Sortir le travail du marché implique la maîtrise des décisions politiques
Le tournant politique fondamental imposé à la France a commencé en 1983 par l'ouverture de la "parenthèse libérale", en réalité néolibérale.
Il s'est concrétisé, à la suite de l'effondrement de l'URSS et de la réunification allemande, par l'adoption d'un marché unique européen, mettant ainsi en oeuvre la doctrine néolibérale dans l'ensemble des pays membres de l'Union européenne, par le Traité de Maastricht en 1992. Extrait (Wikipédia).
"Le traité de Maastricht est le fruit d'une double dynamique, celle de l'union économique et monétaire, de l'achèvement de la mise en place du marché unique et de l'extension du champ communautaire d'une part, et celle de la construction politique de l'Europe dans le contexte de la réunification allemande faisant suite à l'effondrement du bloc soviétique marquant la fin de la guerre froide d'autre part".
PARDEM, le parti de la démondialisation, conduit des réflexions visant à sortir du tout-marché en France. Leur application se heurterait évidemment aux dogmes néolibéraux de l'Union européenne, ce qui le conduit "à la conclusion qu’il faut sortir de l’euro et de l’Union européenne si nous voulons nous réapproprier la monnaie et contrôler les banques. Plus généralement, il faut dé-marchandiser, et en tout premier lieu le travail, la terre, la monnaie, et le commerce international".
Voici le début du texte de réflexion (17 février 2023) sur le thème du travail.
En pleine mobilisation contre la « réforme des retraites », une question essentielle émerge : celle du travail. Des conditions de travail, de sa rémunération mais aussi du sens du travail. Mais entre emploi et travail il existe des différences. L’emploi s’inscrit depuis des décennies dans un « marché » où on est sommé de se vendre auprès d’employeurs qui achètent au meilleur prix, c’est-à-dire au salaire le plus bas, des « compétences » les plus hautes.
Mais lorsqu’on parle du salaire il ne s’agit pas seulement du net perçu mensuellement mais aussi du salaire différé (ou socialisé) incluant les pensions de retraite à venir et, d’une manière générale, toute la protection sociale. Tandis que tous les salariés versent des cotisations sociales, les employeurs, eux, en sont de plus en plus exonérés. Ces mesures gouvernementales, notamment le CICE, assèchent depuis des années les comptes de la Sécurité sociale. Elles concernent tous les salaires jusqu’au SMIC, soit plus de 2,5 millions de personnes dans le secteur privé.
Le chômage, disons plus exactement la privation d’emploi, concourt aussi à la réduction des recettes de la protection sociale. Il existe, en effet, deux niveaux au salaire. Le plus visible est celui perçu en net par chacun, son « pouvoir d’achat » immédiat, versé sur son compte bancaire. L’autre niveau, le salaire différé ou socialisé (Assurance maladie, retraite, chômage, prestations familiales et logement), est invisibilisé mais crucial. Il résulte de la même action : celle de la force de travail du salarié qui produit biens ou services. C’est tout à la fois à la protection sociale et au salaire direct que les néolibéraux s’attaquent depuis plusieurs années. D’autant que plus les privés d’emplois sont nombreux moins les salaires augmentent selon le principe de l’offre et la demande imposé par le marché. D’ailleurs la dernière réforme des indemnités chômage fait varier les indemnités en fonction de ce marché de l’emploi. Le gain est donc double pour le patronat : moins les employeurs payent de cotisations sociales, plus la Sécurité sociale est appauvrie, plus les salariés sont pris à la gorge, plus les profits s’accroissent pour les gros actionnaires.
Mais gare ! Le rejet massif de la population de l’allongement de la durée du travail (jusqu’à 64 ans avec 43 années de cotisation pour le salarié) ouvre désormais sur le refus de « mourir au travail », de « perdre sa vie pour la gagner ». Et pose des questions de fond. A quoi sert le travail ? A qui ? Pourquoi ?
Pour qui veut mettre en mouvement une vague émancipatrice, il est indispensable de résoudre à la fois l’accès à l’emploi pour tous et le sens du travail pour chacun. Ce qui exige de penser la société sur de nouvelles bases.
La dynamique du système capitaliste le pousse en permanence à universaliser le marché, c’est-à-dire non seulement à l’étendre sur le plan géographique, mais aussi à l’étendre du domaine des biens matériels au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international. Ce ne sont là toutefois que des « marchandises fictives ». Elles touchent en effet respectivement à l’être humain, à la nature, au pouvoir, aux relations entre nations. Ces quatre éléments ne peuvent dans la réalité être totalement soumis à des mécanismes de marché sans provoquer d’immenses effets destructeurs sur les sociétés comme nous l’observons quotidiennement depuis plusieurs décennies.
C’est pourtant le changement fondamental produit par le capitalisme qui avance sans discontinuer vers la plus complète transformation possible du travail, de la terre, de la monnaie et du commerce international en marchandises. Il traite ces éléments comme s’ils avaient été produits dans le seul but d’être vendus comme des marchandises ordinaires, alors que ce ne sont pas d’authentiques marchandises, et qu’ils ne le seront jamais.
Si le travail, la terre, la monnaie, tout ce qui circule grâce au commerce international peuvent être achetés ou vendus librement, le mécanisme du marché leur sera appliqué avec une offre et une demande. Il y aura donc un prix de marché pour l’usage de la force de travail (le salaire), l’usage de la terre (la rente), l’usage de la monnaie (l’intérêt), l’usage de ce qui circule grâce au commerce international (les relations entre nations). Travail, terre, monnaie, commerce international ont désormais leurs propres marchés, semblables à ceux des marchandises authentiques que l’on produit grâce à eux.
Le travail n’est qu’un autre nom donné à l’humain, la terre n’est qu’un autre nom donné à la nature, la monnaie n’est qu’un autre nom donné au pouvoir, le commerce international n’est qu’un autre nom donné aux relations internationales et à leurs rapports de force. Par l’illusion que la marchandise s’applique à ces quatre catégories, l’être humain et la nature sont soumis à un mécanisme « naturel » qui les dépasse et sur lequel ils ne peuvent avoir de prise. La prospérité matérielle promise par ce système ne repose que sur les motivations de la faim et du gain : la crainte de mourir de faim pour les pauvres et l’appât du gain pour les riches et demi-riches.
La fiction de la marchandise appliquée au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international permet le passage de l’économie de marché à la société de marché. Étrangement, avec la société de marché, la société qui est un tout indissociable se trouve alors encastrée dans une partie d’elle-même qui est le mécanisme de sa propre économie. Sortir de la société de marché passe impérativement par la sortie des logiques marchandes appliquées au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international.
Voir aussi David Cayla : éléments d'un agenda pour une économie démocratique (30 décembre 2022)
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