Le paysan breton demande à la société de choisir entre agir et subir
Depuis longtemps, Pierrick Berthou tire la sonnette d'alarme. Voir (CiViQ, 19 septembre 2016) : Pierrick Berthou, éleveur laitier (29) : il faut sauver les paysans.
Récemment, il rappelait l'importance de l'élevage. Voir (MRC 53, 27 novembre 2023) : Pierrick Berthou (site de Marianne) argumente en faveur de l'élevage.
Le 1er mars 2024, Le Figaro publiait, en tribune libre, son texte. Voir le cri d'alerte d'un agriculteur breton.
C'est ce texte qu'il a publié sur le blog qu'il vient de lancer sous le titre "Pierrick s'exprime". Le voici.
Agir ou subir, choisissons !
1,6 million de paysans en France en 1970, en 2024 nous passerons «allègrement» sous la barre des 350 000 paysans, dans l’indifférence générale… Florian, un voisin a «jeté l’éponge» en 2022. Nico, un autre voisin, lui, a décidé de mettre sa ferme en vente. Ces deux jeunes voisins, autour de 40 ans, tous deux issus d’une longue lignée de paysans, quittent leurs fermes, quittent la terre. Ils prennent cette décision car ils n’en peuvent plus, ils n’ont plus de perspectives. Ce que nous, la société, perdons, ce n’est pas seulement deux paysans qui trimaient, c’est aussi du savoir faire, transmis de génération en génération, qui s’arrête brutalement !
N’en doutez pas, l’Agriculture, en dépit des effets de manches de ses décideurs, va mal, très mal. A ce rythme, nous allons dépeupler nos campagnes à grande vitesse. Car, il faut bien le comprendre, nos décideurs ont choisi depuis fort longtemps, d’industrialiser l’agriculture et même de la financiariser. Tout cela avec la même logique comptable, impitoyable, qui oppresse, qui désorganise, qui déstructure l’ensemble de notre société…
Nos fermes s’agrandissent à marches forcées, implacablement, sans respect, sans conscience ! Tout cela se fait sans mesurer les conséquences, car les répercussions sont bien présentes. Déclin de la biodiversité, visible et moins visible, sur la terre, sous la terre, dans les mers, dans les airs. Perturbation du cycle des pluies, des vents, nos animaux maltraités et nous les paysans qui subissons et disparaissons comme des taiseux que nous sommes…
Notre société ne vit que grâce à ces quelques centimètres de terre qui recouvrent la planète. Ces quelques centimètres, qui font le lien entre le ciel et le sous-sol, sont riches d’humus, d’argiles, de limons, des mycorhizes, d’une vie animale, végétale etc. Ces sols qui permettent toutes nos activités Humaines sont aujourd’hui en danger, car malmenés et menacés par l’industrialisation de l’Agriculture.
Cette industrialisation de l’Agriculture s’appuiera, inexorablement, sur les monocultures, les N.G.T (O.G.M), les nouvelles technologies et la spécialisation. En un mot, c’est la monotonie qui s’installera dans nos campagnes… tout le contraire de ce qu’est la nature par essence qui, justement, est un feu d’artifice de diversité de bruits, diversité de couleurs, diversité de d’odeurs qui mettent tous nos sens en émois !
J’ai connu l’époque où les gamins du quartier se retrouvaient joyeusement pour jouer, pour grimper aux arbres, fabriquer des arcs, des flèches et des cabanes, imaginer un monde, refaire le monde en ingurgitant des quantités mémorables de cerises, de poires, de pommes, de prunes cueillies à même les arbres qui habillaient les talus de nos campagnes tellement fleuries. Des fruits en grandes quantités, totalement gratuits, tantôt trop mûrs, tantôt pas assez mûrs, ce qui, parfois, venait déranger un tube digestif «susceptible» qui obligeait à trouver rapidement un buisson afin de se soulager, sous le regard hilare des copains. Aurons-nous encore des gamins courant la campagne aux beaux jours afin d’attraper des grillons en leur tapant le «cul» à l’aide d’une brindille sèche, et de les ramener dans une boîte d’allumettes? Et, quel bonheur que d’entendre, soudainement, lors d’une dictée silencieuse, le chant du grillon, déclenchant un rire collectif, même de l’instituteur. Osons croire que cela perdurera, car il ne faudrait pas grand chose pour faire revivre nos campagnes et nos villages. Oui, c’est possible…
Il fut un temps où la couronne parisienne fournissait l’ensemble des légumes pour la population de la capitale. Ils avaient, disait-on, les meilleurs maraîchers du monde, parce qu’ils avaient les meilleurs sols. C’était l’époque où les rues de Paris étaient tapissées de pailles, de feuilles et autres matières absorbantes. Absolument tout était valorisé, on ne gaspillait pas! C’est ainsi que les contenus des pots de chambres, jetés par les fenêtres, étaient récupérés par les paysans afin de les épandre sur leurs terres pour y cultiver les légumes. C’était avant l’arrivée des égouts. A cette époque le fumier était considéré, à juste titre, comme la nourriture du sol, «l’or du paysan». Aujourd’hui le fumier est pour beaucoup un déchet. Un déchet qui alimente les méthaniseurs. La méthanisation, qui nous est présentée comme productrice d’ Energie verte n’est pas vertueuse, loin s’en faut. La méthanisation est un artifice créé d’une part pour ne pas payer à un prix rémunérateur les denrées agricoles aux paysans et d’autre part va précipiter l’industrialisation de l’Agriculture. Seuls ceux qui auront accès aux capitaux auront le droit de continuer. En définitive, cette opération certes produit du gaz, mais appauvrit les sols par soustraction de carbone dont le sol est particulièrement gourmand, car indispensable. Entre nourrir le sol pour nourrir les Hommes et nourrir la finance il faut choisir… Le choix est fait !
L’adage dit « nous sommes ce que nous mangeons», il y a encore peu de temps nos campagnes et nos potagers urbains fournissaient notre nourriture. Chacun savait d’où venaient les aliments et qui avait savamment préparé cette nourriture. Aujourd’hui, la restauration hors foyer, comme disent mécaniquement et froidement, les économistes, prend de l’ampleur. A tel point que nous remplissons nos assiettes, quand il y en a, d’aliments sans saveurs et sans origines. Et, c’est ce que nous mangeons de plus en plus.
Pourtant, nos élus nationaux qui insistent constamment sur la nécessaire souveraineté et sécurité alimentaire, sont capables de signer des traités de libre-échange. Du fait de ces traités de libre-échange, nous importons de plus en plus notre alimentation ( d’où une perte de souveraineté et de sécurité alimentaire) et nous poignardons dans le dos nos paysans. C’est une trahison, c’est de la folie ! En fin 2023, nos députés européens, ont voté massivement en faveur du traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Dans ce traité, il est strictement stipulé que les produits Néo-Zélandais ne pourront être identifiables. Le consommateur ne pourra plus choisir une origine ou favoriser une manière de produire son alimentation. Nos représentants qui ont voté ce texte ne considéreraient-ils leurs électeurs que comme des « estomacs montés sur pattes», qu’ils faut remplir n’importe comment ? Quelle indécence, quelle infamie !
En fait, en signant ces traités de libre-échange, nos élus Européens organisent la perte de lien entre le consommateur, son alimentation et sa terre. Ils nous coupent de nos racines, de nos origines, de notre culture, de notre histoire, de notre façon de vivre. Ils banalisent la vie en tuant la différence, en uniformisant la nourriture, en uniformisant les Humains. Sommes-nous condamnés à consommer du poulet Ukrainien, du bœuf Argentin hormoné, du mouton et du lait Néo-Zélandais, du porc javellisé Américain ? Alors que la France et l’Europe peuvent très largement s’autosuffire et même exporter !
Il est évident que nous devrions refuser ces traités de libre-échange et pas seulement pour des raisons agricoles et alimentaires, mais aussi pour des raisons économiques et humaines. Nous pouvons encore agir en choisissant, lors de nos achats une alimentation véritablement locale et saine (sans O.G.M par exemple) et collectivement intervenir énergiquement auprès de nos représentants politiques pour que cesse le libre-échange, au profit d’une coopération entre nations comme codifiée par la charte de la Havane.
Il est loin le temps où Maximilien de Béthune, duc de Sully, s’exclamait en disant «labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France». Ce bon Sully, aujourd’hui, doit se retourner dans sa tombe !
Nous devons réaliser que nous vivons sur l’héritage de centaines de générations de paysans qui nous ont précédés. Ce sont ces paysans qui ont façonné, enrichi, amélioré, entretenu nos sols, tout cela avec acharnement. Ce sont ces paysans qui font que nous pouvons vivre aujourd’hui sur cette terre. Et, nous, nous dilapidons, nous renions, nous méprisons cet héritage. Notre attitude est suffisante, dédaigneuse, irresponsable.
Nous devons absolument sauver nos sols, mais pour cela nous devons avant tout sauver les paysans qui sauront restaurer et respecter nos sols. Tous ensemble, car cela nous concerne TOUS, agissons et cessons de subir, car tout est possible.
Cet article est le 3331 ème sur le blog MRC 53 - le 482ème, catégorie AGRICULTURE et PAC