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  • : Michel Sorin
  • : Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
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21 mai 2013 2 21 /05 /mai /2013 22:50

Miser sur la capacité d’innovation des agriculteurs français

 

Colloque agriculture Res Publica 71111 151 TC’est un remarquable article qu’a écrit Lucien Bourgeois dans La Revue politique et parlementaire parue au 1er trimestre  2013 sous le titre global « L’agriculture française et le syndrome allemand ». En voici un extrait, qui reprend la partie finale.

 

France et Allemagne : une longue histoire pas commune même avec la PAC

 

Essayons de mieux comprendre les ressorts de cette obsession sur les performances allemandes. Les divergences sont historiques. Plus tardivement unifiée que le Royaume-Uni et la France, l’Allemagne n’a pas pu se lancer dans la conquête coloniale. En revanche, elle s’est lancée dans une croissance industrielle très rapide. Dès les années 1870, elle avait dépassé le Royaume-Uni et était devenue la première puissance industrielle européenne. La France avait fait un tout autre choix en se lançant dans l’aventure coloniale. Elle pouvait se permettre de garder une agriculture peu performante, quitte à importer beaucoup de denrées comme les huiles, le vin, le riz de son empire colonial.

L’Allemagne était obligée d’assurer sa sécurité alimentaire en améliorant les rendements.

Cette situation a perduré jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Pendant l’entre-deux-guerres, la moyenne des rendements de blé n’était que de 15 quintaux par ha en France et, en 1939, il nous fallait importer chaque année l’équivalent de deux mois de consommation de blé. Les rendements étaient alors très inférieurs à ceux de l’Europe du Nord. Cette situation avait d’ailleurs conduit Hitler à imaginer, pendant l’Occupation, une répartition du travail très « coloniale » entre nos deux pays. La France avait beaucoup de terres agricoles peu productives. Les Allemands se spécialiseraient sur l’activité industrielle et la France pourrait assurer l’approvisionnement en produits agricoles.

Fort heureusement, ce n’est pas la voie qui a été choisie après la guerre.

 

La France a opté pour un développement industriel très rapide permettant une modernisation concomitante de l’agriculture. Les Français avaient souffert de la faim pendant la guerre et il fallait bien se douter que les colonies aspiraient à l’indépendance.

Les gouvernements ont pris les mesures d’accompagnement nécessaires pour favoriser le développement de la production par des investissements importants dans les exploitations agricoles.

Quand la construction du Mur de Berlin a poussé les pays d’Europe de l’Ouest à concrétiser leur volonté affichée dans le traité de Rome de mutualiser leurs politiques de sécurité alimentaire, l’agriculture française était prête et avait rattrapé une partie de son retard technique.

 

Dans l’Europe des six du début de la PAC, la France disposait de la moitié des terres agricoles disponibles et tous les pays y compris la France avaient un déficit important de leurs échanges extérieurs de produits alimentaires. Il convenait de développer la production le plus rapidement possible. Après de longs arbitrages politiques, le choix s’est porté sur des prix élevés des produits agricoles et la suppression des limitations de garantie par exploitations que la France avait mis en place (Quantums). Les prix allemands étaient plus élevés que les prix français. Si l’on avait voulu favoriser une spécialisation en fonction des facteurs de production disponibles, on aurait fixé un niveau commun proche des prix français.

Ce n’est pas le choix qui a été fait. Les prix communs ont été fixés à un niveau proche du prix allemand. Cela a permis à ce pays de sauver son agriculture et cela a donné une rente de situation aux producteurs de céréales français.

Cela a pénalisé les éleveurs français qui voyaient ainsi se renchérir le prix des aliments du bétail.

Cette stratégie est restée la même pendant les mouvements monétaires des années 70. Les agriculteurs français n’ont pas pu profiter des dévaluations du franc. Les agriculteurs allemands n’ont pas non plus souffert des réévaluations du mark. Les montants compensatoires monétaires institués en 1976 et maintenus pendant vingt ans ont permis de préserver les producteurs agricoles des mouvements monétaires. L’Allemagne a donc pu profiter du marché commun pour étendre ses marchés de produits industriels sans que la concurrence sur les produits agricoles ne puisse affaiblir son potentiel de production national. Les producteurs français de céréales et oléagineux ont bénéficié d’une rente de situation réinvestie dans l’élargissement de la rente par l’agrandissement des structures de production.

 

La réforme de la PAC de 1992 n’a pas non plus permis de réaliser une spécialisation internationale différente entre les deux pays.

On aurait pu penser qu’après la chute du Mur de Berlin tout allait changer. La réunification faisait progresser la surface agricole de l’Allemagne de 50 %. Le niveau des prix devait converger vers le niveau du marché mondial, les aides devaient avoir un effet neutre sur la production et l’agriculture devait respecter des contraintes environnementales communes.

 

L’absence de solidarité de la France pour assumer le coût de la réunification a favorisé les réflexes de renationalisation de la PAC. Les Allemands ont su utiliser les mécanismes de la PAC pour accompagner la modernisation des grandes fermes de la partie Est et maintenir un potentiel important dans les régions de petites exploitations comme la Bavière.

En France, on feint de croire que tout se décide à Bruxelles et que l’objectif est de conserver les retours financiers les plus importants. Les Allemands ont su trouver des marges de manoeuvre nationales. Les mesures prises méritent d’être observées de près. Retenons qu’ils ont réussi à donner les aides à tous les secteurs alors que la pratique française exclut les fruits et légumes et privilégient les exploitations de grandes cultures végétales. Ils ont su régionaliser pour tenir compte des particularismes régionaux. Ils ont su accompagner la PAC de mesures fiscales nationales qui encouragent les pratiques économes en intrants. Ils ont su utiliser la politique d’encouragement aux énergies renouvelables pour avantager les exploitations d’élevage (méthanisation). Or ce sont elles qui emploient le plus de main-d’oeuvre. Dans le même temps, la France avantage les exploitations de grandes cultures par l’éthanol et le diester.

 

De nombreuses études ont été faites depuis quelques années pour essayer de comprendre pourquoi les entreprises allemandes avaient pu gagner des marchés en particulier sur des articles « premier prix » dans le secteur des produits laitiers et surtout dans les viandes. L’utilisation intelligente de la politique environnementale pour la production d’énergie a permis de faire pression sur les prix au producteur. Mais il faut y ajouter des raisons moins nobles comme une utilisation systématique des possibilités d’emploi de salariés mal payés dans le cadre de la Directive Bolkestein adoptée fin 2006. Comme il n’y a pas de SMIC en Allemagne, les négociations salariales dépendent de l’organisation syndicale de chaque secteur économique. Or certains secteurs comme les abattoirs peuvent utiliser une main-d’œuvre en provenance des pays d’Europe de l’Est avec des salaires très inférieurs.

Cela donne aux entreprises concernées un avantage compétitif important dans ce domaine où les marges sont faibles.

 

La France agricole et l’Allemagne industrielle

Ce rappel de l’histoire montre l’intérêt des comparaisons entre les pays européens pour mieux identifier les marges de manœuvre éventuellement disponibles. Le rapport des Français avec les Allemands est toujours un peu compliqué. Il s’est encore complexifié avec la crise financière de 2008. Nous connaissons une croissance démographique beaucoup plus importante. Nous avons peu à envier sur le plan de la croissance du PIB mais nous sommes dans une position radicalement divergente sur le plan des échanges extérieurs. L’évolution des échanges agroalimentaires nous montre pourtant que nous avons une sorte de naïveté en ce domaine.

La France s’est un peu vite ralliée aux thèses libérales en estimant qu’il ne fallait plus que l’État intervienne car les marchés devaient assurer plus rapidement l’optimum. On voit clairement que cela n’a jamais été la pensée dominante en Allemagne dans le domaine agricole. Ce pays a toujours veillé jalousement au maintien de son potentiel de production agricole par des prix élevés, des aides régionalisées, l’utilisation des politiques fiscales et des incitations financières à la production d’énergie renouvelable… En pure logique libérale, ce pays aurait pu choisir de sacrifier son agriculture sur l’autel de la spécialisation internationale comme le professe l’OMC. Sa puissance industrielle lui permettait d’importer ses produits alimentaires du reste du monde à l’exemple du Royaume-Uni dont le déficit agricole dépasse 25 Mrd € en 2011, soit l’équivalent de la moitié du déficit énergétique de la France !

Au contraire, l’Allemagne a choisi de relever le défi par une politique « industrielle » de l’agriculture. Pire encore, on peut se demander si la vieille malédiction hitlérienne n’est pas en train de se réaliser avec la désindustrialisation actuelle de la France et sa spécialisation dans la fourniture au reste de l’Europe de matières premières comme les céréales et les animaux vivants.

Les autres pays transforment ces matières premières en produits à plus haute valeur ajoutée qui reviennent sur nos marchés sous forme de découpe de volaille ou de jambon de Parme.

 

La malédiction des matières premières

Cette tendance n’a pas encore affecté significativement les résultats du commerce extérieur.

N’est pas dû en partie au succès « involontaire » des vins et boissons ? Contre toute attente et en contradiction avec la logique mise en oeuvre dans les autres domaines, ce secteur a été le seul à augmenter sa part dans le chiffre de la Ferme France et il assure à lui seul la presque totalité de l’excédent du commerce extérieur. Avec des aides PAC nettement plus faibles, ce secteur a montré que la création de valeur ajoutée passait par la qualité en liaison avec l’origine territoriale dans le cadre d’organisations interprofessionnelles efficaces.

On comprend difficilement pourquoi cette belle réussite n’a pas été généralisée. Certes, des secteurs comme celui du sucre et ceux des produits oléagineux et des produits laitiers se sont engagés dans la valorisation industrielle. Mais cela a été peu le cas du secteur céréalier présenté comme emblématique de la puissance agricole de la France.

On peut se demander si ce n’est pas en partie le fait des hauts prix ou des aides importantes imposés par la logique allemande ? Cette situation a freiné le développement de la valeur ajoutée dans l’élevage en France.

Jusqu’à maintenant, cela a été bénéfique aux producteurs de céréales mais ils sont « par construction » de moins en moins nombreux à cause de la mécanique des aides à l’ha. Il suffit aujourd’hui de 600 heures par an pour cultiver 100 ha ! Cette moindre rentabilité de l’élevage a nécessairement des conséquences néfastes sur l’emploi mais aussi sur le territoire.

La politique des prix élevés des céréales n’a pas favorisé l’intégration entre les activités de production de céréales et celles de l’élevage. Cela a poussé à une logique « hors sol » dans les zones proches des ports.

 

L’insolente réussite des Pays-Bas en est en partie la preuve. Il serait intéressant de mieux comprendre comment ce pays peut dégager un excédent agricole deux fois plus important que celui de la France sans avoir la possibilité de produire ni céréales ni vins. On imagine ce que pourraient être les résultats français avec une autre logique de politique agricole.

Nous avons vu que la politique réformée en 1992 atteignait ses limites dans le contexte de crise économique que nous traversons depuis 2008. L’exemple de l’Allemagne et celui des Pays-Bas nous montre qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il y a des marges de manoeuvre importantes surtout dans un pays comme la France qui a la possibilité de fabriquer de très nombreux produits alimentaires de qualité.

 

La crise pourrait inciter à changer de paradigme

La crise économique met en lumière les insuffisances des coordinations entre les politiques économiques des pays de l’UE. La PAC faisait un peu exception mais nous avons vu que les risques de renationalisations sont prégnants. Il est étonnant que les propositions faites par la Commission européenne pour la période 2014-2020 ne soient guère différentes de celles qui auraient été faites avant la crise. Il y aurait intérêt à modifier les mécanismes pour favoriser davantage la valeur ajoutée et l’emploi. Mais cela devra se faire dans un contexte budgétaire moins favorable.

Ce sera difficile à cause des pesanteurs. Est-ce qu’un vieux pays jacobin comme la France osera la régionalisation des politiques agricoles pour mieux valoriser la production par les territoires ? Est-ce que, dans un pays où prédominent les logiques d’ingénieurs, on se décidera à encourager la différenciation des produits agricoles ? Se décidera t-on à penser que l’organisation économique dans les filières peut être plus profitable aux consommateurs que le passage obligé par des centrales d’achat de la grande distribution ?

Mais sera t-il possible de modifier les règles actuelles du droit de la concurrence qui semblent plus contraignantes pour les producteurs de pommes à cidre que pour Microsoft ?

 

Peut-on imaginer un système d’aides qui soit plus favorable à l’emploi qu’à la capitalisation et à la concentration des exploitations ? Peut-on imaginer un encouragement plus explicite pour les innovations source de valeur ajoutée ? Les expériences allemandes et hollandaises sont de nature à rassurer les politiques qui souhaiteraient disposer d’exemples concrets. Mais n’oublions pas que le phénomène le plus encourageant, outre les bons résultats actuels du commerce extérieur agroalimentaire, est l’extraordinaire dynamisme des agriculteurs français « sur le terrain ».

Dans toutes les régions, dans tous les secteurs, ils sont nombreux à tenter des expériences innovantes au niveau technique mais aussi pour le travail et (ou) la vente en commun. C’est le meilleur des atouts pour l’avenir à condition qu’on puisse accompagner le mouvement dans de bonnes conditions. 

Cet article est le 390ème publié sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.

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