Que penser du projet et des arguments du gouvernement ? C’est Laurent Fabius qui a obtenu du ministre Borloo, lors d’un débat télévisé le soir du 1er tour, l’annonce de l’utilisation de la TVA pour financer la baisse des cotisations sociales patronales sur les salaires.
« A l'heure où Nicolas Sarkozy vient à la rescousse de son premier ministre pour tenter de calmer la polémique déclenchée par un Borloo de soir de victoire aux législatives (l'euphorie produit un effet curieux : parler des mesures phares contenues dans le programme de son parti), il paraît néanmoins important de faire le point sur cette fameuse TVA dite « sociale » voire « anti-délocalisations ». En effet, au vu du nombre de ses partisans (en comptant les amnésiques passagers) dans les états-majors des partis politiques, cette mesure ressortira d'une manière ou d'une autre, comme le fait ce serpent de mer depuis 30 ans. De plus l'argumentaire est devenu massif: Cette hausse de TVA contiendrait toutes les vertus, à la fois sociale, anti-délocalisations, elle nous protégerait des importations à bas coût, rendrait la France plus compétitive, ne produirait pas de hausse des prix ou si peu, elle donnerait même un nouveau réflexe aux patrons, celui de transférer les gains de productivité dus à la baisse du coût du travail aux salariés en oubliant les actionnaires... Pourtant peu de ses vertus miraculeuses résistent à l'analyse Cette hausse de TVA est tout sauf sociale
Cet argument est sans doute celui qui a fait mouche et qui oblige le gouvernement à remettre tout à plus tard. La TVA est un impôt injuste, proportionnel et non pas progressif, il touche d'autant plus injustement les ménages avec les plus faibles revenus que ceux-ci sont bien obligés de dépenser l'ensemble de leurs ressources chaque mois laissant la capacité d'épargner aux plus riches : et les français sont viscéralement attachés au principe d'égalité et de redistribution par l'impôt, et ce n'est pas de l'inné, comme dirait notre président, mais de l'acquis! Donc il est difficile de remettre cela en cause de manière frontale. Les manières détournées ne sont bien sûr pas oubliées (baisse de la progressivité des tranches d'impositions sur le revenu, cadeaux fiscaux en tout genre, ...) et font que l'impôt sur le revenu devient de plus en plus marginal dans les ressources de l'Etat, et il est de moins en moins évident que l'on fête son centenaire dans 7 ans. Mais cette hausse annoncée de 5 points de TVA, le marginaliserait d'autant plus vite. Contrairement à ce que certains racontent, la hausse des prix et/ou la baisse du pouvoir d'achat est inéluctable : penser qu'une hausse de 5 points serait sans effet (les économistes tablent sur une hausse des prix de 0.7% quand on augmente la TVA d'un point), car la concurrence ferait baisser les prix, et/ou les patrons transféreraient les bénéfices dégagés vers les salaires est une pure croyance. D'ailleurs le meilleur argument nous est donné par Mme Parisot, selon laquelle les représentants des entreprises sont "impatients de participer au groupe de travail" sur cette mesure envisagée par le gouvernement pour abaisser le coût du travail en transférant une partie des cotisations sociales des employeurs vers les consommateurs. D'ailleurs si le gouvernement voulait être sûr de transformer la baisse des cotisations sociales en hausse des salaires, ce n'est pas les cotisations patronales qu'il baisserait mais les cotisations salariales. D'autre part, les français sont également très attachés à leur système de protection sociale issu du Conseil National de la Résistance et la mise en place de cette mesure, comme d'autres l'ayant précédée, oblige à prendre acte de deux évolutions de notre société : le chômage et le partage des richesses produites de plus en plus favorable aux actionnaires. - Le chômage, car chercher des moyens autres que les cotisations sociales pour financer la Sécu, c'est se résoudre à un chômage (peut-être pas dans les chiffres, mais dans les faits) de masse et abandonner l'idée même d'un retour au plein emploi, pour un gouvernement souhaitant remettre la valeur travail à sa place c'est pour le moins gênant. Car si plein emploi il y avait, les baisses de cotisations pourraient s'opérer sans hausse de la TVA. - Le partage de la richesse produite, car si on était resté au même équilibre qu'il y a 20 ans (c'est à dire 10 points de PIB en plus vers les salariés et les cotisations – 170 milliards par an), on n'en serait plus à se demander si on ne pourrait pas baisser la TVA en prenant dans les excédents de la Sécurité Sociale (en caricaturant à peine). Cette hausse de TVA n'empêchera pas les délocalisations
Autre argument mis en avant par le gouvernement, cette hausse de la TVA aurait un effet protectionniste dont la logique peut se résumer ainsi : la consommation est par nature non-délocalisable, le travail lui l'est, donc taxons un maximum la consommation et détaxons le travail. Effets espérés : Hausse des exportations, protection contre les importations, donc amélioration de notre balance commerciale (qui en a bien besoin) et arrêt des délocalisations voire relocalisation (on peut toujours espérer !). Malheureusement, les choses sont loin d'être aussi simples. L'exemple toujours avancé, est celui de l'Allemagne, miraculeusement sortie du marasme économique grâce à cette hausse de TVA. Passons sur le fait, que la hausse ait été de 3 points, dont 1 seul transféré à la protection sociale. Passons également sur le fait que les salariés allemands n'ont pas vraiment la même vision idyllique que leur chancelière. Effectivement, la balance commerciale de l'Allemagne s'est améliorée, mais si on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elle s'est améliorée aux dépens de ses voisins européens et que cette hausse de sa TVA de quelques points ne l'a évidemment pas rendu compétitive par rapport à des salariés chinois et indiens payés 40 fois moins. Par contre, cela a rendu l'Allemagne plus compétitive par rapport à la France, l'Italie et l'Espagne, qui peuvent se réjouir de cette belle Europe si fraternelle. Avant Maastricht, la mode était aux dévaluations compétitives, mais le résultat est le même, si tout le monde le fait, cela n'a aucun impact. Donc quand les autres pays européens auront augmenté leur TVA dans les mêmes proportions on reviendra à la case départ. De plus, cette hausse généralisée de TVA engendrera une hausse des prix et la BCE s'empressera de monter ses taux, notre monnaie augmentera par rapport aux autres et l'effet protecteur sur nos balances commerciales disparaîtra. D'autres pistes de protectionnisme sont pourtant disponibles, beaucoup plus efficaces et aussi paradoxalement altruistes (Cf. Article de J. Sapir, http://www.protectionnisme.eu). Mais le protectionnisme et la protection contre les délocalisations ne sont sans doute pas l'objectif premier de Nicolas Sarkozy. Par contre, continuer les coups de boutoir sur notre système de protection sociale si alléchant - son budget est supérieur à celui de l'Etat – est un objectif plus sérieux pour notre nouveau président et surtout plus compatible avec son idéologie néo-libérale. A suivre »...