L’agriculture française et la PAC
Lucien Bourgeois est chargé des études économiques et de la prospective à l’APCA (Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture). Il s’est exprimé le 26 juin 2006 dans le cadre du colloque ayant pour thème « L’avenir de la Politique Agricole Commune », organisé par la Fondation Res Publica présidée par Jean-Pierre Chevènement (voir les actes de ce colloque sur www.fondation-res-publica.org ou commander le livre en rendant compte). Le contexte historique et géographique Un mot d’entrée pour rappeler l’importance que tous les gouvernements accordent à l’alimentation, en quantité et en qualité, des populations. En Europe, l’Angleterre, premier pays industriel, a pris une décision historique en 1846, en abolissant les droits sur le blé afin d’éviter l’augmentation du prix du pain et nourrir les ouvriers. Il a ouvert les frontières pour faire baisser le prix du pain, donc les salaires, et mieux vendre les produits industriels. La colonisation lui offrait la possibilité de produire des denrées agricoles sur des terres vierges puis de les importer. La France, moins avancée dans l’industrialisation, a maintenu son système de production agricole (avec des protections et sans introduire les progrès techniques) jusqu’à la fin des années 1940. Les USA ont développé leur production agricole pendant que l’Europe, disposant de trois fois moins de terres, était confrontée à la pénurie, surtout pendant les guerres. Après la crise de 1929, à l’initiative de leur président Roosevelt, à partir de 1933, les USA ont mis en place les politiques agricoles qui sont toujours en vigueur : protectionnisme renforcé, mesures de soutien des prix (stockage provisoire) et de régulation de l’offre (gel des terres), mesures agri - environnementales (lutte contre l’érosion des sols). C’est, donc, après la seconde guerre mondiale que la France et l’Allemagne, ainsi que l’Angleterre, ont décidé de favoriser le développement de la production agricole, considérant désormais l’agriculture comme un problème géostratégique. Ainsi, le traité de Rome, en 1957, traitait le même jour de l’atome et de l’agriculture, sans doute pas par hasard. L’Europe a adopté un système s’inspirant de celui des USA. La guerre froide lui a permis de conduire, avec l’appui américain, une politique volontariste de production agricole, qui a fait ses preuves : en quelques années, l’autosuffisance a été atteinte. Aujourd’hui, avec trois fois moins de terres que les USA, nous parvenons à nourrir 150 millions de personnes de plus et exporter autant qu’eux. Pourtant, cette politique agricole est mise en accusation sur de nombreux points par les agriculteurs et les défenseurs de l’environnement (inefficacité), par les consommateurs (qualité), par les contribuables (coût trop élevé), par les agriculteurs (injustice sociale), par les pays en développement (injustice économique). Le modèle néo-zélandais est mis en avant. C’est celui des pays aux espaces immenses qui produisent à bas coûts, profitant de leurs avantages comparatifs naturels, et sont exportateurs traditionnels de produits agricoles. Or, ce modèle n’a rien de comparable avec le nôtre. Il faut rappeler la grande diversité des agricultures. Dans le monde, aujourd’hui, un actif sur deux travaille la terre pour ne pas mourir de faim. En Chine, 330 millions d’actifs agricoles cultivent en moyenne 1/3 d’hectare chacun. Passer à un hectare, c’est faire partir 220 millions d’actifs et leurs familles. Sachant les problèmes que posent les 50 millions de ruraux partis dans les faubourgs des villes, la Chine a interdit l’accès aux écoles et hôpitaux des villes à ceux qui quittent la campagne, ce qui en fait des citoyens de seconde zone.
La PAC réformée : du bon et du moins bon pour les agriculteurs… La PAC initiale était faite pour produire. La PAC réformée actuelle n’a plus de sens. Les aides ont pris une place démesurée dans les revenus agricoles : elles représentent 93% du revenu net de la ferme France ! La baisse des prix agricoles ne bénéficie pas aux consommateurs. Et les aides sont transformées en rentes foncières ! Le découplage permet de percevoir des aides sans travailler ! Et, pourtant, malgré ses défauts, la PAC a été relativement efficace, par comparaison avec les USA. L’évolution de la productivité du travail a eu le même rythme que dans les autres secteurs économiques. Et, surtout, les industries agroalimentaires sont le premier secteur industriel en France et en Europe. C’est l’un des effets indirects de la PAC. Les défauts sont nombreux : la distribution des aides est très inégalitaire, leur niveau par rapport aux revenus donne trop d’importance aux droits à produire vis-à-vis de la production, l’agrandissement et la restructuration des exploitations vont en sens inverse de l’emploi. En fait, tout en étant un pays agricole, la France exporte d’abord des produits industriels et des services. Elle a conservé ses parts de marché agroalimentaire mondial dans les vingt dernières années, ce qui n’est pas le cas des USA (-7% d’exportations). L’Europe reste la principale zone importatrice du monde, mais, à l’inverse des USA, nous avons amélioré notre situation. Nous importons des USA des matières premières et nous exportons vers les USA des produits transformés, ce qui fait entrer des devises. Le discours de l’OMC se rapproche par certains aspects d’un néo-pacte colonial : il faudrait laisser les pays en développement exporter vers nous des matières premières pour que nous leur vendions des produits transformés. Sur les marchés mondiaux, la part des céréales diminue constamment (environ 15% de la production, comme en 1910). Notre commerce agroalimentaire est de moins en moins dépendant des matières premières. Les vins et boissons exportés sont le double en valeur des céréales (à égalité en 1993). La PAC n’a pas tous les défauts : elle a résolu une partie de ses problèmes budgétaires. Depuis 1992, les dépenses budgétaires n’ont pas augmenté. Et, les aides à l’exportation (les restitutions) ont été divisées par cinq. Par contre, si les prix agricoles ont diminué, comme le voulaient les promoteurs de la réforme de la PAC, les agriculteurs français ont subi, pour leur part, une baisse de leurs revenus : -13% en 2005, qui s’ajoute aux baisses des années précédentes. Depuis 1999, la baisse des revenus agricoles est proche de 30% (en 7 ans). C’est comparable à ce qui s’était passé entre 1973 et 1980, années de sinistre mémoire. C’est pourquoi l’industrie agroalimentaire est si performante. Elle bénéficie de produits de qualité européenne presque au prix mondial. La variable d’ajustement de l’agriculture a surtout été l’emploi (-50% en 25 ans), suite à la politique d’agrandissement des exploitations qui a été menée avec l’idée : moins il y aura d’agriculteurs, plus on pourra baisser les prix. Dans le même temps, l’industrie a perdu 33% d’emplois, mais l’industrie agroalimentaire n’en a pas perdu. Il convient de relativiser l’importance des aides agricoles dans le budget européen : 40 milliards €, c’est le bénéfice qu’annonce Lidl (chaîne de supermarchés à bas prix) pour 2005. 9 milliards € versés aux agriculteurs français, c’est moins que le bénéfice de Total en 2005 (quasi monopole pour assurer notre sécurité énergétique, découvrir de nouvelles réserves de pétrole dans le monde). C’est moins que les dépenses -10 M² € - pour l’assurance de nos biens (voitures, logements, partie intermédiation). Comme l’a dit le président Bush aux agriculteurs américains, « une nation qui peut nourrir sa population est une nation en sécurité ».