L’UE doit promouvoir un nouvel ordre alimentaire mondial
Dans Le Monde Diplomatique de janvier 2009, a été publié un excellent article de Jean-Christophe Kroll et Aurélie Trouvé, enseignants-chercheurs en économie agricole et alimentaire, intitulé « La politique agricole commune vidée de son contenu » (voir www.monde-diplomatique.fr).
La première partie est parue, le 3 février, sous le titre « La déconstruction méthodique de la Politique Agricole Commune » après une brève introduction (voir Diagnostic alarmant de la PAC par les chercheurs JC Kroll et A Trouvé).
La seconde est parue le 4 février (voir Les enseignants chercheurs JC Kroll et A Trouvé décortiquent la PAC - 4 février 2009). La troisième et dernière est à lire, ci-après.
La nécessaire refondation de la PAC
Il ne s’agit certes pas de réhabiliter la PAC “historique”, dont les dégâts sociaux et environnementaux ont été soulignés. Mais cela ne peut conduire à l'inverse à justifier le démantèlement de tout mécanisme de régulation des marchés.
Certes, la plupart des prix agricoles sont en forte baisse depuis quelques mois. Mais cette évolution des prix indique surtout une instabilité chronique des marchés, à laquelle les instances communautaires et internationales proposent de laisser libre cours. Tout se passe comme si le retournement récent des cours avait déjà fait oublier la crise aiguë et les révoltes de la faim au printemps 2008 dans des dizaines de pays du sud[1].
Après avoir expliqué que la crise serait salutaire à long terme, M. Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, pose ses conditions : « Si on veut que ça se passe, il faut que le commerce marche. » même si « à court terme, ce ne sont pas des bonnes nouvelles pour beaucoup de pays en développement » ![2]
Faut-il ici paraphraser la fameuse formule de John Maynard Keynes : à long terme, ils seront tous morts lorsque la médecine de M. Lamy portera enfin ses fruits. Mais cela n'embarrasse guère le directeur général de l’OMC, qui persiste à relancer la négociation pour une conclusion du cycle de Doha[3] et une libéralisation sans précédent des échanges agricoles.
Après une tentative en juillet, qui a vu l'Inde refuser les conditions de l'accord pour protéger ses propres agriculteurs, M. Lamy vient de convoquer une réunion ministérielle mi-décembre. Il peut compter sur l'appui de M. Peter Mandelson, son successeur chargé du commerce extérieur à la Commission européenne, pour tenter le passage en force d’un accord à l’OMC avant la fin de la présidence Bush.
De leur côté, les instances communautaires ignorent les alertes multiples lancées par la société civile, les chercheurs et un nombre croissant de responsables politiques et professionnels. Elles poursuivent, comme si de rien n’était, le démantèlement des outils communautaires de régulation des marchés agricoles.
Peu importe que le mythe libéral s’effondre, et que les pouvoirs publics interviennent massivement pour sauver les marchés financiers. Peu importe que les Etats-Unis aient abandonné le découplage depuis 2002 au profit d’« aides agricoles contra-cycliques », ajustées en fonction des situations de marché[4]
A Bruxelles, le dogme de la dérégulation et du laisser faire reste de mise. Rien, en effet, dans les dernières décisions qui viennent d’être prises à l’occasion du « bilan de santé » de la PAC, ne laisse entrevoir une quelconque inflexion dans la logique à l’œuvre depuis 1992 :
- toujours moins de régulation publique (suppression progressive des quotas laitiers, réduction du soutien des prix),
- toujours plus de découplage des aides (en dépit des gaspillages et des iniquités flagrantes observées),
- toujours moins de solidarité entre les Etats et les régions, avec un renforcement du cofinancement par les collectivités nationales et territoriales, qui n’est ni plus ni moins qu’une re-nationalisation des politiques agricoles.
Maniant le paradoxe et l’oxymore avec une maîtrise désormais consommée, la Commission européenne persiste à nous prôner une agriculture à la fois compétitive et durable, concurrentielle sur les marchés internationaux, mais soucieuse en même temps de l’environnement, de la santé publique et du territoire, à la pointe des technologies modernes mais garante du patrimoine culturel.
Tandis qu’on accélère le « déménagement du territoire » au nom de la compétitivité, on se propose, au nom du développement rural, d'en corriger à la marge les dégâts les plus criants. En dépit de déclarations de principe sur les nouvelles demandes sociétales, force est de constater que l’objectif essentiel de la Commission européenne reste la poursuite, sous une forme rénovée, de la restructuration « productiviste » de l’agriculture.
Pourtant, l’Union Européenne pourrait jouer un rôle déterminant pour réorienter les négociations en cours et promouvoir un nouvel ordre alimentaire mondial. Des solutions existent. Elles s'appuient sur le principe de la souveraineté alimentaire[5], impliquant une régulation concertée des échanges internationaux, sous l’autorité des Nations Unies.
Dans ce nouveau cadre, la stabilisation des cours mondiaux et la garantie de prix intérieurs stables reflétant les coûts réels de production devraient impliquer, en retour, un renforcement des conditions sociales et environnementales de production, une maîtrise des volumes et une redistribution des aides entre agriculteurs.
La solidarité avec les pays pauvres exige aussi l'abandon des accords de libre-échange au profit d’accords préférentiels renforcés, l’augmentation de l’aide publique au développement agricole et l'abandon de toute production d’agro-carburants entrant en concurrence avec les productions alimentaires.
Enfin, la crise alimentaire ne peut être résolue au détriment des impératifs écologiques, car la crise climatique et l'épuisement des sols sont autant de facteurs aggravants. Le rapport de l'Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement (EISTAD) met par exemple l'accent sur le développement de l'agro-écologie, des circuits courts et sur la valorisation des connaissances locales. Les réponses aux crises alimentaire et écologique doivent donc être pensées et portées ensemble.
Ces propositions sont partagées par un grand nombre d'experts et d'organisations paysannes, environnementales, de consommateurs et de mouvements de solidarité internationale. Pour qu'elles trouvent une expression politique qui permette de peser dans les décisions futures, la convergence de tous ces acteurs apparaît décisive.
[1] Lire Anne-Cécile Robert, « Rares sont les agriculteurs qui cultivent le blé », Le Monde diplomatique, mai 2008.
[2] entretien avec l'Agence de Presse Africaine, 20 avril 2008
[3] Ce cycle de négociations à l'OMC, qui fait suite à celui de l'Uruguay, a débuté en 2001. Il est toujours en cours, alors que sa conclusion était prévue initialement avant le 1er janvier 2005.
[4] En 2008, une très grande majorité du congrès américain a voté une réforme de la politique agricole pour renforcer ses outils de régulation des marchés et des revenus.
[5] Portée au départ par les mouvements paysans altermondialistes, la souveraineté alimentaire reconnaît le droit des populations, de leurs Etats ou Unions, de choisir des politiques agricoles et alimentaires adaptées à leurs besoins, sans dumping vis-à-vis des pays tiers.
En juillet 2008, j’ai proposé au MRC un texte qu’il a adopté (voir Réorienter la Politique Agricole Commune - 11/09/2008).
Lire aussi Débat de la Fondation Res Publica sur la PAC : aux actes, citoyens - 28 juillet 2008.
Cet article est le 115ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.