Ce président n’a pas la vision de l’avenir à construire
L’économie capitaliste est entrée dans une crise durable et profonde, qui porte le nom de dépression. C’est le cœur du système qui ne fonctionne plus, parce qu’il a été contaminé par le virus de la financiarisation, un mot savant pour dire que la finance a détourné l’économie de sa fonction première et s’est accaparé les profits, faisant fi des équilibres sociaux.
Les responsables des Etats et des gouvernements n’ont rien fait pour combattre le mal. La plupart d’entre eux s’y sont accommodé ; certains ont cru bon de le favoriser, ce qui est le cas du président Sarkozy. Ne voulait-il pas importer en France le système américain des prêts hypothécaires à l’origine de la bulle immobilière (subprime), puis financière ?
Lors de l’émission télévisée du 5 février, recevant à l’Elysée des journalistes qui acceptaient de jouer le rôle de faire valoir, le président de la République s’est montré habile tacticien et bon communicateur, mais il n’a pu cacher son manque de vision de sortie de crise.
Comment cet homme, qui voulait aligner son pays sur le capitalisme anglo-saxon, pourrait-il le conduire vers un nouveau mode de développement en faisant face à une crise d’une extraordinaire intensité ? Il a raison de rester évasif sur son envie de prétendre à un second mandat, car il lui sera bien difficile de finir le premier.
Je vous propose de prendre connaissance des déclarations de Jean-Pierre Chevènement invité de l'entretien Orange-L'Est républicain. Ce journal en a fait un résumé « Nous sommes otages des banquiers ».
Lire dès à présent sur humanite.fr l’éditorial de Patrick Le Hyaric dans le journal qui paraîtra demain.
Voir les réactions, présentées ce 6 février, sur le site de Libération : Aubry: Sarkozy «ne sait pas où il va» et l’éditorial de Laurent Joffrin Lest
Ceux qui critiquaient le plan Sarkozy de relance de l’économie, donc, n’avaient pas tort. Pas plus que les centaines de milliers de Français qui ont manifesté la semaine dernière. Concentré, souvent grave, loin de toute fanfaronnade, le président de la République leur a rendu des points.
Discours social, stigmatisation des émoluments extravagants de certains dirigeants, affectation des intérêts payés par les banques à des mesures d’aide aux plus modestes, Nicolas Sarkozy a, de toute évidence, lâché du lest.
Sans doute l’exemple de certains pays étrangers, notamment les Etats-Unis de Barack Obama, a-t-il joué dans cette inflexion. La stratégie de relance par l’investissement, c’est-à-dire par une aide aux entreprises, qui a sa cohérence, était contredite non seulement par l’opposition en France mais aussi par les plans plus équilibrés mis en œuvre ailleurs, notamment par la nouvelle administration américaine.
Pragmatique, politique avant tout, Sarkozy admet qu’il faut aussi songer au pouvoir d’achat et à la consommation. Il s’éloigne de plus en plus, dans le verbe en tout cas, de la culture libérale qui est sa marque d’origine.
La chose ne lui est pas naturelle. C’est la violence de la crise mondiale et l’effondrement des anciennes valeurs d’inégalité et de compétition qui le contraignent à cette conversion progressive. Ainsi ces ouvertures demandent-elles à être confirmées. Soudain collectif, le Président annonce concertation et élaboration commune. Pour aboutir à un plan réellement équilibré, le chemin est encore long. Voilà qui appelle vigilance et constance.
La rédaction de Rue89 a résumé ainsi l’intervention du chef de l’Etat (voir, ci-après), soulignant l’absence d’allusion aux manifestations des guadeloupéens contre la vie chère. Un rappel : c’est en Guadeloupe, en mai 1967, qu’ont commencé des évènements qui ont préfiguré ceux de mai 1968 dans la métropole.
Sarkozy et la crise : un doigt de social et beaucoup de flou
Il n'a pas dit "I screwed up" ("j'ai foiré") comme Barack Obama, ce n'est pas son style.
Il a voulu montrer aux Français qu'il y avait bien un pilote dans l'avion pour conduire la France au travers de la crise "la plus grave depuis un siècle" (euh... et 1929?), même si le cap n'est pas clairement défini.
A-t-il réussi à rassurer les Français, ceux qui ont fait grève et manifesté jeudi dernier, et les autres qui n'en pensent pas moins?
Pas si sûr, car le président de la République n'a pas voulu faire de concession immédiate sur le pouvoir d'achat, raillant même le gouvernement britannique de Gordon Brown pour l'"échec" de sa relance par la consommation, une pique indirecte en direction du PS français qui en fait son cheval de bataille.
Pas un mot sur la Guadeloupe, le premier à s'insurger contre la crise
Refus de toucher au smic, refus aussi d'emboîter le pas à la mesure d'Obama de plafonnement des salaires des PDG des entreprises aidées par l'Etat qui touche symboliquement au sentiment d'injustice ressenti par les victimes de la crise...
Pas un mot, non plus, sur la Guadeloupe, le département français en grève, qui, le premier, s'est insurgé contre les effets de la vie chère et de la crise.
Nicolas Sarkozy a toutefois voulu se montrer ouvert sur toute une série de chantiers qu'il se dit prêt à aborder avec les partenaires sociaux le 18 février, et qui pourraient avoir un impact modeste mais réel sur le pouvoir d'achat en période de crise, comme une meilleure indemnisation du chômage partiel ou du chômage des jeunes, ou un débat encore vague sur la répartition de la richesse dans l'entreprise.
Cet affichage souple vis-à-vis des syndicats avait évidemment pour but de déminer le terrain social dans l'après-29 janvier.
Des mesures insuffisantes pour dessiner une sortie de crise
Restent des annonces qui ne sont pas innocentes, comme l'annulation éventuelle de la première tranche des impôts; une mesure qui révèle sa cible de choix, les électeurs modestes mais imposés, ceux qui le lâchent. Ou celle, controversée, de la taxe professionnelle. Pas suffisant pour faire un programme cohérent de sortie de crise.
On retiendra néanmoins quelques petites phrases, à commencer par celle-ci, répétée deux fois : "Vous croyez que mon travail est facile?"et “Mon métier est très difficile”...
On retiendra également le goût de l'anecdote censée faire mouche, comme ce chocolat noir taxé à 5,5%, et le chocolat au lait taxé à 19,6%. On n'est pas sûr de comprendre ce qu'il a voulu dire, mais c'était drôle.
Alors, une interview pour rien? L'exercice n'était pas à la mesure de la crise et de son impact dans la population. D'autant que ce rituel monarchique bien contrôlé, avec des journalistes choisis, mouchés quand on veut rabattre leur caquet comme il l'a fait avec David Pujadas, n'est pas approprié. Mais, sans doute, ce jeudi soir, Nicolas Sarkozy s'est-il trouvé assez bon.
Voir aussi (Rue89, 5 février) : Sarkozy-Obama : le match des gestes symboliques.
Et, sur le site de Marianne (Philippe Cohen, 5 février) : Sarkozy, la pédagogie du vide.
Cet article est le 19ème paru sur ce blog dans la catégorie La droite en France .