Etre capable de construire des compromis entre groupes antagonistes
Le 8 novembre 2023, la Fondation Res Publica organisait un colloque sur le thème "La France face aux mutations du travail". Dans son intervention intitulée « Le chaînon manquant », l'ancien ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg, a émis des propos forts sur la situation actuelle de l'économie française. Extraits.
La grande récession entamée en 2009 – qui concerne tout l’OCDE – se caractérise d’abord par un appauvrissement économique des ménages, de ceux qui n’ont que leur travail pour vivre, sans précédent depuis les Trente Glorieuses (...).
Concernant le partage de la valeur ajoutée, je suis venu avec un peu de documentation. Patrick Artus, le chef économique de Natixis, que l’on ne peut soupçonner d’être un grand révolutionnaire, ne cesse d’écrire des livres dénonçant l’austérité salariale. Dans un chapitre de 40 ans d’austérité salariale. Comment en sortir ? il écrit que « les populations devraient se révolter contre l’austérité salariale»" (...).
S’y ajoute l’inflation qui n’a d’autre origine que le choc pétrolier que l’Europe s’est infligé par ses stratégies erronées sur le gaz russe, l’abandon du nucléaire et du système de formation du prix de l’électricité au plan européen. Il faudra faire l’autopsie de ces trois aberrations, de ces trois erreurs quand nous en serons sortis. Mais nous n’en sommes pas sortis (...).
La carte électorale illustre donc parfaitement ce qui se passe sur le travail et la rémunération du travail. C’est pour moi le point essentiel. Comme l’ont dit les deux orateurs qui m’ont précédé, si l’on n’a ni le salaire ni la reconnaissance (le salaire est d’ailleurs une forme de reconnaissance) c’est l’impasse (...).
Cette rébellion en cours, qui a des manifestations politiques et sociales, peut converger de façon électorale vers des programmes politiques qui proposeront soit de réformer le capitalisme, soit de le pousser encore un peu plus fort.
Ce sont les ingrédients de la situation actuelle. Que faire maintenant ? Quel est l’agenda des difficultés, des problèmes que nous allons devoir affronter ?
À l’agenda politique européen, il y a d’abord une révolution industrielle, sociétale, économique, culturelle, à mener qui est la transition écologique. Sociétale, tout le monde doit le faire. Économique, toutes les entreprises vont devoir décarboner. Culturelle, c’est dans la tête et nous sommes tous coupables. Et industrielle, il faut inventer la croissance verte. Cela ne peut être financé que par les budgets publics.
La mécanique du marché ne guide pas vers la privation de carbone. C’est donc forcément le système politique qui va prendre cette multitude de décisions.
Ces décisions vont viser la décroissance des activités fossiles et la croissance très forte des activités vertueuses (...).
Si je résume ce propos un peu alarmiste, le capitalisme financier et numérique dans son aboutissement nous conduit tous à revêtir la chasuble jaune et à être payés au revenu universel si les sociétés l’acceptent, ce que je ne crois pas.
Face à cette situation, réforme ou révolution ?
La réforme c’est le partage de la valeur, c’est la transformation des systèmes décisionnels dans les entreprises financiarisées, ce sont des outils politiques capables de contenir collectivement les conséquences de l’intelligence artificielle. Je siège dans certains conseils d’administration d’ETI, d’entreprises innovantes, croissantes qui sont sur les marchés mondiaux…
Les patrons disent ne pas pouvoir continuer à subir la pression de l’actionnariat sans contrepoids salarial et sont conscients qu’il arrivera un moment où ils ne trouveront plus de salariés. La prise de conscience est dans tous les interstices de l’économie et des entreprises.
Cette crise de la démission rampante se fait déjà sentir. Donc sans une réforme sérieuse sur la reconnaissance – la part de codétermination évoquée par Jean-Baptiste Barfety –, sur le partage de la valeur – évoqué dans nos débats –, je pense que nous ne surmonterons pas l’obstacle et que les sociétés peuvent parfaitement exploser.
Mais pour cela nous devons disposer d’un système démocratique en bonne forme, capable de construire des compromis entre groupes antagonistes, ce qui n’est plus le cas. C’est là le chaînon manquant de notre avenir.
Cet article est le 3337 ème sur le blog MRC 53 - le 153ème catégorie Travail Economie
Article paru le 10 avril 2024 sur http://mrc53.over-blog.com