Reprendre le fil d'un engagement politique initié il y a près de 50 ans
Pour Michel Sorin, avec le printemps, est venu le temps du réengagement politique en Mayenne. A un an de l'élection présidentielle, il reprend le fil d'un cheminement commencé début mai 1973 - au lendemain de la sépulture de Robert Buron - et mis en pointillé depuis sa démission du PS en décembre 2001.
- Le 11 avril, il a été L'invité de la rédaction, du journaliste Jean-Yves Delort, ancien rédacteur en chef du Courrier de la Mayenne, qui invite des Mayennais à s'exprimer pendant une dizaine de minutes sur la radio associative mayennaise RFM (Radio Fidélité Mayenne).
- Le 21 avril, après avoir rencontré des jeunes engagés dans le mouvement Nuit Debout, il a publié sa lettre ouverte aux jeunes mayennais engagés dans Nuit Debout.
- Le 28 avril, le site mayennais leglob-journal a publié, à son initiative et sous sa responsabilité, des extraits de ce texte dans sa rubrique Politique sous le titre :
Cette Tribune Libre a été écrite par Michel Sorin un certain 21 avril, et elle est publiée aujourd’hui 28 avril, jour de manifestation nationale en France. Ce n’est certainement pas un hasard. Le 16 avril 2016 Michel Sorin rencontrait, à Laval en Mayenne, des jeunes qui participaient à une « Nuit Debout, 24h de l’éducation populaire contre la loi travail et son monde. » Michel Sorin explique avoir échangé avec eux : « Ils m’ont dit le sens de leur mouvement qui n’est pas seulement contre la loi travail mais aussi une envie de se réapproprier la parole et l’espace politique afin de construire un autre monde. Dans l’immédiat, poursuit l’ancien Maire de Saint-Berthevin et ancien responsable du Parti Socialiste en Mayenne, il s’agit de contrer la politique du pouvoir, ensuite, il faudra décider des orientations du mouvement après un débat général. » Lettre ouverte aux jeunes, et aux autres.
Tribune Libre Par Michel Sorin* - 21 avril 2016
Avec cette Lettre aux jeunes, j’ai voulu faire le lien entre deux engagements, celui des jeunes actuellement dans « Nuit Debout », [mais aussi dans les manifestations, qui me fait penser à ce que j’ai connu en mai 1968, dans des conditions très différentes, et qui a été à l’origine de mon propre engagement politique.
Leur démarche me fait penser à ce que j’ai vécu quand j’étais étudiant et que commençait le mouvement de mai 1968. Les jeunes avaient envie de liberté individuelle dans leur vie sociale, et de pédagogie plus participative dans l’enseignement. Et puis, la contestation est devenue plus économique et sociale, avec des grèves dans les entreprises pour augmenter les salaires et accorder plus de place aux syndicats.
Le pouvoir autour du président de Gaulle a fini par chanceler avant de réagir par la dissolution de l’Assemblée Nationale, accompagnée d’une énorme manifestation, ce qui mit fin au mouvement social. Il y eut des conséquences politiques, mais pas immédiates.
La gauche a mis du temps avant de se réformer. Il a fallu le congrès du PS rénové, en 1971, et l’arrivée de François Mitterrand aux commandes avec une stratégie de rassemblement de la gauche qui lui a permis d’accéder au pouvoir dix ans plus tard. Comme pour beaucoup de jeunes de cette époque, c’est le mouvement social de mai-juin 1968 qui a favorisé ma prise de conscience politique.
Après mon service national, sous la forme d’une coopération enseignante en Algérie, j’ai été repéré par les amis de Robert Buron à Laval [qui animait] Objectif socialiste, en tant que lecteur assidu de la revue du CERES (Centre d’étude, de recherche et d’éducation socialiste). Ils m’ont proposé d’adhérer au PS.
Pour Robert Buron (1910-1973), « Être socialiste, c’est admettre d’abord que l’économique doit être soumis à la règle de l’intérêt général, entendu comme celui des plus grands nombres, y compris les générations futures. (…) La classe dirigeante ne se laissera jamais déposséder de ses responsabilités au nom de l’intérêt général. Il est donc nécessaire de transformer profondément les structures sociales. Il faut passer au socialisme ».
Dans un livre publié en janvier 1973, sous le titre Par goût de la vie qui résume la vie de Robert Buron, le chapitre de conclusion rédigé par Robert Buron est justement intitulé Lettre ouverte aux jeunes qui veulent changer le monde. Ce n’est pas par hasard. L’économiste de formation recommande aux jeunes en écrivant ceci : « Investissez votre vie dans une entreprise qui en vaille la peine : le changement du monde et de vous-même ».
43 ans plus tard, c’est ce qui m’a donné l’idée de cette Lettre ouverte aux jeunes, de la même façon que j’avais proposé au Conseil municipal de Saint-Berthevin - ma ville, où j’ai été maire de 1990 à 2001 - de s’inspirer du titre de son livre Par goût de la vie pour le slogan de la ville, ce qu’il avait fait en optant pour « Saint-Berthevin, le goût de la vie » (le site actuel de Saint-Berthevin ne le mentionne plus).
Robert Buron était un homme gai, non conformiste, qui avait vraiment le goût de la vie et, aussi, de la politique. Il en avait fait un métier, de 1945 (son premier combat aux élections à l’Assemblée constituante, en Mayenne, sur le conseil de l’oncle de sa femme, qui était mayennais) à 1973 (son dernier combat, malade, alité, aux élections législatives en Mayenne, alors qu’il était maire de Laval ; la campagne est alors menée par son suppléant). Son parcours, exceptionnel, est inimitable : des "Camelots du Roy", de sa jeunesse - mais déjà anticapitaliste - à l’engagement socialiste et au discours de clôture du congrès PS historique à Épinay-sur-Seine, en 1971.
Pour vous, les jeunes, le plus important est de savoir ce qu’est le néolibéralisme, comment il a diffusé dans les corps sociaux soumis aux régimes capitalistes. D’abord, c’est une idéologie qui fait prévaloir la dimension économique sur la dimension politique. Elle veut imposer la loi marchande dans toutes les activités humaines. Et elle cherche à convertir les dirigeants politiques par tous les moyens, qui vont de la persuasion à la corruption, le but étant d’affaiblir la résistance des États aux lois du marché mondialisé et au libre-échange intégral.
Ce qui a fait le « malheur français », selon Marcel Gauchet ( Comprendre le malheur français, Stock, 2016), rédacteur-en-chef de la revue Le Débat « c’est que la France entre dans la mondialisation sous le signe du néolibéralisme, compte tenu de son histoire nationale.(...) La seule réforme qui peut traiter le mal français, c’est une réorientation politique de grande ampleur, remettant en cause les choix européens d’ouverture à la mondialisation néolibérale. »
En bref, fermer la « parenthèse libérale », ouverte par François Mitterrand en 1983. Comment ? En réajustant notre rapport à l’Europe. Il faut le repenser de fond en comble, en faisant le bilan de ses acquis et de ses impasses. C’est la France qui fut à la base du projet européen. C’est elle qui a la responsabilité de corriger son erreur !
Le département de la Mayenne a été marqué par l’expérience politique de Robert Buron mais, depuis longtemps, il est sous l’emprise d’un parti centriste conservateur, l’UDI, très éloigné des idées progressistes de Robert Buron. Le parti de Jean Arthuis, qui a fait clairement allégeance à la droite, milite pour une Europe fédérale mettant en œuvre des politiques néolibérales. C’est ce parti qui a supplanté l’ex-UMP en Mayenne et conquis les principaux centres de pouvoir, bénéficiant de l’affaiblissement des autres partis, en dehors du FN.
(...) Le combat politique doit être mené par les partis qui veulent reconstruire la gauche sur des fondements républicains, en visant à reconquérir la souveraineté nationale afin de retrouver la possibilité de conduire des politiques sociales. Tout n’est pas à condamner dans ce qui est fait par la majorité au pouvoir depuis 2012. C’est la finalité politique qu’il faut repenser, le rapport à la citoyenneté. Et toute la stratégie. Le Parti socialiste est sorti de la route depuis longtemps, la route du socialisme, j’entends.
J’ai adhéré, en 1973, (…) le mot socialiste avait alors une signification. (…) Maintenant, tout est à repenser puisque c’est l’économie, par sa composante financière, qui a pris le contrôle de la politique, scellant ainsi le triomphe du néolibéralisme. La sortie de route du PS a, de fait, semé le trouble sur ce qu’est la gauche au 21e siècle. (…)
A un an de l’élection présidentielle, le divorce entre les citoyens et les dirigeants politiques du pays ne fait plus aucun doute. Il faut donc investir dans du neuf. Faisons-le ensemble. En commençant à l’échelle du département qui avait accueilli Robert Buron, le parisien jeune et dynamique, même si ce fut difficile.
Cet extrait de son livre Par goût de la vie nous décrit, nous les mayennais, de manière très réaliste. « Il faut dire de la Mayenne que les gens y ont un tempérament dur et attachant. Il n’y a pas l’ombre d’une sentimentalité apparente dans leurs manifestations. Ce sont des gens tenaces, travailleurs, laborieux, et qui ont un goût de réel et du concret et, par conséquent, il n’y a pas d’échange affectif très poussé avec eux, sauf exception. Il faut savoir les gagner (...). Pour y réussir, il faut le mériter ».
* Michel Sorin, 70 ans, ingénieur agronome, maire de Saint-Berthevin (1990-2001), conseiller régional (1998-2004) des Pays de la Loire, responsable PS en Mayenne (1979-1985, 1997-2001), actuel responsable MRC Mayenne et Pays de la Loire, président de Réseau CiViQ (Citoyenneté et Vie Quotidienne).
Rappel (31 oct. 2014) : Michel Sorin a répondu aux questions du site mayennais leglob-journal
Cet article est le 40ème paru sur ce blog dans la catégorie Personnalités et célébrations