Un traité constitutionnel européen malgré le 29 mai Jean Quatremer est correspondant à Bruxelles de Libération. Il livre ses opinions et des informations sur son blog, hébergé par Libération. Dans cet article, repris ci-après, paru sur www.liberation.fr ce jour, il cherche à démontrer que le NON du 29 mai 2005 est effacé par l’élection du 6 mai 2007. Et ce texte prouve, s’il en était besoin, à quel point ce journaliste, comme beaucoup de gens qui vivent au sein des institutions européennes, méprise la démocratie et la souveraineté populaire. C’est de la provocation ironique, mais révélateur de réalités dont les dirigeants politiques ne parlent pas. Voici ce texte, tel qu’il est présenté par son auteur sur son blog http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses « Aujourd'hui, dans Libération, j'ai signé un "Rebond" analysant les effets désastreux produits par le "non" au référendum sur la Constitution européenne dont le "traité simplifié" n'est qu'un avatar. Un "non" qui doit s'analyser à la lueur de la victoire en rase campagne de Nicolas Sarkozy. Polémique à souhait ». « L’Europe des chefs d’Etat » Le «traité simplifié» de Sarkozy n’est pas différent de la défunte Constitution européenne. « Ce qui va suivre va fortement déplaire aux plus farouches tenants du non. Disons-le tout net : le «traité simplifié» que le chef de l’Etat français appelle de ses vœux et qu’il espère voir adopter par le conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui se tient jeudi et vendredi n’est rien d’autre que la défunte «Constitution» présentée avec un autre habillage. Dit autrement, le futur texte n’en aura pas le titre, il n’en aura pas l’apparence, mais il aura le même contenu, à quelques éléments près. Ainsi, en élisant Nicolas Sarkozy à la présidence de la République avec 53 % des voix puis en lui donnant une large majorité à l’Assemblée nationale, les Français ont effacé dans un même mouvement leur rejet du traité constitutionnel européen, pourtant exprimé à près de 55 % lors du référendum du 29 mai 2005. Car Sarkozy n’a pas pris les Français par surprise. Durant toute sa campagne, et notamment lors de son discours prononcé à Bruxelles le 8 septembre 2006, il a très précisément expliqué ce qu’il ferait s’il était élu. Il a donc une légitimité démocratique forte pour mener son projet à bien. Son but est de reprendre l’ensemble des «novations juridiques» contenues dans le projet signé à Rome en octobre 2004, c’est-à-dire les réformes institutionnelles, et laisser tout ce qui pourrait faire penser à une Constitution comme le préambule ou les «symboles de l’Union». Parmi les éléments qui resteront, on peut citer notamment : le président permanent du Conseil européen, l’extension des pouvoirs du Parlement européen, la composition restreinte de la commission, le nouveau mode de décision au sein du Conseil des ministres, la personnalité juridique de l’Union, le caractère obligatoire de la charte des droits fondamentaux ou encore l’extension du vote à la majorité qualifiée. De fait, toutes ces innovations n’ont pas été contestées durant la campagne référendaire : l’essentiel des critiques - sur la «dérive libérale» en particulier - portait sur les traités existants (la fameuse troisième partie), qui n’étaient en réalité que repris et codifiés dans le projet de Constitution afin de rendre l’ensemble du droit européen plus lisible et cohérent. Le rejet de la Constitution ne pouvait donc rien changer à la réalité européenne (il aurait fallu voter la sortie de l’Union, ce que personne ne propose), mais il l’a privé de toutes les réformes améliorant le droit existant. Afin de ne pas effaroucher les Français, cette codification sera aussi abandonnée. Sarkozy a réussi à convaincre les dix-huit pays ayant déjà ratifié le traité constitutionnel (et les quatre autres qui étaient prêts à le faire) de se rallier à sa proposition, la «substance» du traité constitutionnel étant préservée et donc le vote de leurs citoyens ou de leur Parlement, respecté. Si les pays eurosceptiques que sont la Pologne, la République tchèque et la Grande-Bretagne acceptent la manœuvre, l’Union aura finalement réussi à adopter des réformes institutionnelles censées lui permettre de mieux fonctionner. Elle refermera ainsi un chapitre ouvert en 1990 avec la perspective de l’élargissement à l’est à la suite de l’effondrement du communisme. Néanmoins, la crise déclenchée par le double non franco-néerlandais laissera des traces profondes. Loin d’avoir été un «choc salutaire», le non a surtout convaincu les gouvernements que les citoyens n’étaient pas capables de comprendre le grand œuvre lancé en 1950 et qu’ils étaient prêts à tout jeter par-dessus bord pour manifester leur mauvaise humeur. Les élites ont, en un mot, décidé de reprendre les rênes. Ainsi, ce n’est pas un hasard si l’Union a renoué avec ses pires travers : diplomatie secrète, négociations au finish, marchandages inavouables, compromis obscurs. Alors que les gouvernements espèrent parvenir à un accord politique portant sur 90 % à 95 % du futur «traité simplifié», seul un petit cénacle de dirigeants européens connaît l’état des négociations en cours. Les citoyens, eux, devront attendre la fin du conseil pour en découvrir le résultat. L’exercice de démocratie et de transparence sans précédent qui a accompagné la rédaction de la Constitution n’est pas près de se répéter. Rappelons qu’en 2002 et 2003, pour mettre fin au règne de la diplomatie secrète, une convention majoritairement composée d’élus nationaux et européens (désignés par leurs Assemblées respectives) avait été chargée de rédiger, en public, le nouveau traité. Les Etats, qui s’étaient ensuite réunis, ne l’avaient modifié qu’à la marge. Cette fois-ci, rien de tel. Sarkozy, qui en septembre 2006 avait souhaité après l’adoption du «traité simplifié» qu’une nouvelle convention se réunisse pour remettre à plat l’ensemble des politiques européennes (la partie III), a depuis laissé tomber cette idée, sachant qu’au terme d’un tel exercice un nouveau référendum serait nécessaire. C’est le second effet du vote du 29 mai 2005. La démocratie directe, du moins en France, a sans doute son avenir derrière elle. Surtout en matière européenne. Désormais, les Etats membres veulent qu’un gouvernement soit capable d’assumer sa signature et puisse garantir que son accord ne sera pas ensuite invalidé par son peuple. Et cela, seule la voie parlementaire le garantit. A vingt-sept pays et bientôt à trente, on peut comprendre que l’on se méfie des procédures référendaires, qui autorisent tous les populismes. Il faut se rappeler que la campagne de 2005 a essentiellement porté sur la dénonciation du «libéralisme», supposé consubstantiel à la construction communautaire, et que les mêmes Français, qui ont pourtant voté non à la Constitution, ont porté à la tête de l’Etat un président qui n’est ni socialiste ni adversaire de l’économie de marché. Comprenne qui pourra. Là aussi les citoyens français ne peuvent pas se plaindre : seul parmi tous les candidats, Nicolas Sarkozy a fermement écarté l’idée d’un second référendum, arguant justement que l’Europe ne se relèverait pas d’un nouvel échec. Certains affirment que la négociation par les seuls diplomates, suivie d’une ratification parlementaire, va concourir à éloigner davantage les peuples de l’Europe. On peut sérieusement en douter. Le oui au référendum sur le traité de Maastricht en septembre 1992 les a-t-il rapprochés de l’Europe ? Evidemment pas. L’adhésion à un projet n’est pas suscitée par un ensemble de règles de fonctionnement, un «règlement intérieur», si l’on veut, mais par ses réalisations concrètes, par les réponses qu’il apporte aux attentes des citoyens. C’est cela, le défi que doivent relever les gouvernements qui siègent au conseil des ministres européens, le Parlement européen, directement élu par les peuples, et la Commission ».