Le territoire souffre de la globalisation financière
Depuis qu’il a été élu sénateur du Territoire de Belfort, le 21 septembre 2008, Jean-Pierre Chevènement multiplie les Interventions en séance publique. Il saisit l’opportunité de l’examen des différentes parties du budget de l’Etat pour présenter son avis sur l’action du gouvernement et les orientations de la majorité parlementaire (voir www.senat.fr).
Le 4 décembre 2008, l’ancien ministre de l’Intérieur (1997-2000) est intervenu - Intervention 2 - pour Enrayer le déclin de l'aménagement du territoire. Voici des extraits de son texte, dans lesquels, s’adressant au secrétaire d’Etat, Hubert Falco, il aborde le contexte et ses propositions.
La logique de la mise en concurrence des territoires
(…) Dans le contexte de la globalisation financière, votre tâche apparaît digne de Sisyphe : notre pays subit en effet, depuis les années quatre-vingt-dix, la distension croissante des liens entre les entreprises et les territoires, du fait d’une ouverture sans limites aux mouvements de capitaux, résultant de l’Acte Unique européen d’abord, puis aux mouvements de marchandises, sous l’impulsion de l’OMC depuis 1994, réduisant de 14 % à 1% de 1992 à aujourd’hui le montant pondéré des droits de douane aux frontières de l’Union européenne.
C’est la dictature des actionnaires et du profit financier qui s’est imposée aux entreprises et aux nations, réduisant bien souvent les managers et les hommes politiques au rang de spectateurs impuissants. Les entreprises françaises réalisent de plus en plus leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices à l’étranger. Un mouvement de délocalisation des activités productives vers les pays à bas salaires frappe notre pays.
Dans ces conditions la croissance potentielle en France, comme d’ailleurs dans le reste de l’Europe, s’est réduite d’abord à 2 % puis à 1 %. La part de l’Europe à vingt-cinq dans le commerce mondial est aujourd’hui de 20 % contre 30 % en 1980, tandis que celle de la Chine a crû de 2,5 % à 14 %. Notre déficit commercial reflète cette perte d’attractivité.
L’avidité des actionnaires a aussi creusé les inégalités entre les entreprises elles-mêmes, au détriment des petites et dans les rémunérations, dont l’écart n’a jamais été aussi grand. La France populaire s’est réfugiée dans des zones périurbaines loin des centres-villes.
Dans ce contexte de globalisation financière qui fracture la société française, il est bien difficile, Monsieur le Ministre, de mener à bien une politique d’aménagement du territoire rationnelle.
L’erreur – mais elle vous est antérieure – consiste à substituer à la logique d’aménagement du territoire, à partir d’une vision d’ensemble que seul l’Etat peut assurer, une autre logique qui consiste à mettre en concurrence les territoires entre eux. C’est ce que symbolise, me semble-t-il, le passage de la DATAR à la DIACT. Ce sont les évolutions soi-disant « naturelles » du marché qui commandent.
La Puissance publique n’intervient plus guère qu’à la marge, du fait même de l’insuffisance de ses moyens. Cette évolution se pare du masque du girondinisme pour mieux fustiger l’Etat jacobin, ce pelé, ce galeux d’où viendrait tout le mal. Cette idéologie est pernicieuse. Les temps nous obligent au contraire à organiser, y compris en matière d’aménagement du territoire, le grand retour de l’Etat (…).
Conduire de vraies politiques en faveur de l’industrie et de l’aménagement du territoire
Je me bornerai à vous suggérer quelques pistes pour enrayer un déclin de l’aménagement du territoire qui n’était que trop prévisible.
Un mot sur la DIACT (l’ancienne DATAR) d’abord. Il est regrettable que les activités de prospective aient été progressivement délaissées. La qualité des hommes et des équipes n’est pas en cause. C’est un mal plus général qui a également conduit à l’abandon du Commissariat Général du Plan, pour un vague Centre de prospective et d’analyses soi-disant stratégiques.
En réalité, c’est toute l’Administration économique de l’Etat qu’il faudrait reconstruire pour faire face à la crise économique actuelle. Les Etats nationaux, parce qu’ils ont seuls la légitimité de la démocratie, ont été appelés au secours en catastrophe. On a juxtaposé dans une certaine improvisation les plans nationaux tant en ce qui concerne le sauvetage des banques que la relance économique. Les règles européennes en matière de concurrence ont été suspendues. L’erreur serait de croire que cette suppression pourrait n’être que temporaire.
Le temps est venu de concevoir à nouveau des politiques industrielles et des politiques d’équipement. Pour prendre un exemple, la juxtaposition de soixante-et-onze pôles de compétitivité ne saurait remplacer un Ministère de l’Industrie qui seul peut disposer d’une vue d’ensemble, éviter doublons et gaspillages, et donner les impulsions nécessaires en matière de recherche finalisée.
Il lui faudra aussi guider les choix du Fonds d’investissement stratégique dévoilé par le Chef de l’Etat. Avec 6 milliards de fonds propres, plus 14 milliards de ressources d’emprunts, ce fonds ne suffira pas à défendre nos entreprises dont la capitalisation boursière a diminué de moitié mais atteint encore, pour les entreprises du CAC 40, plus de 700 milliards d’euros. Les fonds souverains étrangers disposent de capacités financières infiniment plus grandes : plusieurs milliers de milliards de dollars.
C’est pourquoi il faudra aller beaucoup plus loin, Monsieur le Ministre, sur la voie de la réglementation des OPA voire de leur interdiction quand elles émanent d’entreprises non « opéables », comme c’était le cas pour le raid réussi de Mittal sur Arcelor. Car les entreprises ont une nationalité, celle de leur pays d’origine qui retentit sur l’emploi, la recherche et les choix d’implantation.
Faut-il rappeler les conséquences du rachat de Pechiney par Alcan ? Celles d’Arcelor par Mittal ne sont que trop visibles. Dussé-je me faire taxer de patriotisme économique – quelle injure par les temps qui courent ! -, il est important de préserver la nationalité française de la plupart de nos entreprises en favorisant des pactes d’actionnaires stables.
L’Etat doit se doter des moyens durables d’une politique industrielle digne de ce nom. Assez de RGPP ! Il y a des équipes d’ingénieurs compétents à reconstituer au sein même du service public sur les décombres de l’ancien ministère de l’Industrie jadis mis à sac par M. Madelin et par ses successeurs.
Ce qui vaut pour le Ministère de l’Industrie vaut également pour l’aménagement du territoire.
Vous mettez l’accent à juste titre sur les réseaux numériques et sur les liaisons ferroviaires à grande vitesse. Ils constituent avec le bon niveau de formation de notre main d’œuvre, de puissants atouts pour la compétitivité de la France. Mais il y a encore trop de zones d’ombre en matière de téléphonie mobile en dehors des grands axes ou des grandes agglomérations.
Il n’y a pas de mystère à cela : c’est l’effet de l’abandon du service public au bénéfice des concessionnaires privés. C’est un plan d’ensemble qui serait nécessaire pour la téléphonie mobile comme pour l’accès au réseau à haut débit. Et puis, n’oubliez pas le réseau des villes moyennes et des petites villes qui contribue tant au charme et par conséquent aussi à l’attractivité de notre pays (…).
Cet article est le 4ème paru sur ce blog dans la catégorie Chevènement sénateur