La droite, en difficulté, divisée, menacée d’implosion
La décision prise par le procureur de la République de faire appel de la décision du tribunal de relaxer Dominique de Villepin dans le procès Clearstream, aura des conséquences redoutables pour la droite au pouvoir. Comme si les effets de la crise économique ne suffisaient pas, le président de la République, chef de la droite, n’a pas dissuadé le procureur Marin de prendre cette décision. Pour le moins, car il l’en a, peut-être, encouragé.
Ce sujet est traité, ce 31 janvier, par les auteurs de La Lettre du lundi, sous le titre Le faux-pas de Catilina.
Sarkozy a donc décidé, par procureur de la République interposé, de faire appel de la décision de justice qui laissait Dominique de
Villepin sortir libre du prétoire dans l’affaire Clearstream. Nous ne commenterons pas dans ce billet cette instrumentalisation, par les deux parties d’ailleurs, de la justice, pour nous concentrer sur les raisons et les conséquences «
politico-politiciennes
» de cette décision.
Saluons tout de même au passage le travail des juges qui, dans ce type d’affaires, sont soumis à des pressions considérables. Leurs décisions, qu’ils essaient de baser sur le droit, sont commentées et déformées par tout un personnel politique qui ne considère les magistrats, selon les circonstances, que comme des «
emmerdeurs
» ou des outils pour abattre l’adversaire. Après cette nécessaire parenthèse, revenons au cœur de notre sujet.
Pour quelles raisons Sarkozy a-t-il effectué un tel choix
? Deux éléments ont, selon nous, pesé lourdement dans sa décision.
En premier lieu – c’est une évidence - le calcul politique. Sarkozy veut que Villepin patauge le plus longtemps possible dans la boue de l’affaire Clearstream et a fait sienne la fameuse formule
: «
Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
»
L’objectif est d’avilir Villepin, avec d’une part la quasi-certitude de le «
ligoter
» politiquement jusqu’au prochain procès – compte tenu de cette épée de Damoclès, il ne peut pas représenter d’ici là une alternative crédible à Sarkozy pour les élus et électeurs de la droite - d’autre part l’espoir de le voir condamné, même à une peine légère. Pour Sarkozy, ce serait un soulagement inespéré.
C’est là que nous découvrons la seconde raison – la véritable diront certains – de cet acharnement
: la peur, génératrice de haine. Sarkozy craint Villepin, crainte irrépressible qui se traduit par une agressivité sans bornes («
Je le pendrai à un croc de boucher
», disait-il de l’ancien Premier ministre) et par une haine pathologique.
Pour mieux comprendre les ressorts psychologiques de ce Catilina des temps modernes, il est tout à fait instructif de relire le dossier que consacra à Sarkozy le journal Marianne dans son édition du 14
avril 2007, avant la Présidentielle. Tout y est dit, tout est vrai et tout reste d’actualité.
Ainsi la remarque d’un ancien ténor de l’UMP
: «
Jamais un leader politique n’avait aussi systématiquement pris son pied à assassiner, les unes après les autres, les personnalités de son propre camp pour, après le carnage, rester seul entouré de ses chaouches.
» C’est un expert qui l’affirme…
De la part de Sarkozy, ces déversements de haine et cet étalage de rancœur se doublent de surcroît de lâcheté
: il a laissé tomber Fillon pour les régionales, créant par avance les conditions pour le clouer au pilori en cas de défaite sévère de la droite. Après avoir multiplié les rodomontades à l’occasion de ces élections, le prince-général se défile devant «
l’ennemi
» et se réfugie dans son palais.
Sur le plan politique, quelle pourrait être la conséquence de cet acharnement, de cette volonté systématique de détruire
? Sans doute la plus grave division que la droite ait connue depuis une trentaine d’années, quand giscardiens et chiraquiens s’étripaient au grand jour, n’hésitant pas à favoriser l’adversaire – Mitterrand en l’occurrence – plutôt que de voir gagner le rival de leur propre camp.
La révolte va donc gronder dans le camp de la droite. Les députés et élus de base le savent bien
: la situation sociale est catastrophique, les chiffres du chômage «
bidonnés
» à l’extrême pour faire apparaître des «
embellies
» aussi illusoires qu’éphémères. Ces mêmes députés et élus sont donc à la recherche d’une alternative à droite
: Villepin ne fait bien sûr pas l’unanimité mais c’est une porte de plus qui est en train de se fermer.
Si l’on ose une comparaison historique, une partie de la classe politique de droite aimerait bien disposer d’un Louis-Philippe si Charles
X était renversé, afin d’éviter que les «
rouges
» ne prennent le pouvoir. Ces «
modérés
» de droite vont donc de plus en plus s’opposer aux «
ultras
» pro-Sarko, prêts à suivre le prince dans tous ses excès et toutes ses folies.
Cette division de la droite peut-elle profiter à la gauche
? Difficile de répondre à une telle question. Elle peut espérer «
cartonner
» aux régionales mais, compte tenu de son précédent succès à ces élections, la barre est déjà placée très haut. Quant aux chances de réussir à la présidentielle, la réponse tient aujourd’hui de la divination…
Ce qui semble cependant fort possible dans cette partie d’échecs, c’est que la stratégie mise en œuvre par Sarkozy pourrait bien se retourner contre lui
: en voulant achever Villepin, il va aggraver les divisions dans son propre camp et donner ainsi une chance à la gauche de revenir «
aux affaires
» en 2012. À elle de relire Cicéron afin de montrer l’intelligence politique nécessaire pour tirer le meilleur parti du faux-pas de Catilina.
Revue de presse :
Clearstream : "une victoire de la justice" pour Robert Badinter (Le Monde, 30 janvier 2010)
Après la relaxe de Dominique de Villepin, prononcée jeudi 28 janvier par le tribunal correctionnel de Paris et l'appel formé le lendemain par le parquet de Paris, l'ancien garde des sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter, analyse les conséquences du jugement de l'affaire Clearstream. Pour le sénateur socialiste, la décision du président de la République de ne pas se constituer partie civile devant la cour d'appel de Paris lors du procès qui devrait se tenir fin 2010, début 2011, intervient trop tard. Elle laisse entière la question de la place du chef de l'Etat dans le procès pénal.
Affaire Clearstream : le gouvernement face au soupçon (Le Monde, 31 janvier)
Dossier : Clearstream, le match Villepin-Sarkozy (Marianne2, 31 janvier)
Carla Bruni attaque Villepin : les épouses à la rescousse (Rue89, 31 janvier)
Cet article est le 25ème paru sur ce blog dans la catégorie La droite en France .