Le capitalisme financier a torpillé l’économie réelle
Ce matin, sur France Inter, un producteur de fruits et légumes a craqué à l’antenne, mettant en cause le marché, qui est dévoyé et ne permet plus aux agriculteurs de vivre de leur activité professionnelle.
Le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, Bruno Le Maire, invité de la rédaction, a reconnu la gravité de la situation et employé des mots qui se retrouvent souvent sur ce blog. La preuve que le mal est profond, au point de détraquer le système productif.
Pendant ce temps, une centaine de jeunes agriculteurs d’Ile-de-France, Picardie et du Nord-Pas-de-Calais, avaient pris position près de l’Elysée en déversant de la paille et du fumier sous la banderole « Travailler plus pour crever plus ».
Probablement des producteurs de grandes cultures, dont les revenus ont été laminés en 2009, comme pour la plupart des agriculteurs de France et d’Europe (voir Alerte rouge en agriculture : retour en arrière de 20 ans sur les revenus - 14 décembre 2009).
Le site de Marianne, par Régis Soubrouillard, a très vite traduit l’importance de ce qui se vivait ce matin dans l’article publié ce 17 décembre :
Revenu agricole : Le Maire vire sa cuti en direct
Invité de la matinale de France Inter, Bruno Le Maire, le ministre de l'Agriculture s'est lancé dans un vibrant plaidoyer anti-libéral, anti-mondialiste, régulateur, mettant en cause plus de 20 ans de politique agricole européenne.
Au moment même où une centaine d’agriculteurs déversaient de la paille devant l’Elysée, déployant une banderole « travailler plus pour crever plus », le ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire, était sur France Inter pour porter le message gouvernemental. Une bonne parole qui s’est avérée plus surprenante que prévue.
Outre le constat d’une crise profonde, « la plus grave depuis 30 ans dans l’agriculture française », le ministre a exprimé l’urgence de sortir de cette situation « le revenu des agriculteurs a retrouvé le revenu moyen des années 1990. C’est-à-dire que nous avons pris 20 ans de recul cette année en 2009 ». Bruno Le Maire a pointé la variabilité des prix, la parité euro-dollar se lançant un défi : « la régulation des marchés agricoles mondiaux ». Le combat s’annonce long et difficile : « ça prendra du temps, des années » admet le Ministre.
Le risque à plus long terme, la disparition de l’agriculture française : « l’agriculture est délocalisable ». Premier mis en cause : le marché. Face au désarroi des agriculteurs qui interviennent à l’antenne-certains craquent en direct- C’est un Ministre régulateur, antimondialiste qui entre en scène : «Il faut une meilleure répartition de la valeur ajoutée, ce n'est pas normal qu'en période de crise, les seuls à trinquer, ce soient les producteurs. Pas de coup de baguette magique, c'est une somme de décisions justes et équitables».
Bruno Le Maire l'admet: «On est allés beaucoup trop loin dans la libéralisation de ce marché là». Il se lance alors dans une défense à tous crins des aides agricoles. « Il y a aussi des choix politiques à faire. Celui de la préférence communautaire. Ce n'est pas normal que les pommes du Chili se déversent chez nous par milliers de tonnes alors que nous en produisons chez nous.
Est-ce qu'il ne serait pas plus intelligent de mettre en place des circuits courts qui évitent aux produits agricoles de parcourir le chemin qu'il parcourt aujourd'hui. Chaque produit agricole parcourt en moyenne 2500 kilomètres aujourd'hui. Aux Etats-Unis, dans toutes les cantines scolaires, les circuits courts sont une obligation. Les produits consommés ne doivent pas venir de plus de 50 kilomètres ».
Après le surprenant exemple américain -au passage, Bruno Le Maire évite soigneusement une question sur la grande distribution...- la claque du matin: « Nous, en Europe, nous sommes les champions d'un libre échange sans règles, sans contrôles, qui, à mon sens, est allé trop loin et doit être revisité !».
Le jeune ministre, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, semble avoir compris que cette crise est celle du système capitaliste mondialisé, fondé sur le libre-échange et la concurrence, dont le but est de maximiser les profits des entreprises commerciales transnationales.
La crise financière a été éteinte, provisoirement, par les financements publics des Etats, mais les responsables, notamment au niveau européen, refusent de faire le bon diagnostic.
L’économie capitaliste repose sur le principe de crises successives. On peut imaginer que le niveau de formation des hommes et des femmes, en ce début du 21ème siècle, pourrait permettre d’aller vers un système économique à finalité humaine.
L’un des lecteurs de ce blog m’a rappelé un article du Monde, paru le 21 mars 1989, sous la signature de Jean-Marie Harribey, l’actuel coprésident d’ATTAC. Son titre : Vive Jean de La Fontaine !, qui renvoie à la célèbre fable La Fontaine, Le savetier et le financier.
Résumé : Les crises de surproduction sont l'élément régulateur du système économique capitaliste quand les facteurs de régulation « normaux » ne suffisent plus. Il semble que les moyens techniques existent pour nourrir convenablement (sans plus) tous les habitants de la planète. L’homme peut sans doute envisager de ne pas passer uniquement sa vie au travail (ou au chômage), et, après deux siècles de développement profondément inégalitaire et dévastateur, il est possible de concevoir que le partage du travail, du savoir et des richesses puisse fonder un nouveau type de progrès. Ainsi, il devient urgent de se demander si le règne de la marchandise ne doit pas commencer à régresser.
Le capitalisme n’a-t-il pas fait son temps ? (Extrait)
(…) Cet éclairage provenant, pourrait-on dire, de l’âge de la lampe à huile est pourtant plus lumineux que toutes les élucubrations prétendument savantes contemporaines. Qu’est-ce qui empêche de revenir aux sources de l’économie politique ?
L’enseignement de Marx est coupable de lèse-capital. Celui des classiques est en partie aussi déconsidéré. Parce que la théorie de la valeur contient en germe la théorie de l’exploitation du travail. Et parce que le libéralisme classique de Smith et Ricardo était historiquement engagé et épouseur de son temps. Quand Ricardo militait en faveur de la suppression des droits de douane sur le blé importé en Angleterre, il se rangeait ouvertement du côté des capitalistes industriels face aux propriétaires fonciers qui s’appropriaient une rente alourdissant les prix et donc les salaires.
Ce libéralisme n’a pas grand-chose à voir avec le libéralisme d’aujourd’hui qui prétend porter un regard objectif, scientifique, dégagé des contingences partisanes, sur la vie économique. En d’autres termes, le libéralisme défenseur des privilèges actuels fait peser une chape de plomb sur la réflexion économique. Il interdit de poser cette question essentielle, que bien sûr ni Smith ni Ricardo n’avaient posée puisque, à leur époque, le capitalisme venait juste de naître et qu’il apparaissait porteur de progrès, mais que Marx a formulée : le système économique fondé sur le profit n’a-t-il pas fait son temps ?
Il semble que les moyens techniques existent pour nourrir convenablement (sans plus) tous les habitants de la planète. L’homme peut sans doute envisager de ne pas passer uniquement sa vie au travail (ou au chômage), et, après deux siècles de développement profondément inégalitaire et dévastateur, il est possible de concevoir que le partage du travail, du savoir et des richesses puisse fonder un nouveau type de progrès. Ainsi, il devient urgent de se demander si le règne de la marchandise ne doit pas commencer à régresser.
Il faut cesser de croire que l’épanouissement et la liberté des individus passent par une consommation marchande toujours croissante, et ainsi trouver la possibilité d’exercer ses capacités dans des activités créatives autonomes. « Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, et reprenez vos cent écus. »
Dès lors, pourquoi ne pas attribuer à titre posthume le prochain et dernier (puisque l’essentiel a été dit) prix « Nobel » d’économie à Jean de La Fontaine ? Il avait une vue beaucoup plus perspicace et lucide que tous les autres réunis.
Cet article est le 154ème paru sur ce blog dans la catégorie AGRICULTURE et PAC.