Suspendre l’intervention en 2018 sur la poudre de lait, c’est précipiter la crise
André PFLIMLIN a réagi après la décision prise par le Conseil de l’Union Européenne de suspendre l’intervention sur la poudre de lait. Il avait écrit, le 22 janvier, une analyse complète de la question des stocks de poudre de lait.
Voir EMB (European Milk Board) : Comment éviter une nouvelle crise laitière en 2018 ?
Et aussi (Réseau CiViQ, 25 janvier 2018) : André Pflimlin : une nouvelle crise laitière en perspective en 2018 (4)
Le Comité européen des régions, le 1er février, a mis en garde contre le risque d’une nouvelle crise laitière. Alors qu'une surproduction laitière est annoncée pour ce printemps, Karl-Heinz Lambertz (BE/PSE), Président du Comité européen des régions (CdR), estime que "La décision de stopper temporairement les achats automatiques de poudre de lait adoptée par le Conseil des ministres le 29 janvier, sans aucune mesure d'accompagnement pour la réduction de la production, risque de précipiter l'Europe dans une nouvelle crise laitière".
Voici le texte transmis par André Pflimlin, daté du 2 février 2018, diffusé par EMB, dans son bulletin de février 2018 : Avec la suspension de l’intervention, la crise laitière est annoncée
Avec la suspension de l’intervention en 2018, la crise laitière est annoncée
La suspension de l’intervention sur la poudre de lait maigre adoptée par le Conseil des ministres le 29/ 01/18 est une très mauvaise nouvelle pour les éleveurs laitiers et pour l’Europe. Elle va précipiter la crise et non pas l’éviter comme voudrait le faire croire la Commission (1). En effet l’intervention, dernier filet de sécurité pour soutenir les prix, s’avérait encore plus indispensable face à la surproduction laitière de ce printemps 2018. Annoncée fin janvier pour application au 1er mars, cette suspension de l’intervention ne peut rien changer, ni sur les volumes de production, ni sur les fabrications de poudre des prochains mois. Par contre, son coût est transféré du budget européen à celui des transformateurs qui assureront le stockage à leurs frais et ce sont les éleveurs qui paieront l’addition par la chute du prix du lait.
Reprenons l’analyse dans le bon ordre.
1. La régulation de la production laitière est indispensable mais Phil Hogan n’en veut pas.
La croissance de la production a repris en Europe et dans le monde alors que celle de la demande est revue à la baisse. Au cours du dernier trimestre 2017, la collecte des 28 pays de l’UE a dépassé de plus d’un million de tonnes toutes les prévisions. Et ce surplus d’un trimestre UE correspondrait à la croissance annuelle du marché mondial attendue pour la prochaine décennie, d’après les prévisions de la Commission elle même, celle-ci reconnaissant enfin que le Marché Mondial n’est plus la voie royale pour ce secteur. Dans ce nouveau contexte, l’UE étant un des acteurs majeurs de la production laitière mondiale, la réduction temporaire volontaire ou obligatoire des livraisons permettant de mieux réguler les volumes et les prix devient incontournable.
Mais le Commissaire Phil Hogan pariant toujours sur le grand export, a refusé d’inclure cette mesure de régulation temporaire dans le règlement Omnibus malgré la demande du Parlement Européen et du Comité des Régions. Hogan n’a rien appris de la crise précédente : en 2015 il l’avait tout simplement niée ; en 2016, il a privilégié le stockage massif de poudre plutôt que de limiter la collecte. Ce n’est qu’en juillet 2016 qu’il a enfin proposé une aide à la réduction volontaire de livraison, seule mesure efficace pour redresser les cours du marché. Elle fut aussi peu coûteuse (150 M€ proposés dont 110 M € utilisés) par rapport au milliard d’euros distribué par la Commission et plusieurs autres milliards distribués par les différents pays qui n’ont fait que prolonger la crise.
2. Aujourd’hui, la première mesure pour assainir le marché, c’est le dégagement des vieux stocks de poudre de lait qui pèsent lourdement sur les cours européens et mondiaux. Le retrait de ces stocks de poudre doit rester une mesure exceptionnelle et urgente pour corriger des mauvais choix faits en 2015 et 2016 en augmentant les plafonds de stockage pour l’intervention au lieu de réduire la collecte. Ces stocks étant bientôt en limite de péremption pour l’alimentation humaine, il faut examiner toutes les solutions, du moins pour les 300 000 t de poudre les plus anciennes sur les 380 000 t stockées pour l’intervention. Il faut impérativement les sortir du marché classique et soutenir leur utilisation pour l’aide alimentaire mondiale et pour l’alimentation animale, en rendant son prix attractif pour les fabricants d’aliment du bétail.
3. La suppression de l’intervention pour la saison 2018, sans les deux mesures précédentes, est non seulement contre-productive, c’est une faute politique. Parce qu’il ne faudrait plus grossir les stocks, la Commission ferme le guichet, sans se soucier des conséquences ou, pire, en affirmant des contre-vérités pour se justifier (1). En suspendant l’intervention pour ce printemps pour nos surplus de «poudre fraîche», sans résoudre le problème des vieux stocks et sans mesure d’accompagnement pour réduire la production, cela se traduira par une «double» chute du prix du lait. Ainsi, le Commissaire Hogan, sous prétexte de bonne gestion budgétaire, a demandé la «double peine » pour les éleveurs, alors que la « faute» lui revient largement. Et le Conseil des 28 ministres l’a suivi et a adopté cette sentence. Comment et pourquoi nos ministres de l’agriculture se sont-ils fait piéger par cette proposition ultralibérale et cynique par ses conséquences immédiates pour les éleveurs?
Le Conseil des ministres doit maintenant reprendre le dossier en imposant le dégagement des vieux stocks et en restaurant l’intervention, certes coûteuse et ne freinant pas la production donc nécessairement couplée à une régulation européenne de la production.
La réduction volontaire aidée de l’automne 2016 a montré que c’était faisable, efficace et peu coûteux. De nombreuses organisations européennes et nationales se mobilisent sur cette même revendication. Le Comité Européen des Régions (2) et l’EMB (3) se sont positionnés très clairement ce début février pour exiger le retour à une régulation de l’offre assortie de moyens d’accompagnement. A défaut d’être entendus à temps, les manifestations et les violences reprendront, fragilisant encore un peu plus les régions d’élevage; du pain béni pour les europhobes en cette année pré-électorale.
André PFLIMLIN, Auteur de Europe laitière, valoriser tous les territoires pour construire l’avenir ;A Pflimlin, Ed France Agricole 2010 ; 310 p. Expert Lait auprès du Comité Européen des Régions
(1) CP du Conseil du 29 /01/18. « Afin d’éviter une chute des prix et partant une aggravation du niveau de vie des agriculteurs, la Commission a proposé et le conseil a décidé de renoncer à l’achat automatique de PLE » donc à l’intervention au prix de 1700€ /t ! Depuis toujours le stockage public doit soulager le marché pour maintenir les prix mais d’après Hogan ce serait l’inverse !
(2) COR. Europa.eu/fr/ ; CoR/18/022 du 01/02 / 2018
(3) Déclaration de l'European Milk Board par rapport à la décision du Conseil sur l’intervention lait en poudre
http://www.europeanmilkboard.org/fr/special-content/actualites/news-details/article/statement-of-the-european-milk-board-on-the-council-decision-on-intervention-skimmed-milk-powder.html?cHash=edb9a248f8b3dbcc76b617ed0f449de7
Rappel (CiViQ, 7 août 2015) : André Pflimlin et la guerre laitière : ne pas confondre mirages et réalités
Cet article est le 3049 ème article sur le blog MRC 53 - le 436ème, catégorie AGRICULTURE et PAC