Le ministre Bruno Le Maire, plus européen que français
En plein été, donc en pleine période de consommation de fruits et légumes, le ministre Bruno Le Maire (voir Ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche ... « C’est en Europe que se joue l’avenir de l’agriculture ») a cru bon de préciser que les producteurs allaient devoir rembourser des aides accordées par l’Etat entre 1992 et 2002.
Voir l’article du quotidien Le Monde, paru ce 3 août : Bruno Le Maire : les producteurs "rembourseront moins de 500 millions d'euros".
L'été s'annonce chaud dans les vergers. Les producteurs français de fruits et légumes vont devoir rembourser les aides publiques versées par l'Etat entre 1992 et 2002, soit plusieurs centaines de millions d'euros, a affirmé lundi 3 août le ministre de l'agriculture dans Le Parisien. Bruxelles estime que ces aides ont faussé la concurrence dans l'UE.
"Il est certain que nous devrons engager une procédure de remboursements auprès des producteurs", a déclaré Bruno Le Maire dans un entretien au quotidien francilien. "Je ne veux pas exposer la France à une condamnation qui l'obligerait à rembourser une somme plus conséquente dans cinq ou dix ans", a-t-il expliqué.
Fin janvier, la Commission européenne a demandé à la France de récupérer les aides publiques versées pendant dix ans, de 1992 à 2002, à ses producteurs de fruits et légumes, estimant qu'elles avaient faussé la concurrence dans l'UE.
Selon le gouvernement, la facture totale réclamée par Bruxelles serait en fait de l'ordre de 500 millions d'euros, en comptant les intérêts. Mais les producteurs "rembourseront moins de 500 millions d'euros", a affirmé le ministre, qui conteste ce montant. Son prédécesseur, Michel Barnier, avait d'ailleurs déposé un recours en ce sens début avril devant la Cour de justice européenne.
La question du recouvrement est d'autant plus délicate que de nombreux exploitants ont abandonné leur activité, certains sont morts et d'autres sont dans l'incapacité de payer vu le contexte économique. Le ministre a assuré en tous les cas qu'il n'y aurait "pas de recouvrement effectif avant plusieurs mois".
Le 28 janvier, la Commission européenne avait demandé à Paris de récupérer plus de 330 millions d'euros d'aides publiques versées entre 1992 et 2002 à ses producteurs de fruits et légumes. L'exécutif européen avait ouvert une enquête à ce sujet en 2005 (…).
Les producteurs, qui subissent de plein fouet la baisse des prix des fruits et légumes, refusent de s'acquitter de la facture. François Lafitte, président de la Fédération des comités économiques (Fédécom), qui représente les exploitants, a estimé que "cela serait la ruine de la profession". Voir "Les producteurs de fruits et légumes ne paieront pas".
Voir aussi les articles parus ce jour sur Rue89 Pourquoi Bruxelles réclame 500 millions aux agriculteurs français et sur le site du Nouvel Observateur Que les agriculteurs remboursent 500 millions d'euros à Bruxelles ? "Impossible".
L’ancien secrétaire d’Etat aux affaires européennes a pris l’habitude de montrer son meilleur profil européen, sans se soucier à l’excès des intérêts des producteurs (d’ailleurs, n’est-il pas, d’abord, le ministre de l’Alimentation ?).
Et, pourtant, ceux-ci avancent des arguments valables, concernant les problèmes de distorsion de concurrence : le coût du travail, bien inférieur dans certains pays, les travailleurs non déclarés qui seraient plus nombreux en Espagne, par exemple, les règles d’application des traitements phytosanitaires (pesticides), peu rigoureuses par rapport aux nôtres.
Les maraîchers nantais s’estiment pénalisés par les distorsions de concurrence en Europe. Ils l’ont fait savoir au président, Jacques Remiller, du groupe d’études sur les fruits et légumes, à l’Assemblée nationale (voir L'AVENIR AGRICOLE EN LIGNE, 10 juillet).
D’autre part, L’Interfel (Qu'est ce qu'Interfel - L'interprofession des fruits et légumes frais) a prouvé, lors de conférences organisées à l’Assemblée nationale, le 29 avril 2009, que les prix des fruits et légumes sont moins élevés que ne le ressentent les consommateurs (L’avenir agricole, 15 mai).
« Le consommateur ne perçoit pas toujours l’existence d’un travail humain, de coûts matériels et de services qu’il est justifié de rémunérer », explique Eric Birlouez, ingénieur agronome, consultant et enseignant en histoire et sociologie de l’alimentation. Interfel insiste aussi sur la grande variabilité de prix des fruits et légumes, selon la demande et les conditions climatiques.
Tous ces points seront sûrement évoqués demain lors de la rencontre entre le ministre et les représentants de la filière. Ce matin, sur Europe1, Bruno Le Maire a cherché à rassurer ses interlocuteurs : Subventions : Le Maire veut rassurer les agriculteurs.
Il y a de quoi être scandalisé quand on sait que le secteur des fruits et légumes est l'un des moins aidés par l'Union européenne, alors que ces produits font l'objet de recommandations publiques de consommation, en raison de leur intérêt pour la santé. Les Etats ont la responsabilité de veiller à l'approvisionnement de la population dans de bonnes conditions, ce qui justifie les aides.
Mais, aux yeux de la Commission européenne, il est préférable de garantir la concurrence libre et non faussée, même si cela se traduit par des importations et des transports sur de longues distances. Et, comme l'a dit Daniel Cohn-Bendit, sur Europe1, ce matin, "La Commission s’est pris les pieds dans son propre filet. Avec une politique agricole commune injuste, on n’arrive pas à retrouver de la justice et de l’équité dans la concurrence".
Parmi les syndicats agricoles, la FNSEA et la Coordination Rurale ont été les plus réactifs. Voici le communiqué de ce dernier, publié ce 3 août (voir Remboursement des aides versées au secteur des fruits et légumes :).
Après avoir lancé contre certains viticulteurs, l’hiver dernier, les opérations de recouvrement d’aides accordées pour reconvertir leur vignoble, l’Etat français se tourne maintenant vers de nouvelles victimes, les producteurs de fruits et légumes, coupables d’avoir eux aussi fait confiance à l’Etat.
La Coordination Rurale considère qu’il est hors de question que ces producteurs fassent les frais, même de manière partielle, des inconséquences des politiques agricoles française et européenne. Celles-ci sont incapables depuis des années d’organiser correctement la production et le marché des fruits et légumes et elles prétendent corriger cette incapacité par des palliatifs souvent coûteux et inefficaces qui ne permettent pas de maintenir un revenu décent pour les producteurs.
Il est donc insupportable de voir maintenant réclamer sans gêne ni scrupules des sommes versées à des producteurs dont beaucoup ont disparu, victimes de la crise structurelle qui secoue sans cesse ces secteurs.
L’agriculture française est en plein désarroi tous secteurs confondus et les agriculteurs attendent de leur ministre et du gouvernement des preuves de leur soutien pour continuer à accorder un quelconque crédit à leur représentation politique.
Dans le cas contraire, les réactions devant tant d’incompréhension et de mépris deviendront rapidement imprévisibles et incontrôlables dans les campagnes.
Cet article est le 129ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.