Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Les aides publiques agricoles vont aux plus productifs
On se reportera aux articles parus les 6, 9 et 24 février, sur ce blog, catégorie « Agriculture et PAC », pour prendre connaissance des risques de crises alimentaires dans le monde et en tirer les conséquences en matière de politique agricole et alimentaire à réaffirmer avec la plus grande détermination.
Il faut comprendre ce qu’a été la PAC, la Politique Agricole Commune de l’Europe, depuis son lancement en 1958 (les grands principes) et 1960 (la mise en œuvre).
Le correspondant du journal Libération à Bruxelles, au siège des institutions européennes, Jean Quatremer, qui s’efforce de mettre en évidence la construction européenne, a choisi d’évoquer ce qu’était la PAC en 1968 et le tournant que voulait lui faire prendre le commissaire à l’agriculture, Sicco Mansholt, mais en vain car les représentants des agriculteurs s’y étaient opposés avec la plus grande énergie, avec l’appui politique de Jacques Chirac.
Philippe Chalmin, pour sa part, dans un autre article, hier, dans Libération, justifie le productivisme des débuts de la PAC mais critique l’absence de vraies réformes, notamment budgétaires.
Edgard Pisani, de son côté, dans son livre « Un vieil homme et la terre », en 2004, regrettait que la PAC (dont il avait été l’un des initiateurs, sans conteste le plus influent) n’ait pas été réformée dans les années 1970 afin de tenir compte des surproductions qui étaient apparues à la fin des années 1960.
Voici des extraits significatifs des interventions de ces trois personnalités.
Jean Quatremer (14 mars 2008, www.liberation.fr)
« Confrontée à ses premiers excédents, l’agriculture européenne refuse de briser la spirale de surproduction subventionnée par la CEE »
« En ce mois de mars 1968 (…),les agriculteurs sont venus protester contre la proposition du Néerlandais Sicco Mansholt, le commissaire chargé de l’Agriculture, qui veut diminuer le prix garanti du lait afin de lutter contre la surproduction. En effet, comme on est sûr de vendre à bon prix, la CEE rachetant les surplus, on produit sans se préoccuper des besoins du marché. La toute jeune politique agricole commune (PAC) est déjà victime de son succès : alors que l’Europe n’était pas autosuffisante sur le plan alimentaire au moment de la signature du traité de Rome, en mars 1957, elle enregistre en 1968 ses premiers excédents.
« Pétrole vert »
La PAC est une vraie invention française. Lors des négociations du traité de Rome, en 1956-1957, c’est Paris qui l’a exigée en contrepartie du marché commun. Pays encore largement agricole à la différence de l’Allemagne, son industrie vivote à l’abri de frontières douanières, et la zone de libre-échange industrielle européenne va contraindre les entreprises hexagonales à une douloureuse adaptation. La France veut donc valoriser son agriculture en exportant librement chez ses voisins. Ce qu’elle obtient. Mais le traité ne prévoit la mise en place totale de la PAC qu’à la fin d’une «période de transition», en 1970…
Le général de Gaulle, de retour au pouvoir en 1958, ne l’entend pas de cette oreille : le marché commun sera industriel ET agricole, ou ne sera pas. Il est soutenu par la toute nouvelle Commission européenne, présidée par l’Allemand Walter Hallstein, qui voit là un moyen de mettre en œuvre une vraie politique fédérale. Les Six, réunis à Stresa (Italie) du 3 au 12 juillet 1958 avec les organisations professionnelles, ont arrêté les grands principes de la PAC que la Commission mettra en musique en juin 1960 : les produits agricoles circuleront librement au sein de la CEE, et des organisations communes de marché seront mises en place avec des prix unifiés et garantis, quelles que soient les variations des prix mondiaux. Cette «bulle agricole» sera protégée : comme les prix européens seront la plupart du temps supérieurs aux prix mondiaux, les importations seront taxées et les exportations aidées pour combler la différence de tarif.
Il faudra huit ans avant que la PAC ne couvre l’ensemble des produits agricoles. Finalement, le 1er juillet 1968, non seulement le marché agricole est achevé, mais pour la première fois le budget du Feoga (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, chargé de gérer l’argent destiné aux agriculteurs) dépasse le milliard d’«unités de compte», l’ancêtre de l’euro.
Les résultats sont là : la productivité de l’agriculture a pratiquement doublé en dix ans, le revenu par agriculteur a augmenté même si l’exode rural s’est accéléré, les exportations ont explosé au point que Valéry Giscard d’Estaing parle de «pétrole vert». Surtout, «en 1968, les premiers excédents céréaliers et laitiers sont arrivés», se souvient Michel Jacquot, ancien directeur du Feoga (1987-1997) et qui, à l’époque, était l’assistant du directeur général de l’Agriculture. «Comme les prix garantis étaient élevés, plus on produisait, plus on gagnait d’argent, quelle que soit la qualité des produits.» Les montagnes de beurre, les lacs de lait et vin, les frigos communautaires débordant de viande, les silos gorgés de grain se profilent à l’horizon.
80 % des aides pour 20 % des agriculteurs
Le commissaire Sicco Mansholt propose donc en décembre 1968 de «casser la spirale d’augmentation des prix», comme l’explique Jacquot, en sortant de ce productivisme effréné. «Mansholt voulait une agriculture plus écologique, plus durable», affirme Philippe Lemaitre, qui fut le correspondant du Monde à Bruxelles de 1966 à 2000. Mais les paysans ne veulent pas entendre parler d’une remise en cause de cette «rente illimitée», selon l’expression de Lemaitre, même si, en réalité, elle ne profite qu’aux plus gros (80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs) et surtout aux céréaliers, aux producteurs de lait et de sucre. En outre, après les événements de Mai, la France ne veut pas se mettre à dos ses agriculteurs, et elle freine des quatre fers. Le plan Mansholt déclenchera la colère des campagnes, une vraie colère bien violente : les 23 et 24 mars 1971, une manifestation à Bruxelles réunissant 50 000 paysans se soldera par un mort accidentel et plus de cent blessés (…) ».
Jean Quatremer a interrogé Philippe Chalmin à propos de la PAC (14 mars, www.liberation.fr). Ce professeur d’économie est coauteur du rapport « Perspectives agricoles en France et en Europe ».
Philippe Chalmin : « Il n’était pas aberrant d’être productiviste »
La PAC (politique agricole commune) a-t-elle rempli ses objectifs ?
Absolument. Lorsque vous comparez l’agriculture européenne à la fin des années 50 à ce qu’elle est devenue dix ans plus tard, le changement est copernicien. A la fin des années 50, l’Europe n’est pas autosuffisante sur le plan alimentaire, et les citoyens ont encore en tête les tickets de rationnement de la guerre et de l’après-guerre. C’est pourquoi l’un des objectifs de la PAC a été la garantie de l’approvisionnement des consommateurs. Il n’y avait rien d’aberrant, alors, à se situer dans un environnement productiviste. Et cela a fonctionné, puisque dix ans plus tard, l’Europe devient autosuffisante puis exportatrice.
Au prix de quels changements ?
On a parlé à juste titre d’une «révolution silencieuse» de l’agriculture. Les techniques se sont transformées, les exploitations se sont concentrées, l’exode rural s’est accéléré. La PAC va accompagner et faciliter cette mutation. Elle s’inscrit dans le droit fil de ce qu’avaient fait tous les gouvernements en réaction à la grande crise des années 20. La puissance publique intervient sur les marchés pour les réguler.
Les campagnes se vident…
En France, le nombre d’exploitations a chuté de 2,3 millions en 1955 à 590 000 en 2003. Dans le même temps, la part de la population active agricole dans l’emploi total est passée de 31 % avec 6,2 millions de personnes à 4,8 % avec 1,3 million de personnes. La PAC n’a jamais eu pour objectif le maintien d’une forte population agricole, contradictoire avec l’objectif de modernisation. En revanche, elle a permis de hisser le niveau de vie du monde agricole au niveau du monde urbain.
On peut cependant regretter que l’accent ait été mis sur la seule politique du marché - garantir les prix - aux dépens de la politique de structures - accompagner et orienter la modernisation. A l’époque, tout le monde s’en est accommodé. Il y a eu une sorte de pacte non écrit : l’industrie se modernisant, elle avait besoin de bras que l’agriculture, qui se modernisait dans le même temps, lui fournissait.
La PAC a-t-elle encore un sens, maintenant que les prix mondiaux explosent ?
L’erreur a été de ne pas la faire évoluer assez rapidement comme le proposait Sicco Mansholt dès 1968. En dépit des réformes de 1992 et de 2003, on n’a rien changé : on reste dans une logique de marché. On a surtout cherché à limiter les effets productivistes des subventions liées à la production. La vraie réforme, qui reste à faire, est de réorienter le budget agricole européen afin de rémunérer les fonctions agricoles qui ne sont pas prises en charge par le marché. La fonction nourricière doit être rémunérée par le seul marché ; mais la gestion de l’espace, l’aménagement du territoire, par la collectivité.
Edgard Pisani en 1972-73 :
« Il faut changer la PAC, elle ne doit plus favoriser le seul développement des productions »
Dans son livre* « Un vieil homme et la terre », paru en 2004 (L’histoire immédiate, Seuil), Edgard Pisani rappelle qu’il avait compris, dès le début des années 1970, que la PAC devait être modifiée parce qu’elle avait atteint ses objectifs.
En 1976, il avait rédigé une note à l’intention de la commission agricole du PS, à la demande de Bernard Thareau et de Pierre Joxe. Voici les passages qui sont rapportés dans son ouvrage.
« Il nous faut prôner une politique mondiale de l’alimentation et conduire une politique agricole résolue… La PAC est une politique productiviste alors qu’il n’est pas de politique qui ne soit globale, économique mais aussi régionale, sociale, écologique…
S’il est vrai que la construction européenne ne pouvait historiquement commencer que par l’organisation des marchés de base, il y a faute politique grave des gouvernements dès lors qu’ils ne se sont pas donné les moyens d’embrasser l’agriculture dans sa réalité complexe…
Si l’Europe ne peut pas avoir une politique agricole globale, si l’Europe ne devient pas une réalité géopolitique substantielle, la France doit-elle continuer d’en faire partie ?
La question doit être posée car, du point de vue de l’agriculture plus que de beaucoup d’autres points de vue, la stagnation, la décomposition même de l’Europe pose de redoutables problèmes… La balance des risques et des chances que représente l’Europe doit être faite, elle doit être publiée… L’expérience bruxelloise enseigne que, seule une volonté politique farouche, appuyée sur une analyse rigoureuse et un projet cohérent peut triompher des intérêts et idées contradictoires ».
* Les propositions contenues dans ce livre sont présentées dans le document « La Politique Agricole Commune (PAC). Pour nourrir l’Europe et faire vivre le monde » que j’ai rédigé en tant que délégué national MRC à l’agriculture. Voir sur le site du Mouvement Républicain et Citoyen www.mrc-france.org, onglet « Positions », puis « Agriculture ».