Derrière Balladur, les arrière-pensées de Sarkozy
Le président de la République veut réorganiser les collectivités territoriales. Il a chargé l’ancien premier ministre, Edouard Balladur, dont il est proche - il l’avait soutenu, en 1995, dans sa campagne présidentielle, face à Jacques Chirac - de présider un comité composé de quatre élus (Pierre Mauroy et Gérard Longuet, sénateurs, Dominique Perben et André Vallini, députés), du préfet de Paris et de cinq professeurs ou experts.
Le président Sarkozy est pressé, le président Balladur aussi… La mise en scène, à n’en pas douter, est réglée à l’Elysée. Dominique Perben avait commencé à lever le voile (voir Organisation territoriale : le projet de rapport Balladur prend forme - 18 février 2009).
Edouard Balladur a lâché des confidences avant de mettre son rapport sur la place publique : Les principales propositions du comité Balladur (Courrier des maires.fr, 25 février - téléchargez le rapport - consulter le dossier de la Gazette des communes : Réforme des collectivités : 4 scénarios pour une révolution).
Le quotidien Ouest-France, le 26 février, a d’abord présenté les propositions du comité :
Les 20 propositions votées par le comité Balladur :
- favoriser les regroupements volontaires et les modifications des limites territoriales des régions pour en réduire le nombre à une quinzaine,
- favoriser les regroupements volontaires de départements,
- désigner par une même élection conseillers généraux et conseillers régionaux à partir de 2014,
- supprimer les cantons et définir des circonscriptions infra-départementales pour l'élection simultanée des conseillers régionaux et départementaux au scrutin de liste,
- achever d'ici 2014 la carte de l'intercommunalité et rationaliser le paysage des syndicats de communes,
- supprimer les "pays" au sens de la loi du 4 février 1995,
- instaurer l'élection des organes délibérants des EPCI (établissement public de coopération intercommunale) à fiscalité propre au suffrage universel direct en même temps et sur la même liste que les conseillers municipaux,
- créer par la loi 11 métropoles à compter de 2014 (Lyon, Lille, Bordeaux, Marseille, Toulouse, Nantes, Nice, Strasbourg, Rouen, Toulon, Rennes),
- créer des "communes nouvelles" se substituant sur une base volontaire aux intercommunalités,
- confirmer la clause de compétence générale au secteur communal et spécialiser les compétences des départements et régions,
- engager la clarification des compétences et des collectivités locales,
- objectif annuel d'évolution de la dépense publique locale avec débat parlementaire,
- réviser les valeurs locatives foncières tous les six ans,
- compenser la suppression de la taxe professionnelle par une taxation fondée sur la valeur ajoutée et le foncier de l'entreprise,
- limiter les cumuls d'impôts locaux sur une même assiette d'imposition,
- créer en 2014, après consultation, le Grand Paris correspondant au territoire de Paris et des trois départements de la petite couronne,
- modifier le mode de scrutin de l'Assemblée de Corse,
- instaurer dans les régions et DOM une collectivité unique après consultation,
- supprimer les services intervenant dans le champ de compétences des collectivités locales,
- réduire d'un tiers les effectifs des exécutifs locaux.
Puis le journaliste Didier Eugène, du grand quotidien régional, remet tout cela en perspective avec les lois de décentralisation et en vient à se demander si c’est bien réaliste.
Faut-il chambouler la décentralisation ?
La décentralisation a tout juste 25 ans. Elle permet aux citoyens d'élire ceux qui dirigent départements et Régions, comme les maires les communes. Faut-il, un quart de siècle plus tard, alors que l'on s'y habitue tout juste, la chambouler ?
Le débat dure en fait depuis que les lois Mitterrand-Mauroy-Defferre ont été votées. Entre régionalistes et départementalistes. Entre historiens, partisans d'en revenir aux vieilles provinces d'avant la Révolution, et géographes de l'aménagement du territoire. Entre citadins, portés par l'urbanisation du dernier demi-siècle, et ruraux, partagés entre une population agricole réduite et des rurbains de plus en plus nombreux. Entre partisans des regroupements et fusions de communes et nostalgiques de la France des clochers. Ces débats-là ne seront jamais finis et mobiliseront l'imagination et l'esprit partisan au-delà de toute réforme.
Un bilan positif
C'est du bilan des lois de décentralisation qu'il est question. Il est largement positif. Le développement économique, l'écologie, les infrastructures, la solidarité, l'équipement des établissements scolaires et universitaires... L'État boulimique et centraliste a heureusement passé la main aux collectivités locales pour faire face à tous ces défis de la modernisation du pays.
Mais la France et les Français ont laissé se développer tellement de niveaux d'administration que l'on s'y perd. 75 % des investissements sont aujourd'hui réalisés par les collectivités locales. À la différence de l'État, elles ne peuvent voter des budgets déficitaires. Mais c'est au prix d'une augmentation globale et permanente des impôts locaux souvent encouragés par l'État dont le transfert de responsabilités est couvert au départ par des transferts de recettes, mais ceux-ci restent insuffisants par la suite. Eh bien, en vingt ans d'analyses, rapports, commissions... cet état de chose n'a pu être remis à plat. La réforme des finances locales est restée un voeu pieux. Il ne manque pourtant pas de compétences pour en parler.
Le couperet de la taxe professionnelle
Aujourd'hui, la suppression partielle, dès 2010, de la taxe professionnelle, principale recette fiscale des collectivités, annoncée par Nicolas Sarkozy, oblige le chef de l'État à faire bouger les choses. Le rapport Balladur vient à point pour donner l'occasion d'un big bang institutionnel. À peine installés dans une certaine routine, les élus de tous bords sont appelés soit à se réformer, soit à se saborder, en tout cas à se restreindre. Au moins cela les obligera à décider qui fait quoi, à renoncer à vouloir tout faire.
Et les contribuables locaux peuvent espérer y voir un intérêt.Sauf si les entreprises en sont les seules gagnantes. Sauf si une nouvelle usine à gaz éloigne les électeurs. Sauf si un État paradoxalement plus dépouillé et un chef d'État omnipotent reconcentrent le pouvoir à Paris. Sauf si Bercy met la main sur les ressources locales. Sauf si... la grenouille de la réforme finit comme celle de la fable.
Pour sa part, L’Humanité, le 27 février, tranche dans le vif (voir Collectivités, élections : le charcutage Balladur est en route).
Et, le Nouvel Observateur cite François Hollande (27 février) : Comité Balladur : du "mille feuilles" au "pudding".
Voir aussi le point de vue de Jean-Pierre Chevènement sur la réorganisation territoriale Chevènement devant la mission du Sénat sur l'organisation territoriale - 18 janvier 2009.
Cet article est le 4ème sur ce blog dans la catégorie Collectivités territoriales
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