Plus de la moitié des votants contre la politique européenne
Le suspense était grand avant les élections législatives des 24 et 25 février 2013 en Italie. On n’a pas été déçu. Au vu des résultats, le suspense est toujours aussi grand en ce qui concerne le futur gouvernement de ce grand pays dont l’un des meilleurs observateurs est Marc Lazar, qui vient de publier ce livre collectif : L'Italie contemporaine, de 1945 à nos jours, de Marc Lazar
Figée dans l'imaginaire occidental comme étant le berceau de l'art et de la culture, ou réduite à la caricature d'un pays de non-droit soumis aux guerres des « familles », l'Italie, dont l'expansion depuis la Deuxième Guerre mondiale a été spectaculaire, n'en finit pas de surprendre. Or ce pays, perçu pourtant comme le creuset où s'est élaborée la civilisation européenne, est mal connu de ses plus proches voisins. Deux malentendus survenus entre la France et l'Italie en témoignent : les trois victoires électorales de Silvio Berlusconi, qui ont provoqué la stupeur des Français, et la protection que la France accorde aux ex-terroristes italiens, à commencer par Cesare Battisti, qui ne cesse d'indigner les Italiens. Cet ouvrage restitue les multiples aspects de la trajectoire de l'Italie depuis 1945 : la difficile formation d'une démocratie qui, après deux décennies de totalitarisme fasciste, a su relever de grands défis ; la lente mise en place de l'unité nationale qui a tenu compte des diversités géographiques ; son action en Europe, en Méditerranée et dans le monde ; ses grandes mutations économiques ; la modernisation de sa société, mais également la persistance de ses traditions et des héritages non résolus, à savoir la question du Mezzorgiorno ou encore les relations entre l'Etat et l'Eglise catholique. Pour parachever ce tableau riche et contrasté, c'est aussi toute la créativité culturelle et l'inventivité artistique de l'Italie qui sont présentées ici, ainsi que la place de la télévision et le rôle des intellectuels. Une trentaine de spécialistes de l'Italie, français ou franco-italiens travaillant en France, historiens, historiens de l'art, du cinéma, de la littérature, politistes, sociologues, économistes et géographes, ont ainsi oeuvré à la réalisation de cet ouvrage, complet et indispensable au spécialiste comme au néophyte.
Voir les commentaires de cet auteur : "Un coup de tonnerre en Europe" (Le Monde, Marc Lazar, 26 février 2013). Lire aussi : Sans majorité claire au Sénat, l'Italie ingouvernable (Le Monde, 25 février). Extrait.
La coalition de gauche de Pier Luigi Bersani, qui remporte 29,5 % des voix, s'adjuge la majorité des sièges à la Chambre (345 sur 630), grâce à un système qui accorde 54 % des fauteuils à la formation arrivant en tête. La droite, qui remporte 29,18% des voix, n'obtient que 125 sièges. Beppe Grillo a 108 députés avec 25,55% des voix tandis que les centristes de Mario Monti obtiennent 45 sièges avec 10,56% des voix.
Mais au Sénat, où la prime de majorité est accordée par région, les résultats donnent le centre gauche très loin de la majorité absolue des 158 sièges. Elle totalise seulement 123 sièges sur les 315 que compte la Chambre, contre 117 sièges à la coalition de droite. En termes de voix, la gauche en remporte 31,63 % (27,43% au PD et 2,97% à SEL) et la droite 30,72 %, (22,30% pour le PDL et 4,33% pour son principal allié, la Ligue du Nord). Le Mouvement cinq étoiles (M5S) de Beppe Grillo a 54 sièges avec 23,79% des voix tandis que la coalition centriste de Mario Monti, avec 9,13% des voix, obtient 18 sièges auxquels s'ajoute un sénateur représentant les Italiens de l'étranger.
La crise et quinze mois de rigueur budgétaire imposés par le gouvernement technique de Mario Monti ont énormément influé sur ces élections. Le chef du gouvernement sortant, qui jouissait d'une solide popularité pour avoir rétabli la crédibilité de l'Italie, a fortement pâti des effets de sa politique d'austérité.
Les gagnants et les perdants des législatives italiennes (Le Monde, 26 février)
Philippe Ridet, correspondant du "Monde" en Italie, analyse ce 26 février les résultats des élections législatives et les issues possibles à l'impasse politique. Voir A Rome, "on entend beaucoup parler d'un gouvernement de grande coalition". Extraits.
« Oui, il y a une composante anti-européenne dans le vote Grillo-Berlusconi. Le premier a proposé un référendum pour sortir de l'Euro, le second a attaqué durement l'Europe "germano-centrée". Comme dans de nombreux pays d'Europe du Sud, la rigueur imposée est perçue comme une "punition" d'Angela Merkel. Mais les motivations plus italo-italiennes comptent énormément. Dans un pays où près d'un million de jeunes diplômés ont émigré ces vingt dernières années, le discours de Beppe Grillo qui se propose de renvoyer tous les "vieux politiciens" "a casa" (à la maison) a fait mouche. Alors que l'évasion fiscale est estimée à 120 milliards d'euros, la proposition d'amnistie pour les fraudeurs et de remboursements d'impôts faite par Silvio Berlusconi ne compte pas moins » (…).
Le vote pour Beppe Grillo représente la volonté d'une grande partie des Italiens et, notamment les plus jeunes, d'un système politique vu, à tort ou à raison, comme une manière de se répartir des postes, des charges, des prébendes. Dire de Beppe Grillo qu'il serait un fasciste est tout à fait exagéré. Même s'il fait des grands discours comme les faisait Mussolini depuis le balcon de la place de Venise, sa manière de considérer la politique, le recours permanent à l'approbation de ses militants via Internet, son intention d'installer une démocratie directe et participative l'éloignent tout à fait du modèle fasciste. Mais il est vrai qu'il y a quelques semaines, il avait tendu la main à des militants du groupuscule d'extrême droite Casa Pound.
Les élus de Beppe Grillo n'ont rien à voir avec la figure de leur leader. Pour la plupart, ils sont de parfaits inconnus et des néophytes. On trouve parmi eux des femmes au foyer, des géomètres, des étudiants, des physiciens etc. Ils ont en commun une pratique intensive d'Internet - le seul vecteur de communication de ce parti sans siège ni structure - et pour beaucoup des connaissances très pointues dans certains domaines, comme l'environnement par exemple. Mais ce ne sont pas les "agités" que l'on a voulu décrire.
Le vote Grillo est relativement transversal bien que ce soit les plus jeunes des Italiens qui aient voté en majorité pour le Mouvement 5 Etoiles. J'ai rencontré personnellement des partisans du comique génois qui venaient du Parti démocrate (centre gauche) et d'autres qui venaient du Peuple de la liberté (centre droit), le parti fondé par Silvio Berlusconi. Ce vote cristallise avant tout une fracture générationnelle typique de l'Italie où de nombreux jeunes diplômés doivent s'exiler chaque année pour trouver un travail à la mesure de leur qualification. Il cristallise également, mais dans une moindre mesure, le rejet de la rigueur imposée par Silvio Berlusconi puis par Mario Monti. Une rigueur vécue comme un diktat de l'Allemagne, de la Banque centrale européenne et de la Commission. C'est un vote anti-"castes politiques" et anti-élites (…).
Le leader politique qui sort vainqueur, difficilement, de ces élections est Pierluigi Bersani (Parti démocrate, centre gauche). Voir Le discret Bersani se voit en nouvel homme fort de l'Italie (Le Monde, 26 février) et Bersani, nouveau chef de la gauche italienne (Le Monde, 26 octobre 2009).
Nicolas Chapuis (Le monde, 26 février) a recueilli les propos de Guillaume Bachelay, numéro 2 du PS, qui s'inquiète de la percée du populisme en Italie. Ce proche de Laurent Fabius, qui avait combattu le traité constitutionnel européen en 2005, estime que l'Europe doit soutenir la croissance par la relance. Soulignant les efforts de rigueur faits par les Italiens, il reproche à Bruxelles de ne pas avoir joué son rôle. Voir "Les élections italiennes valident l'approche du président Hollande".
Le commentaire de Jean-Luc Laurent, président du Mouvement républicain et citoyen (MRC) :
La politique italienne est complexe mais les électeurs viennent pourtant d’adresser un message très clair aux gouvernements européens : l’austérité portée par les conservateurs européens conduit à une impasse politique. La récusation de Mario Monti, le retour de Berlusconi et le succès du Mouvement 5 Etoiles traduisent tous un divorce profond entre les citoyens et leurs dirigeants. Il y a quelques jours, l’agence Moody’s a dégradé la note du Royaume Uni invalidant la politique d’austérité forcenée conduite et reconduite par le gouvernement Cameron.
Économiquement et politiquement, l’Europe fonce dans le mur en klaxonnant. La réorientation de l’Europe n’est pas un vœu pieux ou un élément de langage pour habiller des demi-succès ou de mauvais compromis. La réorientation de l’Europe passe aujourd’hui par la création d’un rapport de force politique contre Merkel, Cameron et les conservateurs. Gardons-nous d’atteindre le point où les politiques qui étaient simplement mauvaises deviennent suicidaires.
Voir, sur le site du MRC : Italie: l’Europe face à ses responsabilités
Cet article est le 55ème sur ce blog dans la catégorie Etats Union européenne