Vers un salaire minimum légal en Europe
Que penser de cette Europe qui accueille de nouveaux pays sans se donner les moyens de rapprocher les conditions salariales et fiscales entre ses membres ?
Que penser de ce groupe industriel, portant le nom de Renault, symbole du progrès social en France, qui rachète en Roumanie l’entreprise Dacia dans le but de produire dans ce pays des voitures à bas prix en maintenant les salaires le plus bas possible ?
« Ce qui se passe à Pitesti, en Roumanie, où les salariés demandent plus de 50% d’augmentation de salaires, alors que la direction de l’usine en accepte 20%, est comparable à ce qui se passe dans l’usine Ching Luh Shoes, qui fabrique des chaussures Nike dans le sud du Vietnam, où les salariés demandent 15% de hausse des salaires (la direction en a accepté la moitié) ».
« Dans les deux cas, les salariés appuient leurs revendications sur la nécessité de compenser la forte inflation (+19% en un an au Vietnam, +30% en trois mois en Roumanie, selon les syndicats) ».
J’extrais ces informations de l’article du quotidien Le Monde (Alain Faujas, 4 avril 2008), intitulé « Les mouvements de revendications salariales se multiplient dans les pays émergents. Après avoir fait baisser les prix, la mondialisation attise leur flambée ».
C’est l’inflation qui est à l’origine de ces mouvements sociaux dans les entreprises. « En Chine, en 2007, les salaires urbains ont augmenté de 18% », selon le correspondant du Monde à Shangaï. « L’inflation a atteint 8,7% en février en taux annualisé et les prix de certaines denrées (viande, huile…) sont supérieurs de 50% à leur niveau atteint il y a un an » (même page du Monde).
Notre Vietnam, en Europe, c’est la Roumanie. Le 25 mars 2008, le site de Libération (www.liberation.fr) nous informe des mouvements sociaux engagés, la veille, par les salariés de Dacia (selon le correspondant du journal à Bucarest, Luca Niculescu).
« Chez Dacia, les ouvriers réclament leur part du succès de la Logan. La filiale roumaine de Renault fait face à une grève illimitée de ses ouvriers »
« Les dirigeants de Dacia n’en croient pas leurs yeux. «On s’attendait à des revendications salariales, mais nos employés exigent une hausse de plus de 60 %, s’exclame un responsable de l’usine de Pitesti (à 100 kilomètres au nord de Bucarest). Aucune usine au monde ne peut augmenter les revenus du jour au lendemain dans une telle proportion…».
Et pourtant. Les employés de Dacia ont entamé hier matin une grève générale d’une durée indéterminée pour réclamer 150 euros net supplémentaires ainsi qu’une majoration sensible des primes de Pâques et de Noël. «Plus de 80 % des salariés participent au mouvement», s’est félicité le leader syndicaliste Nicolae Pavelescu. Tous entendent ainsi profiter du succès de la Logan, dont les ventes ont bondi l’an dernier de 18 % pour atteindre plus de 230 000 unités.
Mais la Logan n’est pas la seule raison : l’usine de Pitesti se porte très bien et vient d’annoncer qu’elle va fabriquer une nouvelle berline, la Sandero, déjà assemblée et commercialisée au Brésil.
Pour ses employés, la success story de Renault se conjugue à un autre phénomène : le coût de la vie en Roumanie, qui s’est considérablement rapproché de la moyenne européenne ces dernières années.
Certains produits de base, comme le lait ou la viande, coûtent même plus cher qu’en France ou en Allemagne. C’est pour cela que les revendications salariales sont si élevées. «Les exigences sont justifiées, même si elles sont un peu exagérées», estime Ilie Serbanescu, analyste économique.
«Les entreprises multinationales présentes en Roumanie ont l’habitude de mal payer leurs employés…» Ce n’est pas l’avis de Dacia, qui fait valoir qu’avec un salaire moyen net de 390 euros par mois, ses employés sont rémunérés bien au-delà de la moyenne nationale (280 euros).
Les dirigeants de la marque seraient prêts à consentir une augmentation d’environ 20 % et mettent en avant tous les autres avantages dont disposent ses 13 000 employés : primes diverses ou vacances, un repas gratuit par jour plus des tickets restaurants, réductions dans les transports en commun, etc.
Malgré ces avantages, qui n’existaient pas il y a quelques années, les salariés roumains en veulent plus. «La Roumanie traverse une période d’état de grâce avec un quasi-plein emploi [le taux de chômage officiel est d’environ 4%, ndlr], une croissance économique forte de l’ordre de 7 % à 8 % annuels depuis une décennie, mais aussi un exode de plus de deux millions de personnes, soit 10 % de la population, notamment en Italie et en Espagne», assure le chroniqueur économique Constantin Rudnitchi.
(…) «Cette mobilité de la main-d’œuvre roumaine a largement modifié le rapport de force ces dernières années», poursuit Constantin Rudnitchi. «Avant, l’employeur faisait la pluie et le beau temps ; aujourd’hui, c’est souvent l’employé…»
Ce 9 avril, la grève continue et la justice roumaine l’a déclarée légale, selon l’article paru ce jour sur le site de La Tribune (www.latribune.fr).
« (…) Les grévistes, qui demandent une augmentation de salaires de 50%, ont rejeté mercredi les nouvelles propositions de la direction, inférieures de moitié à ce que réclament les salariés. "On veut une augmentation en conformité avec l'augmentation des prix en Roumanie, car les prix sont européens mais pas les salaires", argumente un gréviste. La moyenne des salaires chez Dacia est inférieure à 300 euros brut mensuels ».
Les syndicats européens demandent un salaire minimum légal dans chaque pays
Les syndicats européens emboîtent le pas. Ce matin, sur France Info, on apprenait que les salariés du groupe Renault, en France, manifestent concrètement leur solidarité avec leurs collègues roumains.
La Confédération européenne des Syndicats a mobilisé ses militants le 5 avril dans la capitale slovène, à Ljubljana. Ils étaient 20 000 dans les rues, dont des membres de la CGT, de la CFDT, de FO et de l’UNSA (voir l’article paru le 7 avril sur www.lemonde.fr).
Le secrétaire général de la CES, John Monks, a lancé la "bataille pour le salaire minimum" et dénoncé une Europe où "le pouvoir d'achat décline quand les profits augmentent". "Nous n'acceptons pas qu'il y ait 30 millions de travailleurs pauvres en Europe", a déclaré le Français Joël Decaillon, secrétaire confédéral de la CES.
Face à cette exigence, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, n'a eu de cesse d'appeler à la modération salariale, lors d'une réunion avec les ministres des finances européens. Tandis que l'inflation a atteint en mars le record de 3,5 % sur un an, les dirigeants européens craignent une spirale prix-salaires. M. Trichet a jugé que les gouvernements se "tromperaient lourdement" s'ils suivaient l'exemple de l'Allemagne, où les fonctionnaires ont obtenu 5,1 % d'augmentation. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, a estimé que "les travailleurs doivent pouvoir tirer bénéfice du retour de la croissance".