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  • : Michel Sorin
  • : Le MRC 53 est la structure mayennaise du Mouvement Républicain et Citoyen, qui a pour but de rassembler la gauche républicaine à partir, notamment, des idées de Jean-Pierre Chevènement, l'un de ses fondateurs, qui n'est plus membre du MRC depuis 2015. Le MRC a pris le relais du Mouvement des Citoyens (MDC) après les élections de 2002. En 2022, le MRC est devenu membre de la Fédération de la Gauche Républicaine avec quatre autres organisations politiques.
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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 21:25

Refonder le système sur la souveraineté alimentaire

 

Après avoir présenté la conception, de type socialiste ou social-démocrate, de Pisani (voir Edgard Pisani et le combat pour une nouvelle politique alimentaire - 21 novembre 2009), voici la conception de type altermondialiste avec Jacques Berthelot*, dans le même but : refonder les politiques agricoles en Europe et dans le monde.

 

Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2009, pages 24 et 25, on peut lire :

 

« Selon la FAO, 30 milliards de dollars par an suffiraient à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici à 2015. C’est moins d’un dixième des subventions accordées à l’agriculture des pays riches.

A l’heure du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire (des 16 au 18 novembre à Rome), un problème fondamental reste posé : quel modèle agricole permettrait de nourrir les neuf milliards d’êtres humains que comptera la planète en 2050 ? »

 

Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies pour le droit à l'alimentation depuis 2008, s'alarme de la situation (Le Monde, 16 novembre) : "Toutes les conditions réunies pour une nouvelle crise alimentaire".  

 

Stéphane Parmentier affirme « La faim n’est pas une calamité naturelle ». Elle est essentiellement le fruit de choix politiques inadaptés. Lire Et soudain resurgit la faim.

 

Jacques Berthelot démontre avec précision que l’Accord sur l’Agriculture (AsA), dans le cadre de l’OMC, est le produit d’un rapport de forces entre les puissants (l’Europe et les USA) et les pays en développement. Les uns et les autres doivent viser en priorité l’objectif de la résorption de la faim dans le monde. Le principe radicalement nouveau qui doit s’imposer, c’est la souveraineté alimentaire, qui implique la protection des productions agricoles.

 

Pour un modèle agricole dans les pays du Sud

Subvenir aux besoins alimentaires des neuf milliards trois cent millions d’êtres humains attendus en 2050 sur la Terre constitue un enjeu a priori peu évident ; mais pour les pays les plus pauvres, où l’on attend une forte croissance démographique, le défi s’annonce particulièrement redoutable.

- Car c’est là que vivent la majorité des sous-nutris chroniques et qu’ont éclaté en 2007 et 2008 les « émeutes de la faim » liées à la flambée des prix agricoles.

- Là que les terres les meilleures, actuellement sous-exploitées faute de moyens financiers, se trouvent de plus en plus accaparées par les puissances occidentales soucieuses d’importer des agrocarburants — ou encore par les pays asiatiques et du Golfe désireux de se garantir un approvisionnement alimentaire durable en prévision d’une hausse des prix agricoles mondiaux.

- Et là enfin que le réchauffement climatique réduira le plus les rendements agricoles potentiels - de 15 % à 30 % pour l’Afrique subsaharienne, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

La flambée des cours agricoles, en 2007 et 2008, a fait ressortir leur forte volatilité et mis à mal le dogme de l’« autorégulation des marchés ». Face à une demande alimentaire stable à court terme, la production fluctue selon les aléas climatiques, ce qui entraîne une importante variation des prix et des revenus — raison pour laquelle les Etats, depuis l’Egypte des pharaons, régulent toujours l’offre à l’importation et mènent des politiques de stockage.

Pourtant, dans le secteur de l’agriculture, la libéralisation des échanges a été imposée aux pays endettés, dès les années 1980, par le Fonds monétaire international (FMI) et par la Banque mondiale ; puis, en 1994, les pressions exercées par les firmes agroalimentaires pour faire baisser le prix des denrées agricoles ont abouti au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à l’accord sur l’agriculture (AsA). Ce compromis, qui avait pour « objectif à long terme (...) des réductions progressives substantielles du soutien et de la protection de l’agriculture », rompt avec l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, lequel n’empêchait pas la protection à l’importation – même s’il autorisait les subventions à l’exportation.

Négociées entre l’UE et les USA avant d’être étendues à tous les membres de l’OMC, les règles de l’AsA sont d’une profonde iniquité envers les pays en développement (PED). C’est particulièrement vrai pour la définition du dumping. Selon l’OMC, tombe sous le coup de cette accusation le pays qui subventionne un exportateur, mais pas quand il exporte au prix du marché intérieur – même si ce prix est inférieur au coût réel de production grâce à des soutiens internes. A partir de 1992, Bruxelles et Washington ont donc notablement diminué leurs prix internes afin de continuer à exporter sans encourir formellement l’accusation de dumping (…).

Augmenter la production alimentaire

Sachant qu’un milliard d’êtres humains souffrent de sous-nutrition chronique et que deux autres milliards sont victimes de carences en protéines ou en oligoéléments, la FAO estime qu’il faudra augmenter la production alimentaire mondiale de 70% d’ici à 2050 (…).

En effet, un véritable développement des pays les plus pauvres, comme ceux de l’Afrique subsaharienne, ne peut exister sans que soit mise en place à leur profit cette protection en matière agricole, qui a si bien réussi à l’Union et aux Etats-Unis. Il est d’ailleurs à remarquer que, plus les pays sont développés, plus ils se protègent de l’importation des produits alimentaires de base (…). Par ailleurs, plus les pays sont développés, plus faible est la part des produits alimentaires de base qu’ils importent (…).

L’effet spectaculaire de la protection exercée sur une production agricole ressort bien si on établit une comparaison entre le Kenya et les pays de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) : le droit de douane sur la poudre de lait est passé dans le premier de 25% à 35% de 1999 à 2002, puis à 60% depuis 2004, alors qu’il est resté à 5% dans le second. Le Kenya est un exportateur net croissant de produits laitiers, avec une consommation intérieure de 112 litres par personne et par an ; à l’inverse, les importations en équivalent lait représentent 64% de la production de lait de l’Afrique de l’Ouest, et la consommation par personne n’y atteint que 35 litres.

Ces faits militent en faveur d’une réorganisation de toutes les politiques agricoles, au niveau national comme dans l’Accord sur l’agriculture (AsA), sur le principe de la souveraineté alimentaire : il appartiendrait à chaque pays (ou groupe de pays) de définir sa politique agricole et alimentaire comme il l’entend, dès lors qu’il ne cause pas de tort au reste du monde en utilisant le dumping – et on doit englober dans cette pratique les aides internes indirectes comme les subventions attibuées pour l’alimentation du bétail.

Considérer que l’Union européenne n’a plus besoin de protéger son marché agricole, hormis contre les importations venues de pays qui ne respectent pas l’environnement et les normes sociales minimales – comme le pensent les Verts et les socialistes du Parlement européen, ainsi que de nombreuses ONG – paraît très dangereux.  En effet, les droits de douane élevés qu’impose Bruxelles dans les aliments de base diminueraient si un accord était signé dans le cadre du cycle de Doha et, a fortiori, si l’accord de libre-échange avec le Marché commun du Sud (Mercosur) était finalisé, comme le voudrait l’Espagne – qui présidera l’Union européenne au premier semestre 2010. Or, la survie des agriculteurs européens est liée à leur maîtrise du marché intérieur, sur lequel ils ont écoulé 77,5% de leurs produits entre 2005 et 2007.

Renoncer au dumping généralisé

L’Union a donc intérêt à refonder la PAC et l’AsA sur la souveraineté alimentaire, et à produire ses aliments pour le bétail en renonçant au dumping généralisé. Cela ne l’empêchera pas d’exporter lorsque les prix agricoles mondiaux seront supérieurs aux prix intérieurs sans subventions. Concrètement, on peut fixer des prix rémunérateurs, garantis par des prélèvements variables à l’importation afin que les agriculteurs se situant près du coût de production moyen de l’Union n’aient pas besoin de subventions pour vivre. Celles-ci, qui devraient être plafonnées et varier selon les Etats membres, seraient réservées aux paysans dont les coûts sont supérieurs ou qui, quoique produisant très peu, ont besoin d’être soutenus pour des raisons sociales ou environnementales (multifonctionnalité).

Concernant les quantités, pourquoi ne pas fixer des plafonds par produit et les répartir parmi les Vingt-Sept avec le souci de parvenir à un juste équilibre entre les avantages qu’en tirerait chaque pays et la nécessité de promouvoir une agriculture polyvalente tout en minimisant les coûts de transport ? Une telle réforme prendrait le contre-pied de l’absurde dérégulation poursuivie par la Commission européenne.

Mais la nécessité de refonder leurs politiques agricoles s’impose bien davantage encore aux PED, étant donné leur déficit alimentaire croissant – qui a atteint (sans tenir compte du poisson) 13,3 milliards de dollars en 2007. Etant donné que la réduction de la protection à l’importation et des subventions agricoles « distorsives » constitue la monnaie d’échange de l’Union et des Etats-Unis dans les négociations du cycle de Doha, en contrepartie de l’ouverture des marchés de produits non agricoles et de services des PED, ceux-ci ont en main un atout maître : ils peuvent dénoncer l’interprétation faussée des règles de l’AsA par l’Union européenne et les Etats-Unis, ainsi que leurs sous-notifications massives, et les poursuivre devant l’OMC.

S’il ressortait clairement que leurs offres de réduction sont pures illusions, les PED ne seraient plus tenus d’ouvrir leurs marchés non agricoles et de services, et un espace se dégagerait pour refonder les politiques agricoles et l’AsA sur la question de la souveraineté alimentaire.

 * L'agriculture, talon d'Achille de la mondialisation par Jacques Berthelot, économiste, L’Harmattan, 2001.  

 

Cet article est le 148ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.

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