La crise, seul moyen de retour à la raison sportive ?
Depuis trois ans, trois clubs anglais sur quatre parviennent au sommet de la plus prestigieuse compétition européenne du football professionnel (demi-finales de la Ligue des Champions). Ce n’est pas par hasard. L’argent - c’est-à-dire le capitalisme financier mondialisé, produit de la doctrine néolibérale - est passé par là.
Le retour à la raison passe par la crise, qui ne va pas manquer de se répercuter sur cette activité, puis par un encadrement légal aux niveaux national et européen.
Dans l’immédiat, il est utile de comprendre le cheminement historique qui a conduit ce sport à devenir un produit marchand très intégré au système capitaliste.
L’article paru le 17 avril sur le site Rue89, sous la signature de Philippe Marlière, professeur à Londres, montre ce qui s’est passé ces vingt dernières années dans le football anglais (extraits).
Hillsborough : quand le football devint capitaliste
Le 15 avril 1989, 96 supporteurs de l'équipe de football de Liverpool meurent asphyxiés et piétinés dans le stade de Hillsborough à Sheffield. Leur équipe venait d'entamer la demi-finale de la coupe d'Angleterre contre Nottingham Forest. La rencontre est interrompue après 6 minutes (…).
Le football, sport populaire et de masse, est sur le point de disparaître. Il sera la victime expiatoire des mesures prises à la suite de ce dramatique événement.
Le rapport Taylor
En août 1989, Lord Taylor remet un rapport au gouvernement établissant les responsabilités de ce désastre. Les autorités sportives et la police sont violemment critiquées. Un deuxième rapport Taylor est rendu public en janvier 1990. Afin d'éviter de nouveaux Hillsborough, Taylor préconise que tous les stades de football de première et de deuxième division soient dotés de places assises (…).
Contrairement aux recommandations de Lord Taylor, les correctifs structurels (places assises, confort et sécurité accrus) ont fourni aux clubs un prétexte pour fortement augmenter les prix des billets. Au début des années 90, il en coûtait moins de 5 livres sterling pour assister à un match de première division. Aujourd'hui, il est difficile d'obtenir un billet pour moins de 40 livres.
Cette mesure a eu pour effet d'exclure des stades les classes populaires et les jeunes. Roy Keane, qui lui-même gagna plus de 400 000 livres par mois pour jouer au football, omet d'expliquer que si les publics sont de nos jours aussi calmes, c'est que les spectateurs présents sont d'âge mûr et appartiennent, en majorité, aux classes moyennes et supérieures. Les autres catégories de la population sont condamnées à regarder les matches au pub sur Sky Sports, la chaîne à péage de Rupert Murdoch.
Une activité capitaliste
Dans l'après Hillsborough, la Football Association (FA) décide que le football a besoin d'un rebranding radical. La FA cible les classes moyennes et tourne le dos au monde ouvrier, une clientèle associée au hooliganisme et dont le pouvoir d'achat est peu élevé.
Elle fait ainsi d'une pierre deux coups. D'une part, elle flatte le pouvoir thatchérien pour qui le football est une activité socialement nuisible. D'autre part, la FA comprend que la gentrification du football est une étape nécessaire pour en faire un business lucratif.
En avril 1991, la FA publie un document intitulé Blueprint for the Future of Football, qui projette la création d'un nouveau championnat en remplacement de la First Division. La Premier League se vend bien : la FA perçoit des droits de retransmission télévisée astronomiques. Le football est ainsi devenu une activité purement et brutalement capitaliste.
L'argent de la télévision a révolutionné la compétition sportive. Dotés d'une manne financière largement supérieure à tout autre pays européen (à l'exception du Real Madrid et de Barcelone qui s'appuient sur des socios nombreux et fidèles), les clubs anglais peuvent attirer les meilleurs coaches et joueurs dans le monde.
La domination du football anglais en Europe n'est que le reflet de sa domination économique. Puisque le football est une entreprise capitaliste, il attire en premier lieu les capitalistes. Les clubs de la Premier League sont la propriété de richissimes hommes d'affaires, pour la plupart étrangers, qui n'ont souvent aucune attache sportive avec leur club : Manchester United et Liverpool sont aux mains de business men étatsuniens, Manchester City a été racheté par un cheikh d'Abu Dhabi qui a récemment proposé 100 millions de livres sterling à l'AC Milan pour le transfert du brésilien Kakà.
Des clubs comme Chelsea (avec le russe Roman Abramovich) et Portsmouth (avec le franco-russo-israélien Alexandre Gaydamak) sont détenus par des personnalités aux activités et aux connections politiques les plus troubles.
Notons que la plupart de ces clubs sont fortement endettés du fait d'une masse salariale exorbitante. Par ailleurs, des clubs ont été achetés à crédit (Manchester United, Liverpool). La situation financière de ces grands clubs est par conséquent des plus incertaines et aléatoires (…).
… et l’édito de Laurent Joffrin, le 18 avril, sur le site de Libération Dérive
Cet article est le 3ème paru sur ce blog dans la catégorie Les sports .