Pour relever les défis de l'avenir, il faut ouvrir une perspective au pays
Dans un entretien à Marianne, le 30 octobre 2024, répondant aux questions d'Etienne Campion, Jean-Pierre Chevènement a donné l'impression de vouloir "remettre la balle au centre" et de se situer dans la nouvelle période politique qui a commencé l'été dernier.
Le soutien au président de la République en 2022 ? "J'ai pensé, peut-être naïvement, que le président se conformerait aux intérêts supérieurs de la France"
Les prochaines échéances ? "Le moment venu, selon l’esprit des institutions de la Ve République, il faudra qu’un candidat émerge pour offrir, face à Marine le Pen, une véritable perspective au pays. Si quelqu’un pouvait s’inscrire authentiquement dans l’héritage gaulliste, cela changerait la donne".
Voici des extraits de cet entretien, dont la première partie est à retrouver dans le précédent article concernant les 20 ans de la Fondation Res Publica. Voir JP Chevènement : un livre collectif pour les vingt ans de Res Publica.
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Marianne : Vous avez toujours appelé à faire « turbuler » le système. Aujourd’hui, vos grands thèmes, comme la souveraineté, sont omniprésents dans les discours politiques, mais le compte n’y est pas en matière de politiques publiques. Quel regard portez-vous sur ce paradoxe ?
Jean-Pierre Chevènement : Vous avez raison : les discours évoluent plus que les politiques mises en œuvre. On ne peut cependant pas compter pour rien quelques inflexions majeures mais réversibles : ainsi l’emprunt européen de 2020 aurait pu changer la donne s’il avait été partagé dans d’autres domaines que la lutte « anti-Covid ». Force est de constater que l’Allemagne et les « pays frugaux » ont réussi à imposer le retour à l’observance des critères de Maastricht (déficits plafonnés à 3 % du PIB, endettement à 60 %). Nous triomphons dans les mots : la souveraineté fait partout son grand retour, mais c’est souvent pour être mieux déviée dans l’application.
Les partis dits « de gouvernement » puisent toujours l’essentiel de leur inspiration dans les orientations libérales adoptées au sommet de Maastricht mais il y a, de temps à autre, l’espoir d’une inflexion. Rien cependant qui ramènerait la droite à une lecture gaulliste des institutions ou de la politique étrangère. Rien non plus, bien sûr, qui amènerait la gauche à rompre avec un européisme qui lui fait oublier ce qui, dans son héritage, la rattachait à l’analyse des structures de production et des classes sociales. Au discours robuste sur le social, la gauche actuelle a substitué un langage fade sur le sociétal. À la base de la crise politique de la gauche, il y a d’abord une crise intellectuelle. C’est à cela que nous voulons remédier en priorité en renouant avec l’universalisme de la pensée en matière de sociologie ou d’analyse géopolitique. Certaines avancées deviennent possibles : ainsi sur la relance du nucléaire et le rachat par EDF à General Electric des turbines Arabelle (ex Alstom). Donc tout n’est pas que verbal, même s’il faut beaucoup de vigilance pour que les choses se concrétisent.
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Marianne : On vous décrit souvent comme un intellectuel parmi les politiques et un politique parmi les intellectuels. Le débat d’idées est-il pour vous le grand oublié de notre vie politique ?
Jean-Pierre Chevènement : Je suis convaincu que l’on ne peut pas faire de politique, encore moins parvenir à redresser la France, sans un travail de fond sur les idées. Dans l’ouvrage Res Publica, à travers la pléiade d’esprits aiguisés et de contributions inédites réunies, nous tâchons de renouer avec un discours construit, dont découle un cap clair. Nos élites, comme la politique française, sont à reconstruire et c’est à travers le travail intellectuel que la Fondation Res Publica entend y contribuer. Près de 200 colloques et autant de cahiers, depuis 2004, témoignent de notre persévérance et de la cohérence - au moins intellectuelle -, à laquelle, grâce à de très nombreux contributeurs, choisis parmi les meilleurs, nous sommes parvenus. Bref, le travail intellectuel, à mes yeux, ne se sépare pas de la recherche en politique. C’est pourquoi nous avons essayé de forger « des munitions pour l’avenir ».
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Marianne : Quelles seraient les priorités ?
Jean-Pierre Chevènement : Tout ce qui contribue à rouvrir un chemin vers l’indépendance de la France au sein de l’Europe, si c’est possible, sinon à ses marges, en empruntant la voie d’une Europe confédérale, à géométrie variable. Mais tout passe par un retour aux sources de l’exigence républicaine. Il est essentiel en effet d’en revenir au modèle républicain - dans sa vision non dévoyée - et à l’idée que le débat argumenté, dans le cadre national, là où le sentiment d’appartenance est le plus fort, est le préalable à toute action. Cela implique de « refaire des citoyens », à travers l’École et le principe de laïcité, de renouer avec le sens de l’État comme de l’intérêt général et de retrouver le goût du « commun ». Ensuite, on se doit de décliner cette exigence républicaine de manière volontariste dans les principaux domaines. En économie par exemple, la reconquête de notre indépendance industrielle, agricole, technologique, numérique et énergétique constitue la priorité. Il faut retrouver une pensée claire en ce qui concerne la nation comme communauté d’idées et de destin, à rebours du communautarisme que l’on voit croître et du délitement de l’État que certains tolèrent, quand ils ne le précipitent pas. L’ouvrage offre des voies de redressement à nos politiques publiques dès lors que la question nationale redevient centrale, et cela en tous domaines : administration du territoire, défense et industrie de défense, politique étrangère à nouveau audible vis-à-vis du reste du monde (...)
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Marianne : Certains de vos partisans n’ont pas compris votre soutien à Emmanuel Macron à la dernière élection présidentielle. Comment répondez-vous à ces chevènementistes déçus ? Si c'était à refaire, le referiez-vous ?
Jean-Pierre Chevènement : Emmanuel Macron a tenu, entre 2020 à 2022, des discours sur la reconquête de notre indépendance et sur la remise à l'honneur du patriotisme républicain qui correspondaient à l’intérêt de la France. Ce fut la période « anti-Covid ». Même la politique européenne avec l’emprunt collectif de 800 milliards d’euros semblait reprendre un sens. Dans certaines circonstances, il faut savoir faire confiance, ce qui implique une prise de risque. Mon soutien n’a néanmoins jamais été un blanc-seing. J’ai formulé des réserves, en rappelant, dès février 2022 dans un entretien au Journal du dimanche, que mon soutien à Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2022 (que, d’ailleurs, je n’avais pas soutenu en 2017) ne valait pas en matière de politique européenne.
Quand il a paru clair, au lendemain des élections législatives, qu'Emmanuel Macron changeait de perspective par rapport à sa ligne de campagne aux élections présidentielles, je me suis exprimé avec force, ainsi pour refuser que la France puisse envoyer des troupes au sol en Ukraine. J’ai été ministre de la Défense et je connais les engrenages auxquels peut conduire un conflit non maîtrisé avec une puissance nucléaire irresponsable. Maintenant, je n’entendais pas ouvrir une polémique permanente avec le Président de la République (...).
La France n’est pas finie, à condition qu’elle retrouve et redonne confiance en elle-même. Tel est le message que nous avons voulu faire passer dans cet ouvrage collectif dont « Munitions pour l’avenir » aurait pu être le sous-titre.
Voir aussi, concernant la vie politique de JP Chevènement : Accueil bienveillant de J-Pierre Chevènement au gouvernement Barnier
Cet article est le 3371 ème sur le blog MRC 53 - le 212ème dans la catégorie CHEVENEMENT