Ces sanctions ont provoqué un choc majeur pour l'économie internationale
L'évolution de la Russie était inquiétante il y a dix ans. La Fondation Res Publica avait rédigé une note en faveur du partenariat France-Russie. Voir (14 juin 2013) : Partenariat France-Russie, recommandé dans une note Res Publica.
Depuis l'invasion d'une partie du territoire ukrainien en 2014, et la décision des autorités russes de régler par la force armée le différend avec les USA et l'Union européenne, et, surtout, depuis le 24 février 2022, des sanctions économiques ont été appliquées à l'encontre de la Russie. Quels en sont les effets ?
L'Institut Montaigne a répondu à cette question, le 7 mars 2023, par un entretien avec Agathe Demarais. Voir Un an de guerre en Ukraine : quel bilan pour les sanctions économiques occidentales ?.
Jacques Sapir, chercheur en économie et spécialiste de la Russie, avec laquelle il a un partenariat, répond, lui aussi, sur le site Les Crises, qui l'héberge.
Voir (25 avril 2023) : Les sanctions économiques contre la Russie ont-elles échoué ? Par Jacques Sapir. Extraits.
La question de l’effet des sanctions prises contre la Russie depuis le début du conflit en Ukraine a été l’objet de nombreux débats. Elle doit désormais être posée et ce après près d’un an et demi d’application de ces dernières. Cette efficacité doit être évaluée que celle-ci soit économique ou politique, et en particulier il faut répondre à la question de savoir si la Russie a été isolée. De plus, il convient d’envisager les conséquences de long terme d’une action dont les conséquences pourraient être importantes, voire dévastatrices, pour l’organisation géoéconomique du monde. (...)
De plus, il convient de rappeler que l’économie de la Russie est nettement plus importante et plus diversifiée que ne l’était celle de l’Irak, de l’Iran, ou de Cuba, pays qui ont historiquement résisté aux sanctions. À cela, il faut ajouter que la Russie pouvait, et peut toujours, s’appuyer sur tout un groupe de pays importants, dont les positions allaient d’une neutralité bienveillante (Inde) à un soutien déguisé (Chine). L’Inde, notamment, s’oppose ouvertement aux tentatives « d’isoler » la Russie et considère que la position des pays occidentaux est hypocrite et inefficace. Par ailleurs, l’un des points qui a été oublié lors de la décision de sanctionner économiquement la Russie était que les pays dits « occidentaux » n’ont plus le poids qu’ils pouvaient avoir au sein de la production mondiale il y a vingt ou trente ans. Cette perte de puissance économique, et le fait que les pays occidentaux n’ont pu ou su faire partager leur point de vue au reste du monde, a considérablement affaibli l’impact des sanctions.
De ce fait, l’échec politique des sanctions était inévitable. Leur échec économique se mesurera dans le temps. Non seulement est-il évident que la Russie retrouvera son niveau économique du début 2022 sans doute à la fin de 2023, mais il est aussi clair que les sanctions sont appelées à perdre, dans les prochaines années, de leur efficacité.
Par contre, il est clair que ces sanctions ont provoqué un choc majeur pour l’économie internationale mais aussi pour les économies européennes. Elles ont fait voler en éclat ce qui restait du multilatéralisme, un fait qui est souligné par le FMI comme un facteur supplémentaire de risque, et accélérée des phénomènes de repli sur soi ou sur la constitution de groupes de pays réputé « amis », comme le montre le mouvement actuel d’élargissement des « BRICS ».
Ces sanctions, et en particulier les sanctions financières et le gel des avoirs de la Banque centrale de Russie, inquiètent de nombreux pays. Elles pourraient, dans les années à venir, accélérer une dédollarisation des échanges, même si ce processus sera probablement long. Ces sanctions ont aussi eu un important « effet Boomerang » important sur les pays de l’Union européenne, qui s’est manifesté par une forte accélération de l’inflation et une baisse générale de la compétitivité de ces économies.
Alors que les sanctions devaient, dans l’esprit de leurs initiateurs, démontrer la puissance du « bloc occidental » face à un pays considéré comme un « trouble-fête », voire un pays « voyou », elles sont en train de se révéler le catalyseur d’un processus de dé-occidentalisation du monde et de perte majeure de l’influence, politique, économique, mais aussi culturelle, de ce bloc occidental.
Cette tendance était déjà présente avant le conflit et l’usage des sanctions. Mais, elle pourrait avoir changé de nature avec la guerre et les sanctions. Le poids des pays n’appliquant pas les sanctions, et en particulier la Chine, l’Inde, mais aussi le Brésil et – paradoxalement – la Turquie (qui est pourtant membre de l’OTAN), en est sorti renforcé. La Russie, par sa capacité à résister à ces sanctions, bénéficie d’un prestige certain au sein des pays opposés au bloc occidental que ce soit en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie.
Les sanctions étaient censées contenir un conflit dans un cadre régional et isoler celui qui était considéré par le bloc occidental comme le fauteur de troubles. Elles se sont avérées être le point de départ d’un pivotement du monde qui remet en cause nombre de hiérarchies internationales tenues jusque-là pour acquises.
Cet article est le 3282 ème sur le blog MRC 53 - le 9ème paru sur ce blog dans la catégorie Russie