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  • : Michel Sorin
  • : Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
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11 novembre 2013 1 11 /11 /novembre /2013 22:02

"Jamais la situation de l’Europe n’a été aussi menaçante"

 

Le 11 novembre en France est le jour où les citoyens se rassemblent autour des monuments aux morts. Dans ma ville, c’était hier parce que, le dimanche, il y a plus de présents, et aussi parce que les anciens combattants veulent aller à Laval participer à la cérémonie le jour du 11 novembre.

A Paris, la commémoration a été entachée par des manifestations d’hostilité à la personne du président de la République. Voir Hollande hué: l'homme du sursaut citoyen face aux fachos (l’Humanité, 11 novembre 2013). Voir, à ce sujet, les réflexions de Claude Nicolet sur son blog et de Jean-Pierre Chevènement :  "Il faut condamner ces manifestations totalement inadmissibles un 11 novembre" (11 novembre 2013).

 

Ces commémorations sont l’occasion de chercher à comprendre ce qui a conduit à cette guerre en 1914. Voir Armistice du 11 novembre 1918 : la guerre ne s'est terminée qu'en 1945 - 10 novembre 2013 (entretien du JDD avec Jean-Pierre Chevènement).

 

Le Dernier discours de Jean Jaurès contre la guerre et l'appel à un sursaut

 

La veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était assassiné à Paris. Pratiquement une semaine avant, il avait prononcé le 25 juillet, à Lyon-Vaise, ce qui devait être son dernier discours. Le député du Tarn dressait alors un tableau aussi réaliste qu'alarmiste de la situation en Europe (merci à Hervé Crouzet) :

 

Citoyens,

 

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole  (...)

Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour lesquels les slaves de Russie éprouvent une sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche.

Et si le conflit ne restait pas entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche verrait l’Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais alors, ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France :

"J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés." A l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu.

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant l’Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci de la France.

Voilà, hélas! notre part de responsabilités, et elle se précise, si vous voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche: "Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc" et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie. "Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité."

Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie.

Eh bien! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire "Mon cœur de grand peuple slave ne supporte pas qu’on fasse violence au petit peuple slave de Serbie. "Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur? Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l’Autriche "Laisse-moi faire et je te confierai l’administration de la Bosnie-Herzégovine. "L’administration, vous comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’administrer la Bosnie-Herzégovine, elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’administrer au mieux de ses intérêts."

Dans l’entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eu avec le ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à l’Autriche: "Je t’autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d’établir un débouché sur la mer Noire, à proximité de Constantinople." M. d’Ærenthal a fait un signe que la Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l’Autriche à prendre la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : "C’est mon tour pour la mer Noire." – "Quoi? Qu’est-ce que je vous ai dit? Rien du tout !", et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d’Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la Russie avait été la complice de l’Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les Slaves de Serbie.

 

C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est maintenant. Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’administration de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n’y aurait pas aujourd’hui de difficultés en Europe; mais la cléricale Autriche tyrannisait la Bosnie-Herzégovine; elle a voulu la convertir par force au catholicisme; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le mécontentement de ces peuples. La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

 

Eh bien! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne.

Vous avez vu la guerre des Balkans; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

 

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d’Allemagne s’élèvent avec indignation contre la note de l’Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.

 

Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.

J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix.

 

Voir, par ailleurs, sur Jaurès : Assemblée nationale - Jean Jaurès - Discours parlementaires et Jaures, discours à la jeunesse, Albi, 1903

 

De son côté, Henry Moreigne a publié sur son site (31 juillet 2013 AGORA VOX) cet article relatant le Dernier discours et dernière mise en garde de Jean Jaurès. Après avoir détaillé les rouages infernaux, le fondateur et directeur du journal l'Humanité appelait à la veille de la guerre les peuples au sursaut.

 

Voici les réflexions de Henry Moreigne concernant la situation actuelle.

(…) Que reste-t-il un quasi siècle plus tard de ces propos prophétiques ? Pas grand-chose. La réponse internationale aux égoïsmes nationaux n'a non seulement pas vu le jour mais elle a surtout été captée, récupérée par les puissances financières qui ont construit une mondialisation à leur main, basée sur la mise en concurrence des peuples entre eux et l'affranchissement de tout contrôle par les Etats.

Les barils de poudre aujourd'hui n'ont pas pour nom ceux de quelques territoires des Balkans mais chômage, déficits et austérité. Loin d'être le bouclier attendu et espéré, l'Europe de 2013 se limite à une union de républiques marchandes sans plus d'objectifs politique que de reconstituer une sorte de nouvelle ligue hanséatique élargie. Pourtant le grand Jaurès dans son dernier discours nous rappelle que la clé du progrès passe par la capacité à créer des passerelles au dessus des frontières. Un beau défi pour ceux qui dans ce XXIème siècle cherchent à leur vie un sens autre que mercantilisme, consumérisme et cupidité.



Cet article est le 37ème paru sur ce blog dans la catégorie Personnalités et célébrations

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commentaires

M
<br /> J'ai été très intéressé par ce discours de Jaurès et j'avais constaté les différences d'approche avec ce qu'indique Chevènement dans son livre. Etant présent dans les locaux de la Fondation Jean<br /> Jaurès mardi 12 novembre, au 1er rang des auditeurs de Jean-Pierre Chevènement (j'ai rapporté ce qu'il a dit dans la présentation de son livre, voir l'article publié le 15 novembre), je lui ai<br /> posé la question, lui demandant ce qu'il pensait de la vision de Jaurès des causes de la guerre. Il a répondu longuement, bien sûr en rappelant que Jaurès n'avait pas tous les éléments dont nous<br /> disposons maintenant avec le recul historique. Notamment, il n'avait pas vu "l'hegemon", la question de la suprématie dans la mondialisation entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Il décrivait<br /> l'engrenage conduisant à la guerre, mais pas le moteur de la guerre. Il voyait très bien les alliances qui conduisaient à la guerre, mais pas le dessous des choses. Ce sont des éléments qui<br /> n'enlèvent rien à la qualité du discours du 25 juillet 1914 à Lyon. Si Jaurès n'avait pas été assassiné par Villain le 31 juillet, il n'aurait pu faire autrement que d'apporter son soutien à<br /> l'entrée en guerre de la France. <br />
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D
<br /> Ce texte très visionnaire de Jean Jaurès est en complète contradiction avec l'interprétation que donne Jean-Pierre Chevènement du déclenchement de la première guerre mondiale. L'interprétation de<br /> Jaurès me semble bien plus convaincante... et il l'a payé de sa vie.<br />
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