L’Allemagne et ses alliés (Commission, BCE) n’ont rien cédé
La présidence française du Conseil européen s’achève demain soir. La personnalité du président Sarkozy a incontestablement marqué les esprits (voir sur ce blog Présidence française : Sarkozy a changé l'Europe et l'UE l'a changé - 16 décembre 2008), davantage sur la forme que sur le fond.
Comme au niveau national (voir 2008, une fin d'année difficile en France pour le président Sarkozy - 22 décembre 2008), la fin de l’année européenne n’est pas vraiment favorable au président français.
Le Conseil européen qui s’est déroulé à Bruxelles les 11 et 12 décembre s’est conclu sur des décisions qui n’auront aucun caractère historique :
- l’une, fort contestable car en dehors de la démocratie (non respect de la souveraineté du peuple irlandais, demande d’un nouveau vote),
- une autre, qui va dans le bon sens, mais n’est pas à la hauteur des enjeux (le plan énergie-climat, qui s’est affaibli au fur et à mesure des compromis liés à la recherche de l’unanimité),
- la troisième, qui avait bénéficié d’un effet d’annonce, a carrément fait pschitt (le plan de relance qui n’a d’européen que le nom, chaque Etat membre se débrouillant de son côté).
La guerre de reconquête de Gaza par Israël n’a pas troublé les vacances brésiliennes du président, alors que les évènements de Palestine sont d’une gravité incontestable. Il est vrai que la décision de l’Union européenne, sous présidence française, de réévaluer le soutien de l’UE à Israël, en parfaite connaissance des projets guerriers imminents de cet Etat, ne rehausse pas le bilan du président français (voir, à ce sujet, sur ce blog L'Etat israélien lance la guerre de reconquête de la bande de Gaza - 29 décembre 2008).
Il faut bien réfléchir avant de tirer les conclusions de ce semestre de présidence française du Conseil européen. La présence de Jean-Pierre Jouyet au secrétariat d’Etat aux affaires européennes a fortement contribué à mettre de l’huile dans les rouages de la présidence (lire l’entretien réalisé par le correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer "L'Europe est passée de l'influence à la puissance" - 21 décembre).
Le même chroniqueur, dont les options en faveur d’une Europe fédérale sont connues, avait constaté L'Union après Sarkozy, plus intergouvernementale que communautaire (blog, 17 décembre).
C’est, d’ailleurs, ce qui explique que Daniel Cohn-Bendit reproche à Nicolas Sarkozy sa vision de l’Europe (La Mouette, 17 décembre).
La Commission européenne soutient l’Allemagne et critique la France
Le président Sarkozy est contesté par la Commission européenne. J’ai eu l’occasion de le constater, lors d’un voyage d’étude à Bruxelles les 3 et 4 décembre, organisé par l’AFLEC*.
Le programme comportait, notamment, une rencontre de notre groupe de citoyens avec Christian Ghymers, conseiller à la direction générale Economie et Finances (Commission européenne), sur le thème de la crise financière et les réponses apportées par l’UE.
Ce brillant fonctionnaire n’a pas manqué de glorifier les choix du président de la Banque Centrale Européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, justifiant sa politique monétaire et critiquant ceux qui la contestent.
Le principal reproche adressé à la France porte sur sa politique budgétaire ; elle n’accepte pas de réduire les déficits quand la situation économique s’améliore.
En 2003, il y avait deux pays coalisés pour ne pas appliquer le pacte de stabilité (France et Italie). En 2005, le pacte a été assoupli, mais quand il a fallu renforcer la discipline, la France a dit non, suivie de l’Italie, alors que l’Allemagne l’a fait. Les Allemands en ont assez. Ils ont le soutien de la Commission.
Lors du dernier Conseil ECOFIN, les ministres de l’économie et des finances étaient proches de la rupture.
Le président français est présenté comme un agité qui, sous couvert de coordination macroéconomique, veut imposer sa politique aux autres. On veut obliger l’Allemagne à dépenser plus. C’est de la coordination centralisée, à la mode Sarkozy.
* Ce déplacement de deux jours à Bruxelles était organisé par l’AFLEC Association Familiale Loisirs Et Culture Saint-Berthevin ... en relation avec Georges Garot, président de la Maison de l’Europe en Mayenne et vice-président de la fédération nationale des Maisons de l’Europe. Georges Garot a été député au Parlement européen de 1997 à 2004, responsable des questions agricoles pour le PSE (voir Georges Garot - Wikipédia).
Qui croire ? Les médias français mettent en avant les succès de la présidence européenne de Sarkozy. Il y a des exceptions. J’en ai trouvé une, le 28 décembre, sur le site de Marianne, signée Roland Hureaux (cliquer sur le titre, ci-après, et consulter le texte plus long sur le blog roland.hureaux).
Sarko l'Américain ou Sarko l'Allemand ?
Le dernier sommet européen de Bruxelles qui devait terminer en fanfare la présidence française, est passé relativement inaperçu. Hors la décision fort peu démocratique de refaire voter les Irlandais, il a été question d’un plan climat adopté à l’unanimité mais qui n’est, on le sait, qu’un plan a minima.
Le projet de relance européenne est, lui, passé à la trappe sans que cet échec ait fait la une d’aucun journal. Chaque pays fera dans son coin son petit plan de relance.
Pourtant que n’avait-on entendu au cours des semaines qui avaient précédé ? Sarkozy menait tambour battant, en accord avec le Royaume-Uni et avec l’appui de la plupart des autres pays et même de la commission une offensive pour contraindre les Allemands à se rallier à une politique de relance de grande envergure, analogue à celle des Anglo-Saxons.
On ne peut être il est vrai que frappé du contraste entre le comportement des Anglo-Saxons et celui des Européens du continent, Allemagne en tête, dans la crise.
La responsabilité des Anglo-Saxons est sans nul doute beaucoup plus lourde que celle des Européens. On ne l’a pas assez dit : les subprimes furent d’abord un phénomène du marché intérieur américain. Sur leur propre marché intérieur, les banques européennes (Anglais et Espagnols mis à part) furent au cours des années qui ont précédé la crise extrêmement prudentes. C’est l’excès de liquidité qu’elles ont placé sur le marché américain des produits dérivés qui les a impliquées dans la crise.
Même si les Américains sont bien plus responsables de la crise que les Européens, dès qu’il s’agit de rebondir, le contraste est en sens inverse : d’un côté, des Anglo-Saxons d’une réactivité surprenante engageant des sommes considérables à la fois pour secourir le système bancaire et pour relancer la production. Des mesures drastiques telles la dévaluation de 30 % de la livre sterling. Les Anglo-Saxons n’ont même pas hésité, du jour au lendemain, pour faire front à renier leurs principes séculaires : larges prises de participation de l’Etat dans les banques aux Etats-Unis, prise de contrôle à 50 % au Royaume-Uni.
Le contraste est cruel avec ce qui se passe sur le continent. Certes si les montants en jeu pour sauver les banques sont moins importants, c’est qu’elles sont moins atteintes par la crise. Mais s’agissant de la relance de l’économie, les sommes mises en jeu par la France sont faibles : 26 milliards d’euros et encore ne s’agit-il pour une partie que de l’habillage de crédits déjà programmés. Le plan allemand se réduit à presque rien en dehors de la volonté bien réelle de sauver ce symbole national qu’est l’industrie automobile. On tient pour une grande audace que la BCE ait, pour la première fois de son histoire baissé ses taux d’intervention de 0,75 % (une baisse qui soit dit en passant n’est nullement répercutée par le système bancaire français) pour les ramener à 2,5 %. Mais c’est bien peu auprès de la Fed descendant à 0 %.
Face à ces réactions totalement dissymétriques, reflet de deux tempéraments économiques très différents, où se situe la France de Sarkozy ? A entendre les médias, à considérer les gesticulations du président : nul doute, sa mobilité, sa réactivité sont de type anglo-saxon. « Mme Merkel réfléchit, moi, j’agis », dit-il. Il aurait ainsi réussi à isoler l’Allemagne. Oui, mais l’Allemagne n’a pas cédé. Et si l’on considère, non pas les discours mais les actes, à quelques habillages près, c’est sur l’Allemagne que la France s’est alignée.
Pour qu’il en aille autrement, il eut fallu faire plier significativement la politique de la banque centrale européenne ou celle du gouvernement de Berlin. Si Trichet s’est un peu assoupli - un peu seulement - il n’en a rien été de Mme Merkel qui a ignoré les gesticulations françaises. Faute d’arriver à faire plier les Allemands, les Français pourraient sortir de l’euro. Mais de cela non plus il n’a pas été question.
Nicolas Sarkozy n’a même pas utilisé la marge de manœuvre que lui laissait l’Europe : assortir l’appui aux banques d’un contrôle plus strict de celles-ci pour les inciter à prêter. Bien au contraire, les facilités qui leur ont été consenties ne sont assorties chez nous ni d’une prise de contrôle ni même d’une obligation de remboursement.
Idéologie, copinage, timidité : Sarkozy reste, dans ce domaine à des années lumières des audaces d’un Gordon Brown à qui rien pourtant, rien ne l’empêchait d’emboîter le pas. Comment contraindre les banques françaises de prêter davantage aux PME et aux particuliers afin d’éviter la récession ? La nomination d’un médiateur, l’appel à l’intervention des préfets, apparaissent comme des palliatifs dérisoires par rapport à l’ampleur du problème.
Sans doute les audaces anglo-saxonnes recèlent-elles des dangers : celui de relancer l’inflation au niveau mondial. Mais la timidité de la zone euro en recèle un au moins aussi grave : que l’Europe continentale s’embourbe dans une récession à la japonaise, traînant pendant des années une économie essoufflée, incapable de trouver un nouveau ressort, pendant que s’y poursuivrait la désindustrialisation. Il ne servait à rien de tant s’agiter si c’était pour demeurer, quant au fond, le toutou discipliné de l’Allemagne.
Colloque de la Fondation Res Publica : L'Allemagne, la crise, l'Europe
Avec la participation de :
- Edouard Husson, maître de conférences à l’Université de Paris IV
- Ernst Hillebrand, directeur du bureau parisien de la Fondation Friedrich Ebert
- Lutz Meier, correspondant parisien du Financial Times Deutschland
- Hans Stark, secrétaire général du Cerfa (Comité d'Etude des Relations Franco-allemandes) à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
- Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica
Inscriptions : voir www.fondation-res-publica.org.
Cet article est le 39ème paru sur ce blog dans la catégorie France et Europe