Amalgame insensé entre Gens du voyage et Roms migrants
L’été politique 2010 a été chaud en France… On le doit essentiellement à la volonté du président de la République d’exploiter un fait divers en pratiquant l’amalgame et la discrimination. Voir Roms et gens du voyage : la droite au pouvoir pratique l'amalgame - 29 juillet 2010.
S’agissant des Roms et Gens du voyage, je ne connais pas meilleur spécialiste que Bernard Cossée, président de l’Association mayennaise d’action auprès des gens du voyage (AMAV) et trésorier de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (Fnasat Gens du voyage).
Le CEAS Mayenne (réseau Culture et promotion) ayant eu la bonne idée de lui demander d’écrire à ce sujet, je remercie Claude Guioullier de m’autoriser à reproduire son texte, ainsi que sa photo, publiés dans La Lettre du CéAS n° 263 (p4-9), septembre 2010.
Mes relations d’amitié avec Bernard Cossée ne sont pas récentes, d’abord au niveau professionnel dans le développement durable agricole, puis dans la gestion des collectivités locales (dont la question difficile des Gens du voyage, que j’ai traitée en tant que maire de Saint-Berthevin et vice-président de la communauté de communes du Pays de Laval, qui a précédé Laval Agglo).
Je renvoie dès maintenant à des informations générales sur la question des Roms et des Gens du voyage, sur Internet : Roms (Wikipédia) et Roms et gens du voyage : l'histoire d'une persécution transnationale (Le Monde Diplomatique, 29 juillet 2010).
Pour commencer, voici la partie - page 9 de La Lettre du CÉAS, septembre 2010 - dans laquelle Bernard Cossée s’exprime à titre personnel, au côté de Claude Guioullier, qui tient la plume. Cela donne envie de lire le texte complet (à suivre, prochains articles …).
Bernard Cossée, président de l’AMAV « La stigmatisation est source d’insécurité » ...
Pour Bernard Cossée, c’est d’abord l’émotion qui l’a envahi, face à la brutalité des déclarations officielles discriminatoires et xénophobes, « une tsiganophobie d’État telle qu’elle ne s’était jamais exprimée depuis la Libération » ; puis, l’angoisse devant l’importance des moyens répressifs mis en oeuvre à l’encontre de populations en difficulté, sans le moindre respect pour les personnes, ni compassion vis-à-vis des enfants, des malades et des femmes enceintes, sans perspective de relogement.
Depuis, une certaine perplexité politique s’est ajoutée à ses premiers sentiments. Il ne peut pas imaginer que Nicolas Sarkozy puisse faire l’amalgame entre Gens du voyage et Roms migrants, «surtout connaissant ses origines familiales présumées, même au nom d’une propagande sécuritaire ».
Bernard Cossée considère « que la situation des Roms migrants est d’abord sociale et que la délinquance qui fait peur aux Français, est ailleurs : règlements de comptes sanglants en pleine rue, caillassage de bus, incivilités, profanations de tombes »…
La circulaire du 24 juin, dont la lecture fait froid dans le dos, apporte la preuve que cette politique anti-Roms était programmée bien avant les événements de Saint-Aignan. « Il s’agissait seulement, continue Bernard Cossée, d’instrumentaliser un fait divers au demeurant sans rapport avec le sujet, de provoquer l’émotion par une surmédiatisation, de réveiller les peurs qui permettraient d’ouvrir officiellement la chasse aux Roms. Il ne comprend pas selon quelle logique un gouvernement moderne et libéral, partisan de la déréglementation et de la mondialisation, peut ressortir les vieilles recettes d’un nationalisme traditionnellement replié à l’intérieur des frontières ».
Bernard Cossée doute que cette stratégie ait un quelconque effet sur la sécurité car « elle s’attaque aux conséquences au lieu de combattre les causes. La présence de Roms orientaux en France résulte des problèmes économiques, sociaux et sociétaux que rencontrent leurs pays d’origine et dont la résorption prendra du temps, même avec l’aide de l’Europe. Quel que soit le niveau de violence mis en oeuvre pour démanteler les bidonvilles et évacuer les squats, ceux-ci ne disparaîtront pas si d’autres mesures, sociales cette fois, ne sont pas mises en oeuvre, autant que possible avant le 31 décembre 2013, fin de la période transitoire ».
Concernant les Gens du voyage, Bernard Cossée se réjouit de la volonté exprimée d’accélérer la création d’aires d’accueil, en regrettant toutefois que Brice Hortefeux veuille réduire les normes de construction. Mais la difficulté majeure des maires n’est pas financière, « elle provient de l’attitude a priori hostile des riverains qui sont aussi… des électeurs. Or, la mise en scène d’une telle campagne officielle de stigmatisation à l’encontre des Voyageurs, conforte la population sédentaire dans ses peurs et légitime son opposition à l’implantation d’aires d’accueil, entravant ainsi les projets des municipalités. La contradiction est flagrante ! D’une façon générale, la stigmatisation est source de violence et donc d’insécurité ». La question que se pose Bernard Cossée est alors la suivante : «Le président Sarkozy n’est-il pas en train de se comporter à la manière d’un pompier pyromane ? »
Sous la IIIe République, déjà des « hordes errantes » et « vermines », comme un « parfum d’avant-guerre »...
Malgré sa propre indignation, Bernard Cossée pense que « certaines réactions hostiles à la politique gouvernementale ont été excessives, notamment celles qui ont fait un parallèle avec le sort fait aux Juifs par les Nazis.
Non seulement, poursuit-il, les faits ne sont pas de même violence ; bien que certains démantèlements aient pu ressembler à des rafles, un retour au pays en avion n’est pas une déportation en wagon plombé. Mais encore les griefs à l’encontre des uns et des autres n’étaient pas de même nature. Avant la guerre, on accusait les Juifs d’ourdir un complot mondial destiné à mettre la main sur la finance ; aujourd’hui on reproche à ces migrants roms de mendier ! »
Bernard Cossée pense « qu’il n’est nullement nécessaire de faire référence aux Juifs car, au cours de la IIIe République, la propagande contre les Romanichels (ancêtres des Gens du voyage) a été tout aussi féroce que celle qui accable actuellement les Roms. Après la défaite de 1870, une nouvelle migration de Roms, notamment de Roumanie (déjà !) où le servage avait été aboli en 1855, réactivait la méfiance des sédentaires. Les journaux parlaient alors de " raz de marée ", de " péril ", de " hordes errantes ", de " vermine " » … (…)
Au printemps dernier, afin de lancer l’année pour la mémoire de l’internement des Tsiganes en France, Bernard Cossée a présenté dans plusieurs cinémas de la Mayenne, le film de Tony Gatlif, Liberté. La même question lui a été posée plusieurs fois : « Pensez-vous que de tels événements pourraient se reproduire dans la France d’aujourd’hui ? » Il a répondu qu’il espérait que non, « encore que tout soit possible en période de guerre ». Désormais, si l’occasion se représente, il sait qu’il répondra : « OUI ! »
Cet article est le 34ème paru sur ce blog dans la catégorie La droite en France.