Fuite en arrière, face aux aspirations de la jeunesse
Ce n’est pas de la fraude électorale. C’est un plan, préparé depuis longtemps, pour éviter la défaite électorale. Le président Ahmadinejad savait que le résultat des urnes lui serait défavorable. Il a persuadé le Guide suprême Khamenei (qui détient le pouvoir religieux, au-dessus du pouvoir politique en Iran) qu’il n’y avait pas d’autre solution que la fraude massive pour préserver son pouvoir.
Ainsi, pour éviter une « révolution de velours à la tchèque », les deux dirigeants ont opté pour une révolution de type autoritaire, une sorte de fuite en arrière, dont les conséquences sont imprévisibles.
Ces informations sont tirées de l’article paru le 16 juin sous la signature de Jean-Pierre Perrin dans Libération (cliquer sur le titre) :
L’organisation de la fraude était d’abord destinée à sauver le pouvoir absolu du Guide suprême. Trois jours après le scrutin, le camp réformiste reste toujours aussi déterminé. Peut-il sortir vainqueur de cet affrontement ?
Y a-t-il vraiment eu une fraude et de quelle ampleur?
Il semble que la fraude ait été préparée bien avant les élections. Depuis les scrutins de décembre 2006 (municipales et Assemblée des experts, l’une des principales institutions de la République islamique), qui avaient été très défavorables à ses partisans, Ahmadinejad était sur la défensive. Il s’attendait, semble-t-il, à perdre cette présidentielle. A l’exception d’un sondage américain le donnant largement vainqueur, les autres enquêtes d’opinion, cette fois iraniennes, le donnaient battu.
D’après des informations glanées au ministère de l’Intérieur, des bassidji («volontaires» des milices islamiques) sont venus, le jour du scrutin, remplacer certains fonctionnaires chargés de collecter les résultats. «Cette fraude est la conséquence d’un plan très sophistiqué, machiavélique, préparé de longue date, avec une feuille de route», souligne le chercheur Michel Makinsky.
Selon des fuites obtenues auprès d’experts dans ce même ministère, les vrais scores des candidats sont radicalement différents de ceux annoncés officiellement : le réformateur Mir Hussein Moussavi serait ainsi arrivé en tête avec 19 millions de voix (sur 42 millions de votants), devant le second candidat réformateur, Mehdi Karoubi, qui a recueilli 13 millions de suffrages, Ahmadinejad n’arrivant qu’en troisième position avec 5,7 millions. Dès lors, un second tour aurait dû avoir lieu sans la présence du candidat ultraradical.
Quel a été le rôle du Guide Ali Khamenei ?
Il semble qu’il était prêt à accepter la victoire de Moussavi. Ce serait Ahmadinejad qui l’aurait convaincu d’entériner la fraude et de le déclarer vainqueur avec les chiffres qu’il avait lui-même fabriqués. Le président sortant aurait emporté la décision du Guide en lui expliquant que les deux candidats arrivés en tête souhaitaient limiter son pouvoir absolu.
Est-on en train d’assister à une révolution ?
Avant les élections, Yadollah Javani, le chef des Gardiens de la révolution avait mis en garde contre les risques d’une «révolution de velours» semblable à celle qui avait triomphé du communisme en Tchécoslovaquie. Mais, pour le moment, le camp réformateur exige uniquement que le verdict des urnes soit respecté. A aucun moment, il n’a remis en cause la légitimité du régime islamique.
Après le scrutin qui les donnait perdants, les deux candidats réformateurs ont d’ailleurs voulu rencontrer immédiatement le Guide. Mais si les leaders réformateurs fédèrent tous les opposants à Ahmadinejad, une large partie des jeunes veulent aller plus loin et remettent en cause les valeurs islamiques, désirant une vie plus libre, plus à l’occidentale, moins corsetée par les interdits. Principal handicap de cette avant-garde, elle ne dispose d’aucune organisation, même clandestine. La mouvance réformatrice, elle-même très divisée, n’a pas non plus de véritables partis pour la représenter, hormis un syndicat étudiant. Les partisans de Mahmoud Ahmadinejad sont, eux, mieux structurés.
Que peut faire le pouvoir ?
A l’évidence, il y a aujourd’hui deux camps en Iran. La défaite d’Ahmadinejad ne signifie pas qu’il soit dépourvu d’une base électorale, d’autant plus qu’il a distribué avant le scrutin une manne financière extraordinaire et qu’une partie des Iraniens sont sensibles à ses slogans nationalistes. Il a aussi derrière lui les bassidji, soit environ deux millions d’éléments paramilitaires. La direction du camp réformateur est d’ailleurs très soucieuse d’éviter toute radicalisation du conflit. En revanche, elle a désormais un véritable leader, Bir Hossein Moussavi, bon tacticien, déterminé et opiniâtre.
Khamenei, le Guide suprême, a demandé à Moussavi de calmer la rue. Sans succès. Après la proclamation des résultats, le régime s’attendait à des manifestations, mais sans doute pas de cette ampleur.
On peut noter en revanche que les Gardiens de la révolution, qui, comptent 170 000 hommes et 350 000 appelés ne sont pas intervenus en renfort. Est-ce parce qu’ils laissent les basses besognes aux bassidji et aux policiers des renseignements ? Ou parce qu’ils sont eux-mêmes divisés, une partie des officiers étant proche de Moussavi qui fut Premier ministre pendant la longue guerre Iran-Irak ?
Que font les religieux ?
Ils gardent le silence et discutent, notamment au sein de l’Assemblée des experts et des séminaires de la ville sainte de Qom. Car, en toile de fond, c’est le rôle du Guide qui se joue. Durant la campagne, la question de la limitation de son pouvoir absolu avait été posée par les candidats réformateurs, notamment lors des débats télévisés. Là est sans doute le véritable enjeu des élections. Inacceptable pour lui.
Voir aussi :
- l’analyse de Marie-Claude Decamps (Le Monde, 15 juin) : Iran : la "troisième révolution" ?
- les commentaires, ce 18 juin, de Zineb Dryef sur le site de Rue89 : Iran : les accusations de fraude électorale se précisent
Pour en savoir plus sur l’Iran :
Iran (Présentation du pays et données proposées par l'université canadienne de Laval).
Cet article est le 16ème paru sur ce blog dans la catégorie Proche Moyen Orient.