet :
· www.ldh-france.org/IMG/pdf/Rapport_Romeurope_2009-2010.pdf
· www.gisti.org/ (site du Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Publications :
· Jean-Pierre Liégeois, Roms et Tsiganes. Paris : éditions La Découverte (coll. Repères), n° 530, mars 2009 (128 p.).
· Samuel Delépine, Quartiers tsiganes, l’habitat et le logement des Rroms en Roumanie en question. Paris : éditions L’Harmattan (coll.
« Aujourd’hui l’Europe »), 2007 (172 p.).
· Morgan Garo, Les Rroms, une nation en devenir ? Paris : éditions Syllepse (coll. « Histoire : Enjeux et Débats »), avril 2009 (239 p.).
· Christophe Robert, Eternels étrangers de l’intérieur ? Les groupes tsiganes en France. Paris : éditions Desclée de Brouwer, novembre
2007 (455 p.) ;
· Bernard Houliat (texte), Antoine Schnekk (photographies), Tsiganes en Roumanie. Rodez : éditions du Rouergue, 1999 (270 p.).
· Gilles Frigoli, Isabelle Rigoni et Claire Cossée, Migrations et Société. Centre d’information et d’études sur les migrations internationales, Vol. 22, n° 128, mars – avril 2010 (www.ciemi.org).
· « Roms de Roumanie : la diversité méconnue », Études Tsiganes. Fnasat – Gens du voyage, n° 38 (www.etudestsiganes.asso.fr/).
Cet article est le 37ème paru sur ce blog dans la catégorie La droite en France.