Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
Permettre aux salariés d’intervenir dans la crise financière
Dans la perspective de l’université d’été du MRC (voir, sur ce blog, L'université d'été du MRC aura lieu à Toulouse les 5 et 6 septembre - 20 juillet 2009), Wilfrid Roux-Marchand, militant du MRC en Meurthe-et-Moselle, m’a adressé un texte qu’il souhaite soumettre à la réflexion.
Je me souviens de son intervention dans le débat qui avait suivi l’exposé de Patrick Quinqueton (voir L'état de la gauche : les forces sociales, les idées, les organisations), lors de l’université d’été à Belfort, le 6 septembre 2008.
Wilfrid, qui est chercheur retraité et ancien militant syndicaliste, avait, d’abord, salué le blog du MRC 53, puis évoqué les idées du banquier François Faure, qui tournent autour de la reconnaissance des fonds de la protection sociale, souhaitant que le MRC soit force de proposition sur la question de l’intervention salariale avec ces fonds.
Sa réflexion prolonge celle de Gérard Beillard (voir, sur ce blog Gérard Beillard (MRC 53) : la protection sociale est un droit humain - 3 mars 2009). Il considère que son texte est un « premier jet » qu’il faut améliorer, avec l’aide de celles et ceux qui apporteront leur contribution. N’hésitez pas à le faire, par l’intermédiaire de ce blog.
Et si les salariés recouvraient leur part de souveraineté monétaire ?
« On ne sait plus où est passé l’argent ! » (Aphorisme populaire 2009)
Ce qu’il y a de commode avec la finance aujourd’hui, c’est qu’on peut y opérer toutes les opérations et tous les transferts que l’on veut… à la seule condition d’en détenir les manettes.
Sur la grande scène du capitalisme financier mondialisé, jusqu’à maintenant le salariat assiste à la pièce en citoyen impuissant. Quelque chose, quelque événement d’importance, pourrait-il le réveiller ? Le suspense du prochain acte est désormais connu, au moins de quelques initiés : la finance galopante va-t-elle capter la manne des fonds salariaux de Protection sociale, prochaine monnaie dont elle pense pouvoir disposer en grand ?
L’intrigue en est à ce point précis où les Etats-Unis et la Chine sont en train de se trouver une nouvelle issue par la grâce du condominium financier où ils sont parvenus.
« Aux USA comme en Chine, la santé au coeur de la reprise … Va-t-on, dans les deux pays, rompre pour de bon avec le modèle de développement qui a provoqué la crise - les exportations pour la Chine, le crédit pour l'Amérique - ou bien simplement provoquer un rebond de croissance artificiel, fondé sur le déséquilibre et les inégalités ? » (Philippe Cohen – Marianne, jeudi 06 Août 2009, Aux USA comme en Chine, la santé au coeur de la reprise).
Mais il ne faut pas s’y tromper, malgré les apparences, cette interrogation est loin de ne concerner que les nations dont l’absence de Protection sociale digne de ce nom est devenue criante. Ce n’est donc pas faire preuve de naïveté ou d’absence de solidarité internationale que de s’inquiéter pour le sort qu’une telle partie peut réserver à une Europe dont c’est l’impuissance croissante, qui, elle, est de plus en criante.
C’est pourquoi les fonds salariaux européens, principalement continentaux, se trouvent doublement surexposés aux risques d’un tel jeu de bonneteau à échelle planétaire. Malgré les nombreuses déclinaisons du déni dont le salaire et le salariat sont l’objet depuis plusieurs décennies, tout particulièrement quant à la nature profonde de « la Sécu », c’est à jouer une partition différente de cette fatalité qu’il est nécessaire et possible de s’employer.
Ce qu’il y a d’embêtant avec la finance aujourd’hui, c’est qu’on peut y opérer toutes les opérations et tous les transferts que l’on veut… en trafiquant les finalités.
Le cas de l’organisation « bi-sectorielle » (public et privé) de la Santé nous livre une bien curieuse leçon de Choses. A une certaine époque, pas si lointaine, « le secteur lucratif » existait déjà. Il était principalement aux mains de soignants, de médecins, ayant pignon sur rue et dont la réputation était due à la reconnaissance publique de leur art. Il ne s’agissait pas d’une rente mais d’une situation leur permettant notamment de s’installer en « clinique » (terme éminemment médical) et d’y investir, seul ou le plus souvent à plusieurs.
Qu’a-t-il bien pu se passer pour que cette démarche « entrepreneuriale » apparaisse aujourd’hui si problématique, alors qu’il y a peu, elle ne posait pas davantage d’état d’âme, aux patients ou à la Sécu, que n’en posaient d’autres établissements ou institutions, telles que Mutuelles ou autres ?
Qu’a-t-il bien pu se passer pour que des lieux de soins ou de financement « éligibles à la Sécu » se trouvent de plus en plus entre les mains de « fonds de pension » ou se comportent comme eux ? Le fait qu’il puisse s’agir de fonds de pension anglo-saxons ne fait qu’ajouter à cette bizarrerie, sans en changer l’essentiel.
Comment est-il possible, en effet, de faire de l’argent en faveur de retraités, actuels ou futurs, en plaçant leur argent dans des actions dont les dividendes seront prélevés sur les bénéfices de soins à des salariés ? Comment une Sécu peut-elle servir de pompe à finance à une autre Sécu ? Comment une des branches de la Protection sociale peut-elle en parasiter une autre ?
Comment de tels fonds peuvent-ils prospérer en passant par la case « finance spéculative », dont la norme de profitabilité est « à deux chiffres », dans une activité professionnelle et humaine où la pertinence de la notion de « rentabilité » reste à démontrer ?
Les fonds de la Protection sociale : source de légitimité et d’efficacité pour une intervention salariale dans la crise financière.
Paradoxe : alors qu’appelés à la rescousse, les économistes de tous bords s’accordent sur le fait qu’en dernière instance « système par répartition » et « système par capitalisation » reposent sur un même pilier (le travail productif), les forces ayant historiquement le plus contribué à l’élaboration de la Protection sociale semblent en grande difficulté quant à en saisir la centralité salariale et à en actualiser l’efficacité économique potentielle !
C’est pourquoi il ne faut pas être étonné de trouver des signes avant-coureurs d’une telle reconnaissance ailleurs. A titre d’illustration, sous la signature de François Faure (présenté comme « managing director de la banque américaine Houlihan Lokey Howard & Zukin »), paraissait dans « Le Monde » du 14 février 2006 un article : « La Sécurité sociale, premier actionnaire des entreprises françaises. Et si on assimilait les cotisations sociales à des dividendes que l’économie nationale verserait à la population ? ».
Ce type de proposition prend un sens nouveau aujourd’hui. Il rompt avec le déni et le gel du rôle que le salaire et le salariat sont en droit de jouer dans l’économie. Il serait plus que temps de considérer que la Protection sociale, telle qu’elle s’est construite sur ce continent à partir du XIX° siècle, ne constitue pas un problème, mais une solution.
- Une solution à un paupérisme croissant à la vitesse de la révolution industrielle hier. Une solution à une financiarisation croissante de notre existence aujourd’hui. Il appartient au salarié-citoyen de l’assumer : la Sécu c’est du salaire et, dans le monde d’aujourd’hui, le salaire c’est aussi de la finance. Dans son calcul d’un « capital Sécu », François Faure l’estimait en 2004 à « six fois la capitalisation boursière, et probablement trois à cinq fois la capitalisation totale (fonds propres plus dettes) de nos entreprises ».
- Une solution surtout à l’actuelle déconnexion du monde de la finance avec l’« économie réelle ». L’auteur poursuivait : « Est-il soutenable, à long terme, que le principal ayant droit dans l’économie française n’ait pas voix au chapitre dans les orientations stratégiques des entreprises ?… Faire voter la Sécurité sociale aux conseils d’administration… lui donner, au même titre qu’aux actionnaires, les moyens d’orienter la stratégie des entreprises dans le sens de la protection et du développement de son propre patrimoine ».
Bien sûr, les modalités concrètes d’une intervention salariale dans cette crise financière ne peuvent qu’ouvrir à discussion démocratique avec les acteurs concernés. Bien évidemment, redessiner une intervention salariale, c’est aussi ressusciter du « déjà vu », celui de l’association capital-travail principalement.
Mais rien n’oblige l’histoire à bégayer. Il s’agirait d’assurer au salaire une reconnaissance politique conférant à ces cotisations une légitimité et une capacité économique et politique inédites. Il y aurait là un réflexe salvateur, tant à l’égard d’un avenir économique de plus en plus marqué par la multiplication de signes de désespoir, qu’à l’égard d’une Protection sociale tendant à s’enliser dans un consumérisme contre-productif à tous points de vue.
La monnaie dans une « Nouvelle Economie Politique »
La légitimité économique des fonds salariaux et, grâce à eux, la nécessité et l’efficacité d’une intervention salariale dans les orientations de l’investissement sur nos territoires, n’est cependant pas la seule voie qui concerne le recouvrement d’une part accrue de notre sécurité financière en Europe et dans le monde.
A l’heure de l’Euro, nous ne disposons pas vraiment d’un point de vue suffisamment étayé quant à la place que la monnaie tient, et encore moins de la place que la monnaie pourrait tenir, dans une économie politiquement refondée.
Les impasses de l’économie dominante sur la monnaie, son rabattement sur la seule préoccupation de « la valeur » (pour l’actionnaire, pour les patrimoines, pour le « pouvoir d’achat »…) au détriment d’une meilleure (re)connaissance des flux monétaires dans les réseaux sociaux de l’économie réelle, aboutissent à la situation actuelle, que résume un avis partagé par les citoyens comme par les experts : « On ne sait plus où est passé l’argent ! ».
La monnaie existe depuis la plus Haute Antiquité. Au XXI° siècle, serons-nous capables de savoir ce qu’il est possible d’en faire au service des citoyens ? On en sait plus sur le sens à donner aux rites monétaires de l’Inde védique ou des ‘Aré’aré mélanésiens que sur le sens - ou plutôt le non-sens - des pratiques financières qui ont actuellement cours, à la bourse, à la BCE ou dans un établissement bancaire au coin de la rue !...
Et pourtant !... Lorsqu’une infirmière à domicile, au vu des données de votre carte, vous déclare : « Très bien, vous pourrez me payer en Vitale ! », serait-ce complètement utopique de penser qu’il s’agit bien là d’une monnaie à part entière, en quelque sorte « une monnaie déjà là », une monnaie cherchant à faire sa place dans une société civilisée ?
Et s’il ne tenait qu’à une décision souveraine d’instituer un circuit monétaire spécifique, un circuit exclusivement dédié… disons à un « Eurovital », dont une des contraintes, décidée et réglée politiquement par la loi, consisterait à ne pas pouvoir emprunter les voies des circuits financiers spéculatifs ?
Ne serait-ce pas une mesure préalable visant à couper court à une concurrence – non pas libre et non faussée – mais belle et bien obligatoire, faussée et facteurs de coûts cachés et parasitaires entre secteur public et secteur privé, soit disant complémentaires ?
En République, la monnaie ne pourrait-elle pas devenir un outil puissant - un outil de puissance populaire, salariale et citoyenne - ouvrant et reconnaissant aux activités ne relevant pas essentiellement de la marchandise (santé, retraite, éducation…) sur des règles monétaires et comptables en rupture avec celles qui, jusqu’ici, ont régi la finance dominante ?
Cet article est le 40ème paru sur ce blog dans la catégorie Santé et sécu sociale.