La privatisation partielle est un recul de la solidarité nationale
Deux faits récents concernant le système de santé ont été peu commentés. Pourtant, ils ont une grande importance par leurs conséquences dans la vie des Français, notamment les plus pauvres.
Le premier est l’adoption par le Parlement le 24 juin du projet de loi Bachelot sur l’hôpital (voir Hôpital. Le projet de loi Bachelot adopté - France - Le Télégramme et, pour ceux qui s’intéressent aux débats parlementaires qui ont accompagné l’adoption de cette loi, Assemblée nationale - Santé : réforme de l'hôpital).
« Après les députés mardi, les sénateurs ont approuvé par 174 voix contre 154 l'accord trouvé le 17juin entre les membres des deux assemblées réunis en commission mixte paritaire (CMP). L'UMP et les centristes ont voté pour le texte de Roselyne Bachelot, l'ensemble de la gauche contre ce «démantèlement du service public hospitalier».
Le texte sort considérablement allongé de près de six mois de débats parlementaires. Alors que le projet initial comptait 33 articles, le texte est désormais long de 148 articles. Mais sa version finale revient très largement au projet de la ministre de la Santé.
De nombreux amendements ont été adoptés, principalement au Sénat, pour répondre aux inquiétudes des professionnels de santé qui ont manifesté contre la réforme. Dans une grogne sans précédent, les «mandarins» s'étaient alarmés du projet du gouvernement de faire du directeur des hôpitaux les «vrais patrons». Députés et sénateurs se sont mis d'accord sur ce point précisant que le projet médical de chaque hôpital sera élaboré par le président de la commission médicale d'établissement «avec le directeur».
Hormis cette petite concession, les autres points-clés du texte ont été adoptés. Les directeurs de CHU seront désormais nommés en conseil des ministres. Les conseils d'administration, aujourd'hui présidés par les maires, seront transformés en conseils de surveillance dans lesquels élus, personnels et personnalités qualifiées seront représentés à parts égales. Le conseil ne sera pas obligatoirement présidé par un élu.
Le texte institue des Agences régionales de santé (ARS), qui regrouperont sur un territoire donné les différents services de l'État et de l'assurance-maladie. Les directeurs généraux des ARS seront nommés en conseil des ministres, le préfet de région ayant la haute main sur le conseil de surveillance. Le projet de loi reprend la proposition phare du rapport de Gérard Larcher, la création de «communautés hospitalières de territoire». Cette formule permet à des établissements publics (hôpitaux, maternités...) d'une même zone géographique de se regrouper ».
Voir aussi Le personnel des hôpitaux publics fait de la résistance à la loi HPST - 30 avril 2009.
A noter le point de vue de Elie Arié, médecin, publié sur le site de Marianne le 2 juillet sous le titre Hôpital: une réforme dans l'indifférence générale.
Ouest-France, ce 8 juillet, souligne la virulence des controverses entre les cliniques privées et les hôpitaux publics sur la question des tarifications (voir Cliniques et hôpitaux s'étripent sur les dépenses).
Le second fait marquant est la déclaration du président de la République, le 4 juin, à Bordeaux, lors du congrès de la Mutualité française, lorsqu’il a souhaité que soient confiées de nouvelles responsabilités aux organismes complémentaires, ce qui serait de nature à modifier les contours de la sécurité sociale.
Il y aurait matière à « un vrai débat politique et de société », comme le note Elie Arié dans un message récent.
A cet égard, l’article paru ce 8 juillet sur le site du quotidien Le Monde pose bien le problème.
Le système de santé en voie de privatisation ?, par Cécile Prieur
Sans faire de vagues, sans provoquer ni polémique ni débat, Nicolas Sarkozy fait profondément bouger les lignes du système de santé français. Le discours qu'il a prononcé, le 4 juin, lors du congrès de la Mutualité française, à Bordeaux, pourrait transformer durablement les contours de la Sécurité sociale. Qu'a dit le président de la République ? Que les "ressources de la solidarité nationale ne sont pas infinies" et que "les régimes de base ne pourront pas tout financer". "La solidarité nationale, financée par des prélèvements obligatoires, continuera de remplir sa mission, a annoncé M. Sarkozy. Mais à ses côtés, d'autres formes de protection sont appelées à se développer (...). Je souhaite que soient confiées de nouvelles responsabilités aux organismes complémentaires."
S'il se concrétisait dans les années qui viennent, ce programme d'action pour l'assurance-maladie acterait un recul de la solidarité nationale. Un déplacement des lignes de partage entre assurance-maladie obligatoire et organismes complémentaires - mutuelles, instituts de prévoyance, assurances privées -, les seconds étant appelés à augmenter leur part de soins remboursés, revient à accepter une privatisation partielle du système de santé. Et s'il parait indolore pour une bonne part des Français, il se fera au détriment des millions de personnes qui détiennent une mutuelle de mauvaise qualité voire n'en ont pas du tout.
Aujourd'hui, la très grande majorité des Français (92 %) possède une couverture complémentaire. Mais ce taux important cache de très nombreuses disparités. Les salariés sont couverts par des contrats collectifs, offerts par leurs entreprises et souvent généreux dans leurs remboursements.
A l'inverse, les chômeurs, les professions libérales et les retraités doivent recourir à des contrats individuels, dont les primes sont souvent indexées sur l'âge des adhérents. Les personnes âgées, notamment, peuvent dépenser plusieurs milliers d'euros par an pour des couvertures complémentaires parfois peu performantes. Au titre des personnes détenant une complémentaire, se trouvent également les quatre millions de bénéficiaires de la couverture-maladie universelle (CMU) instaurée en 1999 pour les plus défavorisés et qui est accessible aux revenus inférieurs à 621 euros mensuels.
Restent les 7 % de Français qui échappent à toute couverture complémentaire. Pour ces personnes, qui ne peuvent bénéficier de la CMU, adhérer à une mutuelle représente un trop gros effort financier. La proportion de personnes "sans mutuelle" est ainsi de 15 % chez les ouvriers et de 18 % chez les chômeurs contre 5 % chez les cadres.
Or l'absence de couverture par une complémentaire est un facteur important de renoncement aux soins. Selon une étude de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), 32 % des personnes non couvertes déclarent avoir renoncé à se soigner en 2006, contre 19 % des bénéficiaires de la CMU et 13 % d'une complémentaire privée. Ces personnes sacrifient le plus souvent les soins bucco-dentaires, l'optique et les consultations médicales avec dépassements d'honoraires, c'est-à-dire les soins qui sont les moins remboursés par la "Sécu".
Pour tous ces Français, le projet présidentiel - transférer des pans de l'assurance-maladie obligatoire vers les complémentaires - se traduira par de nouveaux obstacles dans l'accès aux soins. Le gouvernement le sait pertinemment qui a décidé d'augmenter le plafond de l'aide à la complémentaire santé, une subvention qui finance en partie l'adhésion à une mutuelle. Fin 2008, un demi-million de personnes bénéficiaient de cette aide qui s'élevait en moyenne à 200 euros par an. Mais ce dispositif laisse de côté encore bien trop de "sans-mutuelle" : la population cible est en effet estimée à 2 à 3 millions de personnes.
En réalité, à moins de rendre obligatoire l'acquisition d'une mutuelle ou d'étendre le bénéfice de la CMU à des populations plus larges, l'augmentation du champ d'intervention des organismes complémentaires ne peut que creuser les inégalités de santé.
Le transfert annoncé se traduira en effet mécaniquement par une augmentation des primes. Or ce surenchérissement du prix des complémentaires serait bien plus inégalitaire qu'une augmentation des cotisations sociales, qui sont proportionnelles aux salaires.
Au nom de son refus d'augmenter les prélèvements obligatoires, M. Sarkozy tourne le dos à l'idée de redistribution entre hauts et bas revenus, portée par la Sécurité sociale. Ce ne sera plus chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins, qui était le dogme fondateur de la "Sécu", mais chacun reçoit en fonction de ce qu'il aura réussi (ou non) à payer.
Le plus regrettable, dans ce mouvement, est sans doute qu'il s'opère à bas-bruit, presque en catimini. La technicité du sujet permet en effet de masquer l'enjeu démocratique majeur qui se pose aux Français : sommes-nous prêts à payer plus pour notre système de santé ? Si oui, est-ce dans l'esprit de la Sécurité sociale ou en acceptant une privatisation progressive du système ?
Ces questions mériteraient un débat public clair. Et non d'être purement et simplement escamotées.
Cet article est le 38ème paru sur ce blog dans la catégorie Santé et sécu sociale.