En 2009, en France, les élites financières n’ont pas compris
Je prends connaissance en même temps du rapport Houillon, portant sur les rémunérations excessives des grands patrons, et du livre de Jean Nicolas, concernant la rébellion française (avant 1789).
L’auteur fait le lien entre ce qu’il a étudié (1661-1789) et le comportement des élites financières actuelles. Cela ne me surprend pas. Plusieurs fois, sur ce blog, j’ai fait allusion à 1789 à propos du sentiment des Français à l’égard des privilèges. L’oppression du peuple par les pouvoirs politiques soutenant le capitalisme financier est comparable à celle qu’exerçait la monarchie sur le peuple avant la Révolution.
Connaissant le tempérament français, j’en déduis qu’en temps de crise, il y aura un clash (Sarkozy commence à le pressentir, si l’on en juge à son nouveau comportement…).
D’abord, je renvoie à l’article paru sur ce blog le 28 mai dernier : De crise en crise, le capitalisme vit pour le profit maximum immédiat.
Puis, j’introduis une pincée de stress ressenti par les économistes, lors des 9e Rencontres d'Aix-en-Provence, du 4 au 6 juillet : Et si la crise économique ne faisait que commencer ?, par Frédéric Lemaître (Le Monde, 6 juillet).
Certes, Les grosses fortunes françaises pâtissent de la crise (Le Monde, 9 juillet)
« La crise a fait fondre de 27 % la valeur totale des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France en un an, la faisant passer à 194 milliards d'euros, selon le classement 2009 publié dans le magazine Challenges jeudi 9 juillet ».
Et Bill Bonner, co-fondateur de La Chronique Agora, qui n’est pas le dernier à (bien) vivre du capitalisme, observait, dans sa chronique du 7 juillet, avec une pointe d’ironie Le capitalisme et la Suisse, victimes de la crise boursière.
« La valeur des actifs financiers (aux USA) a chuté en 2007-2009. La somme perdue, selon les derniers chiffres que nous ayons vu, se monte à 13 000 milliards de dollars environ. En gros, les maisons et les actions ont chuté d'un tiers environ (…). Les riches ont beaucoup perdu. Ils ont dû subir environ 85% des pertes, soit un total de 10 000 milliards environ ».
Le rapport Houillon
En France, quoi qu’en pense la présidente du MEDEF, les grands patrons ne semblent pas avoir tiré les conséquences de la crise du capitalisme : Rémunérations excessives des grands patrons: le rapport Houillon ... (site de l’ancien premier ministre, de Villepin, 8 juillet)
Le député-maire UMP de Pontoise, Philippe Houillon, a présenté ce mardi le rapport de sa mission d'information sur les rémunérations des dirigeants. Contre l’avis de la présidente du Médef, Laurence Parisot, ce rapport préconise l’élaboration d’une loi cadre sur les salaires des grands patrons.
Le rapport juge que l'autorégulation prônée par le patronat français avec son "code de bonne conduite" de 2008 n'a pas fonctionné. "Compte tenu de l'ampleur de la crise actuelle et de ses conséquences parfois dramatiques pour des centaines de milliers de salariés, le maintien du statu quo est devenu impossible", lit-on dans les conclusions de ce document.
Les 16 propositions faites par la mission Houillon au terme d'un travail de sept mois vont beaucoup plus loin que les mesures prises par le gouvernement face aux nombreux abus révélés ces derniers mois par la presse, qui ont fait scandale en cette période de crise.
Un fossé financier qui ne cesse de s'accroître
Le rapport remarque que le revenu annuel moyen des dirigeants des plus importantes sociétés françaises était en 2007 d'environ cinq millions d'euros, soit 312 fois plus que le revenu médian des Français pour une personne seule (15.780 euros). Neuf des 17 premiers revenus des patrons du CAC 40 ont augmenté en 2008, est-il relevé.
"Si l'on rapporte l'utilité sociale d'un dirigeant mandataire social à celle d'un chirurgien, d'un gardien de la paix ou d'un pompier, on peut légitimement s'interroger sur le fossé financier qui les sépare", lit-on dans le document.
"Entre 1997 et 2007, la rémunération moyenne des dirigeants de grandes sociétés cotées a progressé de 15 % chaque année quand, dans le même temps, celle des salariés évoluait de 3 % par an", constate Philippe Houillon dans un entretien au Parisien.
Les actions gratuites, stock-options (droit d'acheter des actions à un cours déterminé avec revente profitable à la clef), "parachutes dorés" (indemnités de départ), "retraites-chapeau" (venant s'ajouter aux sommes versées par la Sécurité sociale) persistent, souligne-t-il. Il précise à titre d'exemple qu'Antoine Zacharias, ancien P-DG de Vinci perçoit 2,2 millions d'euros de retraite-chapeau chaque année, Jean-René Fourtou (Vivendi) et Alain Joly (Air Liquide) 1,2 million d'euros chacun, Bertrand Collomb (Saint-Gobain) un million d'euros.
Ces éléments de rémunération sont souvent versés à des dirigeants en situation d'échec, explique le document, qui juge vain d'espérer une autorégulation du monde patronal.
La mission Houillon émet 16 propositions
Les députés recommandent donc le vote d'une loi-cadre avec 16 propositions.
Les députés préconisent la transformation du comité des sages constitué par le patronat en un observatoire des rémunérations, dont la composition et les possibilités de saisine seraient élargies.
Le rapport suggère de réduire de cinq à trois le nombre de mandats sociaux détenus par un même dirigeant, de limiter les jetons de présence, d'interdire le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, d'encadrer les stock-options et de remplacer les "retraites-chapeaux" par un système par capitalisation sur la base de cotisations personnelles du chef d'entreprise.
Les députés proposent aussi de plafonner à un million d'euros les rémunérations et avantages consentis aux mandataires sociaux restant déductibles de l'impôt sur les sociétés.
Un aménagement des procédures d'attribution des rémunérations dans les sociétés et un droit de regard des syndicats sur les rémunérations sont également proposés.
Harmoniser les règles au niveau européen
Au total, les députés souhaitent mieux encadrer la rémunération des dirigeants en inscrivant dans le marbre, donc dans la loi, le principe d’un salaire correspondant "à l'intérêt général de l'entreprise". Question de définition, ledit intérêt général devrait tenir compte de la moyenne des rémunérations des dirigeants d'entreprise du même secteur, des performances économiques réalisées ainsi que du traitement social des salariés.
Selon les députés, il est en effet "permis de douter que les niveaux atteints par les rémunérations de la majorité des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40, présente aujourd'hui une corrélation étroite avec les résultats de leur gestion, alors qu'il en va tout autrement du commun des chefs d'entreprise français, notamment ceux à la tête des TPE et des PME".
Un tel tableau des élites financières françaises renvoie au livre de Jean Nicolas, présenté sur le site de Marianne, ce 9 juillet « Les élites de 2009 sont aussi aveugles que celles de 1789 »
La rébellion française (1661-1789), de Jean Nicolas, Folio histoire, 1064 pages, 12,10 €.
Cet article est le 77ème paru sur ce blog dans la catégorie Capitalisme .