Arguments de la directrice en faveur du maintien à taux réduit
A la suite de la publication des articles concernant le changement de taux de la TVA pour les centres équestres (voir La filière équine en colère contre la suppression du taux réduit de TVA- 24 nov. 2013 et Centres équestres : vers le maintien partiel du taux réduit de TVA - 28 déc. 2013), j’ai reçu un courriel de Barbara Javaux-Bisceglia, propriétaire et dirigeante du Centre équestre d'Ambrières-les-Vallées dans le nord Mayenne.
Ce qu’elle écrit permet de mieux comprendre la mobilisation des centres équestres face à la suppression du taux réduit de TVA pour leurs activités, qui fait passer le taux de 5,5 à 20 % au 1er janvier 2014.
photo Centre équestre d'Ambrières-les-Vallées, 29 juillet 2009.
Née en Finlande d’un père d’origine italienne (lointaine), Barbara a créé personnellement ce centre équestre et elle y met toute son énergie, avec l’aide de bénévoles militants comme Jacqueline et Alain Sohier, qui sont en train de céder leur ferme laitière et porcine à une jeune femme compétente et combative.
Voici le texte, écrit hier soir par Barbara HEVONEN (ce qui signifie « centre équestre » en finnois).
« Je vous remercie de votre soutien ; effectivement je me bats depuis toujours pour la démocratisation de l’équitation, afin que cette activité saine, en contact avec les animaux et pratiquée en plein air ne soit pas un sport élitiste !
Par rapport à la TVA, mon opinion est que le monde du cheval ne doit pas être mis dans un seul et unique paquet , car il y a des activités et métiers très divers en lien avec le cheval et il me parait important de dissocier :
-l’enseignement de l’équitation
-l’élevage de chevaux de loisirs et sports
-les prestations de services (pensions)
-le monde des courses
-le commerce de chevaux de loisirs
-le commerce de chevaux qui rapportent beaucoup d’argent (courses…)
TVA 7% :
-L’enseignement de l’équitation est l’enseignement d’un sport au même titre que le foot, le hand ou le canoë… donc le taux devrait rester à 7% (vente de « matière grise » comme pour l’enseignement de la musique par exemple),
-L’élevage, au même titre que les éleveurs de bovins ou autres, est un métier 100% agricole : 7%
-Commerce de chevaux de loisirs, ces chevaux sont utilisés pour les balades ou les petits concours hippiques ou de dressage (concours clubs) ; ils ne rapportent pas d’argent à leurs propriétaires (donc, 7 %).
TVA 20% : (pourquoi pas... même si cela n’est pas à notre avantage)
-prestations de services telles que les pensions
-commerces de chevaux qui rapportent de l’argent (courses…)
Les centres équestres, vous n’êtes pas sans le savoir, vont réellement souffrir de cette hausse. Dans mon cas , et je représente la majorité des structures (200 cavaliers, 2 monitrices, 45 chevaux d’enseignements 15 chevaux à l’élevage en comptant les poulinières, les poulains de moins de 4 ans), celles-ci ne peuvent supporter que le chiffre d’affaire soit impacté de 13% quand, à chaque fin d’année, on arrive tout juste à équilibrer les comptes après avoir réglé le poste de l’alimentation, les charges salariales (nous rémunérons au minimum de notre convention collective, smic amélioré), le maréchal ferrant, le vétérinaire, le poste sellerie-équipement, entretien de la structure, le travail agricole (orge, foin) et toutes les autres charges annexes (eau, électricité, assurances, camions…) et ce, en faisant très attention au budget , sans dépenses inutiles…
La différence que j’ai par rapport à un centre équestre « classique » est que j’élève mes poneys moi-même, au lieu de les acheter. Peu de structures d’enseignement élèvent leur cavalerie.
Quelque soit le cas, nous sommes tous affiliés à la MSA, et faisons partis du monde agricole, mais n’en n’avons pas forcément la reconnaissance par l’administration européenne !
L’impact est tel qu’il va falloir réduire des postes ! On ne peut réduire, pour le bien-être de nos amis et partenaires équins, les postes de l’alimentation, du maréchal ou du vétérinaire ! Donc, 1er poste impacté : la charge salariale… cela s’oriente vers un licenciement d’une monitrice… et cela va représenter une bien trop grosse charge de travail pour la monitrice restante, et ne va pas satisfaire la clientèle, car cela retentira sur la disponibilité et la qualité de l’accueil pour nos cavaliers… avec risque de cavaliers insatisfaits et qui quittent le club… pas bon !
Autre impact : augmentation de tarifs… alors qu’on tend vers une équitation accessible au plus grand nombre ! Incontournable : diminuer le nombre de chevaux pour diminuer les charges d’alimentation, de maréchalerie et de vétérinaire, donc beaucoup de chevaux et de poneys vont se retrouver sur le marché, entraînant la chute du prix de vente de ceux-ci ! Prévision de la filière équine : 80 000 chevaux risquent fort l’abattoir ! Ce n’est pas sans conséquences…
Tout d’abord, nous sommes pour la plupart très attachés à chacun de nos chevaux ; ils sont comme de notre famille, des amis, des partenaires… comme des gens aiment leurs chiens ou leurs chats, nous, nous aimons nos chevaux ! Nos cavaliers y sont très attachés ! Dans notre cas, ils sont nés à la maison mais, surtout, nous travaillons avec eux depuis des années ; ce sont eux qui font vivre le club, les cavaliers viennent non seulement pour apprendre et se perfectionner en équitation, mais pour avoir une relation privilégiée avec l’animal qui génère des relations passionnantes et variées ! Il n’y a pas de routine.
Le bienfait de la relation homme-cheval est extraordinaire pour les enfants ! Cela développe une communication différente d’avec les êtres humains, le respect, le sens des responsabilités…. Les plus introvertis s’ouvrent aux autres, les extravertis sont canalisés, ceux qui se sous-estiment sont valorisés, le cheval développe la confiance en soi, oblige à se surpasser, l’équitation développe la connaissance de soi et la coordination, la concentration, l’entraide…. J’ai beaucoup de témoignages de parents qui me disent que l’enfant a nettement progressé à l’école depuis qu’il monte à cheval ! Le poney est l’ami de l’enfant, il contribue aussi aux rêves, à l’épanouissement.
J’accueille aussi les scolaires. Ces enfants viennent à l’équitation comme ils pratiquent la piscine ou la voile avec leur classe. L’équitation scolaire s’est développée au début des années 1970. Ceci permet aux enfants de découvrir le monde du cheval. Je trouve cela formidable, car pour beaucoup d’entre eux, ils n’auraient jamais pu connaître ce monde ; beaucoup de parents ne passeraient jamais la porte d’un centre équestre pensant que c’est un sport pour snobs, ou toute autre idée préconçue…
Un fait génial aussi est que la fréquentation des cavaliers est intergénérationnelle, et les personnes de différents milieux sociaux se fréquentent et ne se seraient pas rencontrées en d’autres occasions. Des liens se tissent, et les cavaliers ne se soucient pas de savoir si les personnes qu’ils fréquentent et avec qui ils tissent des liens sont ouvriers, artisans, médecins ou châtelains ! Toutes ces personnes se trouvent à égalité face à l’animal et l’équitation !
Autre fait marquant : j’accueille plusieurs groupes de personnes à handicap mental ou physique, et le cheval est un phénomène remarquable pour l’épanouissement, le bienfait et les progrès de chacun !
La réduction du nombre de chevaux qui sera incontournable pour beaucoup de centres équestres aura un impact direct auprès des métiers de la filière équine ; réduction du nombre de chevaux (qui pour beaucoup iront vers le marché de la viande…) qui impactera les métiers des maréchaux, vétérinaires, selliers/bourreliers, marchands d’aliments et, donc, les agriculteurs, producteurs de céréales, paille, foin, seront aussi directement touchés…
Et le cheval, l’équitation, n’est-elle pas un bout du patrimoine français ? L’équitation française est reconnue pour sa qualité à travers le monde ! L’E.N.E (école nationale d’équitation) à Saumur ? L’histoire et la qualité des haras nationaux qui ont, hélas, été privatisés et qui ne soutiennent plus les éleveurs de chevaux et de poneys comme par le passé (faute de moyens ?). La qualité reconnue des races françaises de chevaux, poneys et ânes…
Les français se sont battus pour préserver les races de chevaux de trait qui ont failli disparaître à l’arrivée des tracteurs dans les années 1950 et ces chevaux sont aujourd’hui reconnus pour leur beauté, gentillesse, générosité et polyvalence !
Il ne faut pas tuer le monde du cheval en le surtaxant. Peu de métiers du cheval roulent sur l’or. Les centres équestres sont des écoles d’équitation par où débute la passion du cheval chez 90% des professionnels de la filière ; c’est là que tout commence. Les petits cavaliers en herbe, passionnés, espèrent pour la plupart travailler dans le milieu du cheval quand ils seront « grands ».
Depuis les années 1980, la fréquentation des écoles d’équitation augmente d’environ de 7% par an. Vous n’êtes pas sans savoir que l’équitation est le 3ème sport national, au niveau du nombre de licenciés, et le 1er pour les femmes ?
Voilà le fruit de ma réflexion à ce sujet. Merci pour votre article et votre soutien. Jacqueline et Alain sont des personnes sans qui notre centre équestre ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui ; ils nous épaulent depuis notre rencontre il y a 10 ans, et nous apportent beaucoup sur le plan humain ».
Cet article est le 12ème paru sur ce blog dans la catégorie Réseau CiViQ